L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
En parcourant les Rivages / Noir avec Thierry Corvoisier – Yann
En parcourant les Rivages / Noir avec Thierry Corvoisier – Yann

En parcourant les Rivages / Noir avec Thierry Corvoisier – Yann

Quiconque s’intéresse un tant soit peu au polar (ou au roman noir, dans une acceptation un peu plus large) a forcément, un jour, été amené à côtoyer de près ou de loin le catalogue Rivages / Noir. « Incontournable », « essentiel », « indispensable », ces mots qu’on essaie habituellement d’utiliser le moins possible afin de ne pas les affadir, ces mots viennent immédiatement à l’esprit quand on se penche sur ce qui est, à mes yeux, LE catalogue de référence du noir en France (avec, peut-être, l’historique Série Noire qui a néanmoins longtemps souffert de traductions hasardeuses et/ou tronquées et de certains choix éditoriaux discutables). Je ne prétends pas pour autant, loin de moi cette idée, que chez Rivages, comme dans le cochon, tout est bon mais la vue d’ensemble est impressionnante et le tout plutôt cohérent. Grande était donc la tentation de s’y intéresser d’un peu plus près et de le revisiter à travers une trentaine de titres, ce que Thierry Corvoisier a, pour notre plus grand plaisir, accepté de faire. Je recopie telles quelles, ci-dessous, quelques lignes qui définissent le deal initial. Il ne vous restera plus ensuite qu’à lire (en deux fois car l’ensemble en impose un peu) le résultat final. On prendra quand même la peine de préciser que cette sélection est éminemment subjective et que vous y trouverez sans doute quelques injustices. À vous, donc, d’établir votre propre liste !

« Pour le choix des titres que je te propose de commenter, j’ai jonglé entre mes goûts personnels et ceux qui semblent incontournables, entre les classiques et les nouvelles voix, bref, c’est un exercice de funambule auquel j’ai pris beaucoup de plaisir. Je compte sur ta maîtrise du catalogue pour ajouter ou supprimer des titres si tu penses que je suis à côté de la plaque pour certains. Il me paraît très compliqué de descendre sous la barre des trente, j’espère que ça ira pour toi. Pour chaque titre, à toi de voir ce que tu veux en dire : ce peut être une simple anecdote sur l’auteur ou le titre lui-même, un rappel de l’importance de l’auteur au sein du catalogue, un souvenir ou des impressions de lecture, selon ce que ça t’inspire. Si pour Ellroy, j’ai choisi Brown’s requiem, c’est uniquement parce qu’il marque l’arrivée d’Ellroy chez Rivages * et le début d’une aventure qui dure toujours, raison pour laquelle il me semble être un titre important. La liste respecte l’ordre alphabétique, le seul système de classement qui me paraissait applicable ici. »

* Ce qui est faux, ainsi que me le fit aimablement remarquer Thierry : « Si, effectivement, ce titre est le premier texte du maître, ce n’est pas le premier publié chez Rivages. Ellroy arrive avec Lune sanglante en 1987 chez Rivages, premier volume de la trilogie Hopkins, publié en 84 aux States. »

Avant de plonger dans ce grand bain de noir, laissons Thierry se présenter en quelques mots :

Assez concerné par le débat social du moment, je suis rentré chez Rivages il y a plus de 25 ans, en septembre 1997, longtemps pour y gérer les services généraux et, entre autre, l’envoi des SP aux libraires. Après le rachat de Payot & Rivages par Actes Sud, il y a dix ans, et par là, la mutualisation de certains services, il m’a été proposé de créer ce poste qui se développait depuis peu dans le monde de l’édition : Chargé des relations libraires. J’avais encore suffisamment de contacts et d’ami(e)s dans les librairies (tout le monde connait mes liens particuliers avec un certain S.W.) pour accepter le poste avec entrain. J’avais, en effet, travaillé en librairie avant Rivages, dont pas mal d’années au Virgin Mégastore des Champs Elysées.

Si, au total, le monde du livre m’aura occupé une trentaine d’années, j’ai auparavant été photographe, rédacteur télématique, barman, menuisier, et ai à peu près pratiqué tous les corps de métier du bâtiment.

Thierry Corvoisier (au centre) entouré de Susan Lehman et Brian De Palma, Quais du Polar, Lyon 2019.

Et maintenant, suivez le guide !

