L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Rétiaire(s), DOA (Gallimard / Série Noire) – Nicolas et Yann
Rétiaire(s), DOA (Gallimard / Série Noire) – Nicolas et Yann

Rétiaire(s), DOA (Gallimard / Série Noire) – Nicolas et Yann

Tu te souviens de Spartacus.

T’as vu, c’est pas une question. Je sais que tu revoies Kirk Douglas et Laurence Olivier, parce que les filles adoraient Kirk Douglas. Normal…

Mais si t’es un garçon, je sais que celle qui a le plus marqué ton esprit, c’est Jean Simmons.

Ne mens pas.

Donc tu te souviens aussi des rétiaires, les mecs avec un grand filet, qui pouvaient attraper tous les autres gladiateurs et leur filer un coup de trident entre les cotes.

Ils avaient aussi un grand couteau, genre chef de cuisine, qui était utilisé pour finir les victimes…

Donc « Rétiaire(s) », un grand filet pour attraper les hommes qui veulent te tuer.

Du sérieux, on va pas se mentir.

Et pour continuer à ne pas se mentir, c’est mon premier DOA.

Mon premier Dead On Arrival, ça veut dire que j’aurais pu clamser dans l’ambulance si je m’étais pas accroché.

Des flics, forcément, et puis des voyous. Mais pas ceux que tu croises au détour de ta rue, des voyous de compétition, avec des vrais flingues, des vrais paquets de drogues (j’ai mis un S, je sais), des grosses bagnoles et des yachts de plus de quatre mètres. Des flics, comme ceux que tu ne croises pas. Ceux qui n’ont rien pour bosser, qui sont toujours sous Windows XP, alors que les logiciels libres existent depuis 1999, ou à peu près, et qui se tirent la bourre entre services.

Tu vas rencontrer les Cerda, des anciens ferrailleurs, qui ont décidé que la ferraille, c’était un peu limite pour échanger la caravane contre une villa bord de mer avec piscine à débordement.

Beaucoup de monde, dans ce roman. C’est sans doute ce qui m’a fait penser, au début, que j’allais avoir du mal à suivre et que me référer au glossaire toutes les deux pages, ça risquait de me saouler, et puis, comme dirait l’ancien prime minister, « Ça passe. »

Pleure pas, je fais de la politique si je veux.

La documentation engloutie pour écrire ce roman…

Photo : D.R.

Chapeau, Monsieur Albertazzi.

Si comme moi, tu ne comprenais pas grand chose au commerce de l’herbe à cigarette, et au bicarbonate de soude, après ce roman tu sauras tout.

Presque tout. impressionnant aussi de voir à quel point les personnages sont fouillés et finissent par acquérir une existence réelle, comme si tu les voyais vivre au fur et à mesure que DOA te raconte.

Là encore, chapeau Monsieur Albertazzi.

Alors tu vas rencontrer Amélie et Momo.

Théo, sans doute le personnage le plus étonnant de ce roman, et celui qui m’a le plus captivé.

Et surtout, surtout, tu vas parfois voir avec les yeux des voyous, puis juste après avec ceux des flics.

Un point de vue différent et, étonnamment, aussi cohérents l’un que l’autre.

Je ne vais rien te révéler mais t’offrir une phrase du début du roman :

« Quelques secondes pour quelques pas. Pour que Théo puisse dégainer son Glock, tendre le bras, viser. La gueule. »

Même si, comme je te le disais juste au-dessus, j’ai eu peur de me perdre au milieu de la foule, DOA t’emporte dans son histoire, et tu te rends compte, au bout de quelques pages, que tu n’as plus à réfléchir pour savoir qui est qui.

Et pour ça, encore une fois, chapeau Monsieur Albertazzi.

C’est un vrai roman noir, avec tout l’aspect social si cher à Manchette et à ceux qui te racontaient des histoires à La Série Noire.

Noir et triste, parce que la vraie vie l’est souvent.

La prison, décrite et racontée au point que tu vas tourner, toi aussi, dans la cour de promenade.

Que tu vas, toi aussi, crever de trouille.

Que tu vas, toi aussi, toucher du doigt la misère de cette vie entre des murs qui ne te permettent pas de faire autre chose que d’imaginer le bruit d’une rivière en Ardèche, parce que tu sais que tu ne t’y baigneras plus.

Que tu vas, toi aussi, lire des paragraphes en apnée.

J’étais pas sûr, je te l’ai dit.

Puis je l’ai ouvert.

J’ai lu quelques pages.

Je l’ai plus lâché.

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman

Nicolas.

« Dans cette famille, ils sont tous accros à ça, l’absolue liberté, de faire ce qu’on veut, quand on veut, de la façon qu’on veut, et tant pis pour le reste. »

Il s’est écoulé quelques années depuis le sulfureux Lykaïa (2018) et plus encore pour le phénoménal Pukthu, huit précisément depuis le premier volume de ce diptyque où DOA livrait la pleine mesure de son talent et de ses ambitions. Les romans précédents, quatre, donnaient déjà une idée précise du niveau d’exigence cherché par l’auteur ainsi que de sa capacité à livrer des pages sous très haute tension. Que les amateurs se rassurent, ce n’est encore pas cette fois qu’ils seront déçus tant ce Rétiaire(s) s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs.

On connaît le souci pointilleux dont DOA fait preuve quand il s’agit de se montrer rigoureux et précis dans sa documentation, étayant ainsi solidement des intrigues aussi denses que millimétrées. Qu’il s’attelle à décrire les nouvelles routes de la drogue et les méthodes employées par les trafiquants ou qu’il analyse les technologies permettant aux détenus de contourner le brouillage mis en place à la Santé, DOA est carré, précis, minutieux, quasi pédagogue, sans pour autant se montrer pénible. Ce réalisme donne inévitablement à ses romans une dimension dont peu d’auteurs peuvent se targuer. DOA n’est pas là pour le style, les phrases léchées, ça n’est pas son truc. Par contre, les mains dans le cambouis aux côtés des flics ou des voyous, ça il aime et il sait faire.

La série The Wire réalisée par David Simon est un des modèles revendiqués de Rétiaire(s).

Rétiaire(s) tire également sa force de l’impressionnant travail réalisé autour des – nombreux – personnages qui l’habitent. DOA ne se contente pas, loin s’en faut, d’aligner les figures des enquêteurs et celles des malfrats qu’ils cherchent à coincer. Aussi méticuleux ici qu’ailleurs, il en fait des êtres de chair et de sang, d’esprit également, tant les profils de chacune et chacun sont fouillés, donnant ainsi une véritable épaisseur à ces hommes et femmes qui s’affrontent, s’aiment et se détestent sous nos yeux. Rarement on aura pu connaître une telle immersion dans le quotidien des trafiquants, avec les tensions et les risques qu’une telle vie implique.

Si Rétiaire(s) s’avère au final une des lectures les plus marquantes de ce début d’année (et, gageons-le, de cette année tout court), c’est aussi et surtout par les fulgurances dont DOA se montre capable quand l’action s’accélère et que la situation dérape. Les explosions de violence, les embardéess du récit sont de véritables morceaux de bravoure et certaines scènes resteront gravées dans notre imaginaire.

Pour toutes ces raisons, Rétiaire(s) s’impose d’emblée comme ce qu’il est, à savoir un grand roman noir écrit par un auteur qui sait se donner les moyens de bien faire et, cette fois encore, nous livre un texte percutant sans être bourrin, instructif sans être plombant. Chapeau bas !

Yann.

Rétiaire(s), DOA, Gallimard / Série Noire, 432 p. , 19€.

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