Deux jours et une nuit, voilà le temps que j’aurai passé en compagnie de Loïc, personnage à fleur de peau de ce 3e épisode des Chroniques de la Place Carrée. Mais ce sont presque deux ans qu’on traverse avec lui, deux ans à nous enfoncer dans une solitude choisie et honnie à la fois.
Quand tout le monde reprend le cours d’une vie presque normale après le confinement de ce printemps 2020, Loïc reste dans son appartement, se désolant de l’insouciance de ses congénères face à ce virus mortel et ruminant les derniers échecs en date de sa vie qui semble ne compter que cela. Il fait toujours de son mieux mais tout se termine toujours mal…
Loïc peut compter sur sa soeur Nini pour le ravitailler, pour le protéger. Le protéger de quoi ? De ce monde hostile qui l’entoure et auquel il n’a jamais vraiment été adapté et peut-être aussi un peu de lui-même.
Loïc a ses carnets, un rouge, un bleu, dans lesquels il peaufine les scènes de sa pièce et où il note ses impressions au jour le jour. Dehors, Ali et ses élèves du groupe de théâtre continuent comme si lui n’existait plus. Il les observe, ainsi que tous les habitants qui traversent la Place Carrée, à travers la lunette de la carabine offerte par son père il y a presque 20 ans et dont il n’a jamais su se servir correctement.
Alors qu’il s’enfonce de plus en plus dans ses pensées torturées, qu’il établit un contact étrange avec son voisin et que de lourds souvenirs refont surface, cet oeil vers l’extérieur est le seul lien qui semble encore le raccrocher à la banalité des jours qui s’écoulent au-delà de sa paranoïa et de son angoisse dévorantes.
Mathilde ne dit rien m’avait complètement séduite, Héroïne un peu moins emballée mais je crois que Jour encore, nuit à nouveau est celui qui m’a le plus touchée. Tristan Saule dresse par petites touches le portrait à la fois émouvant et inquiétant d’un homme à la marge et continue à dessiner en filigrane les vérités d’une société à la dérive qui s’accroche à la part d’humanité qui lui reste. Une belle réussite que ce nouveau roman !
Aurélie.
Découverte en cours de route avec le sombre et nerveux Héroïne, cette série des Chroniques de la Place Carrée s’est immédiatement avérée très prometteuse tant ce second volume était accrocheur et réussi. Tristan Saule avait trouvé le lieu, les personnages et le contexte, il pouvait maintenant y creuser son sillon et faire vivre ce quartier né de son imagination mais ô combien ressemblant à tant d’espaces réels. Présenté par son éditeur comme un huis-clos solitaire halluciné, Jour encore, nuit à nouveau n’avait donc pas grand chose à faire pour convaincre.
Et pourtant … Le premier chapitre se déroule au Maroc en 1970, bien loin de la Place Carrée de 2021. Il y est question d’un jeune Ali, d’une rencontre avec Picasso et l’on y fait la connaissance de Jean Walter, architecte très réputé à cette époque. Le lien avec ce qui nous intéresse ? Ce jeune garçon, Ali, n’est autre que l’animateur de l’atelier théâtre du quartier de la Place Carrée, atelier auquel s’était inscrit Loïc, avant l’apparition du Covid et les premières périodes de confinement. Loïc, donc. Le principal protagoniste de ce récit, jeune homme vieilli avant l’âge, qui va refuser de sortir de son appartement une fois le déconfinement annoncé. Loïc, en proie à la panique devant ce virus invisible et vicieux qui se transmet par les airs ou le contact direct. Loïc, tout aussi inquiet devant l’hypothèse d’une vaccination qui devrait pouvoir lui permettre de retrouver une vie normale, de reprendre contact avec ses semblables. Loïc dont le seul rapport avec le monde extérieur est sa soeur, Nini, qui fait ses courses et lui rend visite aussi régulièrement que possible afin que le jeune homme garde un lien avec la société.