Marc Behm / La Reine de la nuit

Ma première rencontre avec cet auteur, et probablement aussi avec la collection Rivages Noir. Le titre date de 1978, je crois, et je me demande si cette histoire d’une jeune allemande devenue nazie à son corps défendant et finissant pendue pour crimes contre l’humanité pourrait encore être écrite aujourd’hui.

Un livre en avance sur son temps. Complètement baroque et parfois à la limite du supportable.

Quand j’ai vu Inglorious Bastards, je me suis dit que forcément Tarantino avait lu La Reine de la nuit.

Abdel Hafed Benotman / Éboueur sur échafaud

Photo : D.R.

À l’été 2000, se présente à l’accueil de nos bureaux (alors boulevard Saint-Germain), un grand escogriffe qui demande à ma collègue Dominique de pouvoir rencontrer François Guérif. C’est l’heure du déjeuner, François n’est pas là, notre Directrice Générale non plus, et l’attachée de presse Rivages noir est tout autant absente. Dominique m’appelle au moment où j’attaque mon sandwich-bureau. Deux jours plus tôt, je lui avais parlé de la claque reçue à la lecture de Les Forcenés, titre de A.H.B., nouvellement réédité par François.

Hafed se présente à moi comme un taulard récemment libéré, heureux de savoir que son recueil de nouvelles est publié en Rivages Noir, et ajoute très directement qu’il n’a pas une thune et qu’il passait pour voir s’il n’y aurait pas un chèque à gratter !

Éditeur comme attachée de presse étant absents, je lui propose d’aller déjeuner le temps qu’un collègue un peu plus responsable que moi revienne. – « Ah ! Mais que voilà une bonne idée. Et puisque c’est toi qui invites, c’est évidemment toi qui raques ! ». Ce tutoiement, ce déjeuner, et les quelques bières qui l’ont accompagné furent les piliers d’une amitié rare.

Encore aujourd’hui, 8 ans après sa disparition, j’évoque difficilement Hafed sans avoir les yeux qui se mouillent, et encore à l’écriture de ces quelques lignes.

Il faut lire Abdel Hafed Benotman. Il faut lire Éboueur sur échafaud.

Edward Bunker / La Bête contre les murs

Bunker aura inspiré Benotman évidemment. Les écrivains taulards lisent les écrivains taulards.

Encensé par James Ellroy (les deux ont lié une véritable amitié), Bunker n’aura pas été le premier à écrire sur l’enfermement, mais plus rarement cela aura été fait avec autant de brio, d’intensité, de finesse et de vérité. L’expérience vécue et traduite au plus près, au plus cru, à l’os.

La Trilogie de la bête (Aucune bête aussi féroce, La Bête contre les murs, La Bête au ventre) est une œuvre aussi unique que monumentale.

Bunker est un auteur majeur de Rivages Noir.

James Lee Burke / Dans la brume électrique

J’ai un amour immodéré pour James Lee Burke (et pour Robicheaux).

Avec le temps, il a beau écrire plus ou moins le même livre à chaque fois, je demeure un inconditionnel de Dave Robicheaux. Le personnage a beau revivre encore et encore la même histoire, genre Un jour sans fin, se prendre cinq balles dans la peau en clôture d’une intrigue pour revenir, tout cicatrisant mais vif et alerte pour une nouvelle aventure dans le roman suivant, tout en courant son semi-marathon chaque matin, taquiner (avec succès) à l’âge de son créateur (86 ans), en plus du poisson-chat, la jeune flic-débutante du poste de police de New Iberia, je guette avec délectation mon Robicheaux (presque) chaque année.

Et si j’ai tendance à me moquer un peu (et je n’évoque même pas les bondieuseries qui hantent notre bonhomme au fil du temps), c’est au nom de ce vieil adage « qui aime bien, châtie bien ».

Robicheaux demeure, quoi qu’il en soit, le dernier de ces flics de papier que je suis depuis vingt-cinq ou trente ans, quand j’ai abandonné Harry Bosch et autre Matt Scudder.

Et Dans le brume électrique avec les morts confédérés (j’adore ce titre !) est l’un des tout meilleurs Robicheaux. Un livre exceptionnel qui vous donne envie de prendre le premier billet d’avion pour filer à La Nouvelle Orléans, et y chercher des fantômes dans le bayou.

Photo: Linda Thompson La Presse canadienne.

