L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
À tous et à personne, Grazia Verasani (Métailié) – Mélanie – Aire(s) Noire(s)
À tous et à personne, Grazia Verasani (Métailié) – Mélanie – Aire(s) Noire(s)

À tous et à personne, Grazia Verasani (Métailié) – Mélanie – Aire(s) Noire(s)

Revoici Giorgia Cantini. Pour ceux qui ont lu le premier polar dont elle est l’héroïne, Quo Vadis Baby, je sais que vous vous réjouissez déjà. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore la détective bolognaise, je ne peux que vous encourager à foncer. Que l’on retrouve un univers connu ou bien qu’on le découvre, c’est dans les deux cas un vrai plaisir.

Et pourtant, elle n’est pas facile d’accès, cette détective sauvage et solitaire entre deux âges, allant de fuite amoureuse en soirées alcoolisées, imprégnée de littérature et de musique, cachant ses blessures personnelles derrière un masque peu amène et une causticité décapante. À l’image de l’ensemble du livre d’ailleurs, rugueux et mélancolique, et de la ville pluvieuse qui abrite cette intrigue : Bologne se fane, Bologne se meurt, Bologne n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle perd son identité, enfouit son passé, vivant et tumultueux, derrière des façades de luxe, monotones et clinquantes et des vies bien rangées – et tellement tristes. Alors Giorgia Cantini resserre son monde autour de ses rares amis, aux vies aussi bancales et solitaires que la sienne. Et sacrifie volontairement le bonheur en fuyant, dès les pages d’ouverture de ce livre, un jeune homme amoureux d’elle. Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve.

Autant dire que, au sein de cet univers douloureux et brillamment décrit par Grazia Verasani, l’intrigue policière devient presque secondaire, si l’on n’y prête pas garde. Et pourtant, à y regarder attentivement, elle est l’écho, le miroir et le prolongement du personnage principal. Il n’y a en fait pas une mais deux intrigues : la première, c’est celle d’une femme mure, « solitaire, étrange et apparemment libre » qui a, il y a 20 ans, fait l’éducation sexuelle de tous les amis de Giorgia, et qui est retrouvée assassinée dans l’appartement où elle vivait, libre mais si seule. Elle a choisi d’être différente, hors-normes, et elle le paie cher : tout porte à croire que son meurtre a à voir avec son passé de croqueuses d’adolescents. Interrogés tour à tour, ses anciens amants se dérobent, offrant un défilé de lacheté, de mensonges et de violences afin de protéger leur vie bien rangée et si déprimante d’aujourd’hui.

Photo : D.R.

La deuxième intrigue, c’est celle d’une adolescente dont le comportement a changé brutalement, qui déserte l’école, et dont la mère demande à Giorgia d’enquêter sur elle pour comprendre ce qui se passe dans la tête de la jeune fille devenue mutique. Un père absent, des amis qui la lâchent : là encore, les hommes ne brillent pas par leur humanité. Dans les deux cas donc, l’intrigue tourne autour de femmes qui souffrent, victimes de leur indépendance et de l’appartenance à leur genre. Et dans les deux cas également, ils renvoient Giorgia à ses propres failles et ses propres souvenirs.

Cela fait de ce roman un livre extrêmement mélancolique et poignant : Giorgia revisite son adolescence à travers les deux histoires qu’elle essaie de résoudre, se replonge dans son propre passé, douloureux mais vibrant, illustré par une bande-son qui trotte dans la tête bien après avoir fermé le livre : « Quand je ne voyais pas Mariano, je retrouvais les garçons de l’American Bar de la Via de Toscana. Mel m’emmenait chez Nannuci écouter au casque Joy Division et Cabaret Voltaire, et le soir on ouvrait des boîtes de thon, on mettait les disques de Nina Hagen, et on feuilletait en riant les Playboy de son père, tout en cherchant à la radio des tuyaux sur la musique new wave. C’était les années des mythiques concerts des Clash, c’était l’époque où les chansons de Claudio Lolli nous donnaient de l’urticaire et où l’on dansait « We are Devo », les années où il nous suffisait d’entendre le ska de Madness pour avoir envie de faire des rencontres et d’improviser des fêtes à la Steinbeck, les années où Ada rêvait d’épouser Carmelo Bene et moi David Bowie, l’époque de la Cité des Femmes, l’époque des échauffourées avec la police devant le Palais des Sports pour entrer en fraude au concert des Tangerine Dream. » C’est cette mélancolie et cette tristesse qui font de À tous et à personne, un grand polar.

Traduit de l’italien par Paola de Luca.

À tous et à personne, Grazia Verasani, Métailié, 286 p. , 10€.

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