L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Laidlaw, William McIlvanney (Rivages / Noir) – Yann – Aire(s) Noire(s)
Laidlaw, William McIlvanney (Rivages / Noir) – Yann – Aire(s) Noire(s)

Laidlaw, William McIlvanney (Rivages / Noir) – Yann – Aire(s) Noire(s)

« Ils pénétrèrent dans ce qui était plus qu’un lieu : le condensé d’un mode de vie. L’espace dans lequel ils s’avançaient filtrait par les portes battantes à l’ancienne et affirmait son style dans une salle (…) Tout aussi palpable que le mobilier était l’atmosphère, qui en avait l’inaltérable solidité (…) La tension qu’on sentait n’avait rien à voir avec une criminalité latente, la peur d’être volé ou attaqué. C’était quelque chose de plus immédiat que cela. Cela venait de ce qu’on savait tout de suite qu’on était en présence d’un grand rassemblement d’orgueil physique, toute une masse, de sorte qu’on sentait qu’il valait mieux se déplacer avec précaution pour ne pas se heurter à une sensibilité. Cette salle était le lieu fréquenté par des hommes qui ne possédaient pas grand chose à part une certaine conscience d’eux-mêmes et qui étaient peu enclins à voir cette conscience amoindrie. »

On me pardonnera cet extrait inhabituellement long (bien qu’un peu tronqué) car il me semble offrir une excellente idée de l’immersion totale que l’écriture de William McIlvanney (confortée par la superbe traduction de Jan Dusay) offre au lecteur. Cette plongée dans le Glasgow des années 70/80 gagne ainsi une épaisseur et une crédibilité que l’on n’avait pas connues depuis longtemps. Les hasards du calendrier m’ont fait lire quasi simultanément ce splendide Laidlaw et Bobby Mars forever, troisième opus des enquêtes d’Harry McCoy dont Alan Parks situe également l’intrigue dans la capitale écossaise. Si les qualités des romans de Parks sont indéniables et gagnent en puissance au fil des volumes, il faut toutefois reconnaître que son écriture paraît presque fade à côté de celle de McIlvanney. L’un privilégie le rythme et l’action, le second préfère s’attarder sur le décor et la psychologie des ses personnages. On retrouve ainsi chez le créateur de l’inspecteur Jack Laidlaw cette densité qui donnait à des romans tels que Les quatre coins de la nuit (Craig Holden) ou Mystic River (Dennis Lehane) leur statut de classiques instantanés. C’est toujours étonnant de sentir au fil des pages (et souvent dès les premières) que l’on tient un grand livre entre nos mains et c’est un plaisir toujours renouvelé, d’autant plus qu’il n’est pas très fréquent.

Quand il meurt en 2015, McIlvanney laisse en chantier un 4ème opus des tribulations de Jack Laidlaw (cinq si l’on compte Big Man). The Dark remains, puisque tel est son titre, est paru récemment chez Rivages sous le titre Rien que le noir, complété par Ian Rankin à partir du travail de McIlvanney à la demande de la compagne de celui-ci. Le résultat est, semble-t-il, à la hauteur des attentes. Mais revenons à ce Laidlaw fondateur qui devrait inciter tout un(e) chacun(e) à se procurer les volumes suivants. L’intrigue en est plutôt de facture classique (un inspecteur à la recherche du meurtrier d’une jeune femme) mais McIlvanney, grâce aux qualités citées plus haut, élève le fait divers au rang de drame contemporain et parvient à donner une véritable stature à chacun de ses protagonistes, du principal au plus discret.

« Une nouvelle fois, il ressentit sa nature comme un paradoxe à la dérive. Il était un homme violent en puissance qui avait horreur de la violence, quelqu’un qui croyait à la fidélité et était infidèle, un homme d’action qui souhaitait la paix (…) Il ne pouvait rien faire d’autre qu’habiter les paradoxes. »

Si Laidlaw est un paradoxe vivant, il n’en est pas moins attachant, lui qui cherche à mettre la main sur un suspect avant que la vindicte populaire ne rattrape celui-ci. Ses démons personnels n’enlèvent rien à la force de sa compassion et de l’empathie qu’il est capable de ressentir pour ses semblables. C’est là que réside la principale réussite du roman, là et dans ce saisissant instantané de Glasgow qui en devient presque un personnage à part entière.

Noir, très noir, parfois cynique, toujours intelligent et profondément humain, ce premier volume magistral est incontournable pour tout amateur de polar. McIlvanney s’y montre fin connaisseur de ses frères humains et, sans esbrouffe ni surenchère, nous acquiert à sa cause.

Yann.

Laidlaw, William McIlvanney, 314 p. , 9€20.

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