George Chesbro / Bone

Chesbro est connu pour sa série Mongo le Magnifique. Mongo est un nain, ancienne vedette de cirque, docteur en criminologie, karatéka hors pair, et détective privé ! Un personnage aussi incroyable que sympathique. Rivages a publié près d’une quinzaine de récits des aventures de Mongo ; et ce, bien des années après que l’auteur ait perdu tout éditeur aux Etats-Unis.

Bone est un livre unique, à part de la série Mongo. Bone est un sans-abri de New York qui doit son surnom au fémur fossilisé qu’il ne quitte pas des mains. L’homme a perdu la mémoire et l’usage de la parole. Il émerge de Central Park au moment où une série de meurtres horribles sont commis au sein de la communauté des sans-abris new-yorkais.

Pur thriller des années 90, quand thriller rimait systématiquement avec serial-killer, addictif à souhait, Bone est un livre aussi effrayant que rempli d’humanité. Chronique sociale qui rend hommage à tous les laissés pour compte et autres abandonnés de la société, mais aussi à celles et ceux, professionnels ou bénévoles, qui consacrent leur temps à combattre cette misère.

Le livre des bas-fonds de New York.

Robin Cook / J’étais Dora Suarez

Un trop plein de bonheur ? Un besoin de désespérance ? Plongez donc en enfer avec la lecture du mythique Dora Suarez de Robin Cook. Roman décrit comme « en deuil » par l’auteur lui-même.

Photo : D.R.

Polar violent, noir et dépressif, Dora Suarez est le récit d’un deuil par procuration. Celui d’un flic sans nom, meurtri, qui, par empathie aliénante pour les victimes (il y en a trois) va se muer en vengeur expiatoire et poursuivre sans relâche, et en hypertension constante, un meurtrier aussi sadique que taré (du genre à se châtier lui-même en se flagellant le sexe, quand il ne décapite pas ses victimes à la hache avant de se masturber sur leurs dépouilles, voire boire leur sang !).

Le récit et l’enquête du flic anonyme suivent pour fil rouge le carnet intime de la première victime, Dora Suarez, prostituée à tendance suicidaire, dont l’autopsie révèlera qu’elle était atteinte du Sida.

Voilà pour le décor… des cinquante premières pages ! La suite du roman ne dérogeant jamais à cette noirceur et cette désespérance infinie.

Robin Cook n’épargnant rien au lecteur, nous cheminons autant à côté de l’inspecteur sombrant dans un culte des morts obsessionnel, au point de lui faire occulter le monde des vivants, que dans la tête du tueur, monument de folie et d’inhumanité, et ni plus ni moins l’une des pires créations de la littérature noire.

Effrayant, désespérant, pessimiste, d’une puissance émotionnelle rare, J’étais Dora Suarez, publié en 1990, demeure un incontournable qui voisine avec le Londres Express de Peter Loughran.

Pascal Dessaint / Les derniers jours d’un homme

Metaleurop. La brutale fermeture de cette usine symbole ne pouvait que forcer Pascal Dessaint à revenir dans le nord et délaisser pour un nouveau roman social sa ville d’adoption qu’est Toulouse.

Drame social, précarité, patrons peu scrupuleux, voire ignobles, le terrain, le terreau premier même, pour un Dessaint qui, comme toujours, n’abuse pas des mots et va à l’essentiel, avec force et sensibilité à la fois.

Comme toujours, on tombe vite en empathie avec ses personnages, à qui il donne tour à tour la parole dans un roman choral intimiste, ancré dans la terre, et au plus près des sentiments.

Un roman d’une grande justesse.

Tim Dorsey / Florida Roadkill

Tim Dorsey et Rivages, c’est un peu une histoire de rendez-vous manqués.

Digne héritier de Westlake (la Floride à la place du New York de Dortmunder), Dorsey pousse la farce à son paroxysme.

Dans Florida Roadkill, les deux héros récurrents de l’auteur, Serge A. Storm, sociopathe surdoué, et son acolyte, Coleman, alcoolique et toxico patenté, s’associent à une stripteaseuse cocaïnomane pour monter une arnaque à l’assurance comme nous en lisons souvent. Petit souci, le dentiste-complice-victime qui, après avoir assuré ses mains (et outils de travail) pour cinq millions de dollars, devient soudainement assez réticent devant le plan de Serge qui consiste à lui couper plusieurs doigts. Alors quand le dentiste file se planquer à Key West (où a lieu un hallucinant rassemblement de sosies d’Hemingway !), les trois psychopathes se lancent à sa poursuite, sans cesser de flinguer et voler tout ce qui peut être possible sur leur parcours, ce qui leur aliénera la moitié des forces de police de Floride.