C’est à travers les yeux de Loïc que se joue donc ce troisième volet. Cloîtré dans son appartement, il observe la vie qui reprend son cours dans le quartier, il épie les faits et gestes de ses anciens camarades de l’atelier théâtre. Et il bougonne, il rumine, il enrage contre Ali qui a eu l’outrecuidance de refuser de jouer la pièce que Loïc avait écrite, sur laquelle il avait sué sang et eau … Parfois, afin de lire encore mieux les expressions sur les visages ou les mots sur les lèvres de celles et ceux qu’il espionne, Loïc s’empare de sa carabine et en utilise le viseur. Alors que Nini s’efforce de le ramener à la raison, le jeune homme se laisse peu à peu envahir par la colère et la peur, au risque de déraper définitivement.
On le voit, tout est en place pour un drame contemporain. La solitude, le complotisme, la paranoïa, autant d’éléments qui vont contribuer à faire perdre à Loïc le peu d’équilibre et de raison qui lui restaient. Déboussolé, livré à lui-même, il tente de canaliser ses angoisses et ses émotions en écrivant dans ses carnets mais, rien à faire, le mal le ronge jusqu’au point de bascule.
Alors, pourquoi ce roman semble-t-il régulièrement faire du surplace, pourquoi s’y est-on ennuyé à plusieurs reprises sans vraiment parvenir à ressentir d’empathie pour Loïc et son petit enfer personnel ? Parce que, comme l’indiquait immédiatement le premier chapitre évoqué plus haut, Tristan Saule, en cherchant à développer, via les récits d’Ali, les épisodes de sa jeunesse et ceux de la vie de Jean Walter, s’écarte de son sujet. Bien sûr, le procédé n’a rien de condamnable en soi, il est même susceptible d’amener de la tension dans le récit en détournant provisoirement l’attention de ses lecteurs pour mieux la saisir à nouveau un peu plus tard. Le problème est que l’astuce tourne ici à l’artifice et que ces pages sur la vie de l’architecte, au même titre que les longs passages autour des mésaventures de Clic et Cloque, peinent à trouver leur place au sein du roman. Clic et Cloque, ces deux personnages autour desquels Loïc écrit, tentant de répondre ainsi à quelques-unes des nombreuses questions qu’il se pose, reviennent ainsi très régulièrement dans le récit, empêchant par là-même la mayonnaise de prendre aussi bien qu’elle l’aurait dû. La métaphore culinaire vaut ce qu’elle vaut mais elle est peut-être le meilleur moyen de dire que ces choix narratifs desservent le texte au lieu de lui donner l’épaisseur et la consistance qu’espérait sans doute leur auteur.
Il ressort donc de la lecture de Jour encore, nuit à nouveau, un sentiment de frustration certain. Tristan Saule (que ce soit sous ce nom ou sous d’autres) a prouvé à plusieurs reprises son indéniable capacité à écrire des récits sous haute tension, à électriser notre imaginaire. Il n’en est donc que plus regrettable que ce troisième volume fasse les frais d’une volonté (compréhensible) de se renouveler. Dès lors, les promesses d’un « thriller psychologique au suspens insidieux » ou le « huis-clos solitaire halluciné » semblent tomber à plat.
Yann.
Jour encore, nuit à nouveau, Tristan Saule, Le Quartanier, 312 p. , 22€.
Pas encore lu ce troisième opus. Pas chroniqué le 2 non plus. Punaise trop de retard. Mais je lirai celui-ci quoiqu’il arrive. J’ai vraiment ses chroniques de la place Carré
Je n’ai lu que le second volume, que j’avais adoré, et celui-ci, qui m’a beaucoup déçu. A toi, donc, de te faire ton avis ! Bonne soirée. Yann.
Oui j’y compte bien, merci Yann
A reblogué ceci sur Amicalement noiret a ajouté:
Une trilogie à découvrir