Avec son univers déjanté, son imagination incroyable, ses scènes à mourir de rire, ses psychopathes hallucinés, Dorsey avait tout le potentiel pour installer les pérégrinations délirantes de Serge et Coleman en Rivages Noir. Pourtant, alors que la série américaine est riche de vingt-cinq opus, nous avons dû arrêter la publication après la septième traduction (Torpedo Juice, en 2005), pour cause de ventes trop faibles.

Pas trop aidé par l’auteur lui-même, qui, un peu à l’image de James Lee Burke, semble avoir beaucoup de mal à quitter sa Floride.

Quais du Polar l’avait invité il y a quelques années, et une tournée en librairie avait été envisagée. Mais après avoir confirmé sa présence, Dorsey s’était finalement désisté suite à une opération de la hanche (Oh, Tim ! Si tu lis ces lignes, viens donc ! On pourra causer col du fémur, prothèse en titane et céramique tous les deux !).

Et puis, il n’y a pas si longtemps, lors du dernier salon Paris Polar, j’avais monté une table ronde avec deux ardents fanatiques de Serge A. Storm, j’ai nommé Antoine Zinader, libraire à Sucy-en-Brie, et Yan Lespoux, chroniqueur (entre autres activités) de roman noirs. Table ronde menée par les mains non moins expertes de Jeanne Guyon, éditrice Rivages noir et en l’occurrence de Tim Dorsey.

Si le débat fut d’un haut niveau, et le public au rendez-vous, je dois avouer que nous n’avons pas vraiment relancé les ventes. Par contre, quand Yan a sorti son livre, Presqu’iles, chez Agullo, c’est près de sept cent exemplaires  du titre qu’à écoulé la librairie L’Oiseau moqueur, à Sucy-en-Brie.

Je dis ça, je dis rien…

James Ellroy / Lune sanglante

L’histoire est connue. Rivages Noir vivote depuis plus d’un an quand Guérif publie Lune sanglante, au début 1987, premier opus d’une trilogie mettant en scène le flic Lloyd Hopkins. L’agent de l’auteur, encore totalement inconnu, n’a rien voulu lâcher : c’était la trilogie ou rien. Les fondateurs de Rivages, Edouard de Andréis et Jean-Louis Guiramand, ne cachent pas à François que l’investissement est plutôt important pour la petite maison fondée trois ans plus tôt.

La sortie en librairie est toute en discrétion jusqu’à l’article de Jean-Patrick Manchette dans Libération deux mois plus tard : «  Le roman de James Ellroy, Lune sanglante, publié voici deux mois chez Rivages Noir, est passé pour l’instant complètement inaperçu. Il faut donc signaler aux amateurs, pour leur plaisir, qu’il s’agit d’un des plus remarquables romans noirs de la décennie, par sa préoccupation intellectuelle élevée, son écriture savante, et, pour le dire balistiquement, son épouvantable puissance d’arrêt. »

1987, donc. Époque où la presse pouvait encore faire le succès d’un livre et d’un auteur alors anonyme. L’article de Libé lancera Ellroy pour longtemps, et par la même, lancera Rivages Noir pour autant. Trente-cinq ans après, Ellroy est toujours là. Fidèle à cette maison qui aura beaucoup aidé à sa notoriété planétaire.

Comme beaucoup, le « Dog » aura été le vecteur qui m’amènera à suivre avec assiduité les parutions de Rivages Noir.

Je le croiserai pour la première fois au Virgin Mégastore des Champs Elysées où je gérais à l’époque le rayon polar. Ellroy y était en dédicace (on ne parlait alors pas encore de « rencontre ») à l’occasion de la parution de l’exceptionnel Ma part d’ombre.

Un peu privilégié (parce qu’identifié libraire grâce à nos fameux gilets rouges) devant les 300 ou 400 personnes qui créèrent une queue hallucinante sur les Champs, j’eus droit à une « griffe » pas si conventionnelle du bonhomme : un croquis d’un chien urinant (enfin, c’est l’interprétation que j’en fais, Ellroy n’étant pas vraiment un dessinateur né). J’ai longtemps cru avoir entre les mains une œuvre digne d’un Dali décadent, et qui me rendrait riche un jour.

Surtout, je rencontrai à cette occasion une partie de l’équipe Rivages, et pour la première fois, François Guérif dont je refaisais tous les jours les piles sur mes tables.

Quelques mois après cet évènement, j’aurais quitté Virgin pour Rivages; la librairie pour l’édition. Ellroy aura sensiblement influencé ma transition professionnelle.

Quelques années plus tard, je crois que c’était à l’occasion de American Death Trip, j’accompagnais l’équipe commerciale Rivages pour une nouvelle dédicace d’Ellroy au Mégastore. Dans la procession toujours aussi impressionnante, nous repérons un fan plus tout jeune avec sous le bras un exemplaire d’un livre de l’auteur de thrillers britannique R. J. Ellory. Nous pensons, au début, aller l’informer qu’il semble y avoir une petite confusion, et puis, amusés, nous le laissons arriver jusqu’à Ellroy. Celui-ci, interloqué, va répéter dix fois que le livre présenté ne le concerne pas, mais le vieux monsieur ne comprenant visiblement pas un mot d’anglais, n’aura de cesse de répéter « Yes, thank you, yes, thank you, yes, thank you… ».

Se tournant vers nous et nous voyant hilares, Ellroy signera finalement le thriller du fan de ce cher permanenté Roger Jon. Je me suis toujours dit que si le petit monsieur a un jour véritablement rencontré R. J. Ellory, il a du avoir un choc en constatant combien l’évolution physique de son héros aura été importante.

Ellroy est unique. Lors de son dernier passage en France, en 2019, il y avait encore 300 personnes à La Machine à lire, à Bordeaux, et autant à La Galerne, au Havre. Des soirées exceptionnelles, car, bien sûr, le « Dog » aura fait le show.

David Goodis / La blonde au coin de la rue

Goodis a tout de l’écrivain maudit par excellence. Des études de journalisme plus ou moins bâclées qui, après nombre de petits boulots disparates, l’amèneront finalement à bosser dans une agence de pub à Philadelphie.

Des dizaines de manuscrits et nouvelles rejetés systématiquement des années durant. Et puis un contrat inespéré avec Universal et son installation à Los Angeles. L’aboutissement (et la belle vie, croit-il), avec l’adaptation d’un de ses romans, qui donnera un film, Les Passagers de la nuit, avec Lauren Bacall et Humphrey Bogart.

C’est juste après guerre, et c’est déjà le début de la fin. Des scénarios sans suites, un divorce, et un retour à Philadelphie où il sombre vite dans l’alcool et meurt à quarante-neuf ans.

Pour son deuxième long métrage, Truffaut adapte Tirez sur le pianiste, avec Charles Aznavour, et offre une reconnaissance posthume à l’auteur américain oublié. Suivront Le Casse, d’Henri Verneuil, La Course du lièvre à travers les champs, par René Clément, et puis La lune dans le caniveau, de Jean-Jacques Beinex, Rue barbare…etc.

La blonde au coin de la rue, c’est la descente aux enfers d’un traine-savate qui passe son temps à fuir, dans l’Amérique des années trente, alors en pleine crise économique. Un bon-à-rien résigné, doué pourtant pour écrire des chansons mais dépourvu d’ambition et persuadé que les dés sont déjà jetés.

On retrouve là l’un des thèmes de prédilection de Goodis : la jeunesse américaine désœuvrée. Ses personnages subissent sans rébellion une fatalité totalement admise. La vie familiale elle-même, le bonheur conjugal, semblent un ilot de défaites.

Écrit en 1954, La Blonde au coin de la rue est une vision désabusée du rêve américain, et certainement tout autant un regard aussi désabusé de Goodis sur son propre parcours.

Joseph Hansen / Par qui la mort arrive

Professeur d’université, un temps libraire, scénariste de la série Lassie, Joseph Hansen est un militant de la cause homosexuelle (organisateur notamment de la première Gay Pride à L.A. en 1970) et qui aura longtemps publié sous pseudonyme dans les années 60.

Dave Brandstetter, son personnage récurrent, sera l’un des premiers enquêteurs (d’une compagnie d’assurance) ouvertement gay de la littérature policière.

Brandstetter apparait pour la première fois dans Le Noyé d’Arena Blanca, que l’on peut considérer comme le premier polar publié par Rivages en 1985 dans une collection, Policier/Rivages, dont il est l’unique volume.

Un an plus tard, en 1986, arrivera François Guérif qui fondera Rivages noir. François publiera Le Noyé d’Arena Blanca en poche ainsi que quatorze autres titres de Hansen.

Dans Par qui la mort arrive, un propriétaire d’un bar gay est retrouvé assassiné. La victime ayant souscrit une assurance-vie, la compagnie d’assurance envoie son agent, Dave Brandstetter, pour enquêter.

Une enquête qui n’est jamais vraiment l’essentiel dans le récit de Hansen, et où son héros prend le temps d’observer une tortue manger sa salade et écouter les grillons tout en contemplant l’arrière-pays de Los Angeles. Une plongée dans la communauté homosexuelle, et dans la vie d’un couple gay, toute en honnêteté et sans clichés, pour un texte qu’il faut resituer dans son contexte, le début des années 70 aux États-Unis.

John Harvey / Ténèbres, ténèbres,

Devenu écrivain après avoir longtemps enseigné, John Harvey fait partie des piliers du catalogue.

Et, c’est assez remarquable pour être souligné, les douze opus de la série Resnick, flic amateur de jazz et de chats, auront tous été publiés dans leur ordre d’écriture !

La série démarre avec l’admirable Cœurs solitaires, publié en 1993, et s’achève avec Ténèbres, ténèbres, publié 22 ans plus tard, en 2015. A l’époque, lors de sa dernière tournée promotionnelle, John Harvey nous avait annoncé qu’il se consacrerait désormais à l’écriture de théâtre, et abandonnait le roman noir. Il reviendra finalement au polar quelques années plus tard, avec toujours autant de réussite, pour une ultime aventure de son autre personnage récurrent, Frank Elder.

Ténèbres, ténèbres, évoque la grande grève des mineurs de 1984 en Grande-Bretagne. Une grève réprimée par la violence policière du gouvernement de Margaret Thatcher et qui durera une année entière, sans qu’aboutisse la moindre revendication des grévistes. Harvey greffe une intrigue policière sur cette période sombre qui marquera l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’ère du libéralisme sauvage. Une histoire autrement traitée par le fascinant GB 84 de David Peace. Deux romans disjoints mais évoquant tous les deux la disparition de l’Etat-providence, au détriment de son socle ouvrier, et la naissance d’un capitalisme forcené.

Loin d’un Germinal à la sauce anglaise tout de même, la mélancolie de Ténèbres, ténèbres, c’est du blues à l’ancienne, entêtant, solide et humaniste.

Tony Hillerman / Le voleur de temps

J’avoue que je ne suis pas un expert de l’œuvre de Tony Hillerman. Je n’ai pas encore lu l’intégralité des textes publiés chez Rivages. Je me réserve encore quelques unes des aventures de Jim Chee et Joe Leaphorn pour mes vieux jours. Si je ne m’abuse, ma dernière lecture d’un Hillerman doit être celle du Premier aigle, titre qui remonte à 1999 en Rivages Thriller. Une histoire de braconnier, chasseur d’aigle chez les Hopis, une tribu indienne.

Une espèce de souvenir mnémotechnique parce que notre graphiste de l’époque, Jacqueline, avait utilisé la photo…d’un goéland pour illustrer la couverture ! Et c’était malheureusement assez évident. La queue de l’oiseau, ses pattes palmés, son bec de piaf inoffensif, sous ce titre Le Premier aigle, qui laissait peu de doute sur l’erreur et sur le peu de connaissance ornithologique de l’iconographe.

A coup de pinceaux et calques Photoshop, Jacqueline transformera l’innocent goéland en redoutable rapace lors de la version poche !

Enfin, j’ai souvenir du Voleur de temps comme l’épisode de la rencontre entre  les deux personnages récurrents de Tony Hillerman. Joe Leaphorn, à ce moment flic veuf et proche de la retraite, et le jeune et ambitieux Jim Chee, cantonné à la surveillance des véhicules de la police tribale.

Deux personnages qu’à la suite de cette enquête nous retrouverons dans plusieurs titres d’Hillerman, ainsi que dans ceux de sa fille, Anne, écrivaine elle aussi, et qui prolonge la saga de son père.

Décors dignes des films de John Ford, beauté des paysages, grands espaces balayés par les vents, personnages attachants et documentation fouillée, pour qui aime l’ethnologie et l’anthropologie, Tony Hillerman est un incontournable.

Craig Holden / Les quatre coins de la nuit

Craig Holden, c’est une espèce d’auteur fantôme.

Quand nous avons réédité Les quatre coins de la nuit, l’année dernière, je suis allé jeter un œil sur sa fiche Wikipédia et sa date de naissance n’y figurait même pas. Je crois même que son année de naissance est douteuse (1960, 1961 ?), ce qui est assez étonnant pour un auteur si contemporain.

Il n’a que cinq romans à son actif ; le dernier, La Fille de Narcisse, remontant maintenant à 2005, et un CV aux multiples métiers exercés (enseignant, ouvrier, laborantin…) Sur ces cinq romans, quatre sont publiés chez Rivages et l’ensemble se tient parfaitement bien.

Avec, au-dessus du lot, Les quatre coins de la nuit. Un roman que j’aime beaucoup.

Un roman hyper sombre, qui traite de pédophilie et d’enlèvement d’enfants, d’amitié aussi, de facture assez classique mais avec une intrigue suffisamment tordue pour qu’elle ne laisse pas deviner un final somme toute inattendu.

Et, en même temps, pas de rebondissements ahurissants, pas de courses poursuites de bagnoles, pas de scènes gores, mais un récit tout en nuances, en sensibilité, qui privilégie l’atmosphère à l’action.

Un grand Rivages Noir !

À suivre !

7 commentaires

  1. A chacun ses Rivages noirs : les miens ont commencé avec Dennis Lehane et John Harvey, Sjöwall et Walhöö, puis Dominique Manotti, James Sallis… Actuellement, je guette plutôt les nouveaux noms, Maurizio de Giovanni, Antonio Paolacci et Paola Ronco, Alan Parks, Noëlle Renaude que je suis tout juste en train de lire.
    Incontournables Rivages ? Je dis oui !

  2. Jean-Claude Thalier

    Et Pagan ? Pas de Pagan, mais du Michaud ! Faute de goût ! Carton jaune ! Et David Peace ? Hein, c’est pas rien la tétralogie du Yorkshire ? On fait l’impasse ? Ce n’est pas possible…. Pour le reste, Le Corre, Dessaint, Villard, Oppel, Cook, etc. entièrement d’accord. James Lee Burke vieilli mal, d’accord. Ellroy s’est enfermé dans ses crades obsessions, mais ils ont bien mérité du drapeau noir tous les deux.

    1. lerayyann

      Bonjour Jean-Claude et merci de nous lire. Avant de s’emballer, il convient toutefois de bien lire, à savoir que cet article est publié en deux fois. Et vous trouverez donc, entre autres, dans la deuxième partie, les grands Pagan et Peace, entre autres. Nous vous donnons rendez-vous dans deux semaines ! Yann.

  3. Bugey

    bonjour,
    Est ce que j’ ai le droit d’ être un peu fière en disant que j’ ai reçu il y a…un peu plus de 15 ans un mail signé de James Lee Burke. Remerciement de lui avoir fait part de mon plaisir de lire David Robicheaux. Ce n’est peut-être pas lui qui a écrit ce mail, pas grave je reste fidèle à ses couchers de soleil sur le bayou et à la musique de ses histoires.
    Je voudrais aussi parlé des couvertures. Sur le présentoir d’une librairie, j en vois une qui m’ interpelle avec ses deux bonhommes, très 19ème siècle et son titre:  » l’homme aux lèvres de saphir ». Lecture de la 4éme de couverture. Est-ce que parce que je suis à Belleville, quartier populaire, frondeur et où on venait se perdre dans les bals, j’ achète le livre. Ce sera ma première lecture de Hervé Le Corre et depuis je guette chaque parution.
    Je suis contente de relire les noms des auteurs que j ‘apprécie mais aussi parce que dans cette liste, j’ ai pu trouvé des nouveaux titres que je n’ai pas encore lu.
    J’ attends avec impatience la suite de cette entretien.
    Merci

    1. lerayyann

      Bonjour et merci pour ce témoignage. Bien sûr que vous pouvez être fière ! A titre personnel, c’est un petit mot de James Sallis il y a quelques mois qui m’a fait un plaisir immense. C’est ce genre de retour qui nous conforte dans l’envie de continuer ce que l’on fait. Merci de nous lire et bonne journée. Yann.

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