Tu as déjà dû choisir entre deux choses vraiment, mais vraiment, importantes ?
Importantes dans le sens où rien, pour toi, n’importait plus que ces deux choses là…
Richard Bach, je crois que c’est dans Le messie récalcitrant, nous dit que « choisir, c’est déjà regretter ».
On va supposer que c’est le propos du roman de Paul Tremblay, et tu vas forcément en entendre parler, puisque Shyamalan vient de sortir un film presque éponyme qu’il a appelé Knock at the cabin.
Tu l’as peut-être vu au cinéma, d’ailleurs.
La daube de l’année.
Ou une des daubes.
D’aucuns disent que c’est le retour de Shyamalan, mais d’aucuns se gourent. Juste un film gentillet, en accord avec l’Amérique bien pensante que nous connaissons.
Rien à voir avec ce bijou de la littérature américaine…
Je précise que Paul Tremblay n’est pas tout à fait un débutant. Il a obtenu le Bram Stoker Award, le British Fantasy Award, le Locus Award, et le Massachussetts Book Award…
Tu vois l’idée ?
En revanche, si tu n’as pas vu le film, je te fais un pitch de compétition auquel tu es habitué si tu lis mes littératurations.
Elle s’appelle Wen, et elle va avoir huit ans.
Dans six jours.
On n’est pas sûr de sa date de naissance puisqu’elle a été adoptée, mais c’est important de pouvoir fêter un anniversaire, régulièrement, tous les ans.
« Elle se situe au cinquante-sixième percentile côté taille et au quarante-deuxième côté poids. »
Wen attrape des sauterelles, qu’elle dépose au fond d’un bocal qu’elle a aménagé, et leur donne à chacune, un genre, un nom, une couleur, et un niveau d’énergie, qu’elle note scrupuleusement dans son cahier.
« Fille, Caroline, vert, baucou ».
Apparaissent Léonard, un géant, et ses trois amis, au détour du chemin qui mène à la cabane au fond des bois.
Ils sont là pour proposer à Eric et Andrew, les deux papas de Wen, un choix monstrueux. Sacrifier l’un d’entre eux pour éviter la fin du monde…
De là à imaginer qu’ils sont les cavaliers de l’apocalypse, il y a un pas que Tremblay franchit, ne serait-ce qu’à travers la couleur des tee-shirts.
Voilà pour le pitch.
Wen a deux papas, et c’est sans doute la première interpellation de Tremblay sur la société puritaine des États-Unis. Deux papas, ça veut dire pas de maman, et donc une remise en question de ce qui était jusqu’à il y a peu, la normalité aux Zühesses.
À noter, en aparté, que tu vas constater aussi l’importance du chiffre 7.
7 avions, 7 personnes dans la cabane, et 7 sauterelles dans le bocal.
Le 7 est un chiffre magique.
Tu savais ?
Donc les deux papas sont en proie au doute. Parce que le doute est aussi au cœur du roman de Tremblay.
Alors le doute quant aux images dont les moyens d’information nous inondent de plus en plus.
Ces images qui nous disent que l’homme a marché sur la lune, mais qui nous disent aussi le contraire.
Ces images qui nous annoncent cinq mille personnes sous les décombres d’un tremblement de terre, puis quarante mille quelques minutes plus tard.
Tu vas forcément, forcément, penser aux réseaux sociaux et à ce que tu y vois inscrit, comme une vérité première, jour après jour, et post après post.
Parce que comme le dit Daysy dans son dernier morceau, « J’veux du like »…
Alors le doute quant à la réalité de ce que les religions tentent de nous faire croire depuis plus de deux mille ans, parce qu’Eric est croyant, et qu’Andrew est athée.
Pour Andrew, rien n’est réel sauf la réalité, on dirait du Forrest Gump dans le texte.
Tout le reste n’est que hasard ou coïncidence comme le disait Lelouch.
Alors le doute face à cette apocalypse annoncée par ses quatre cavaliers mis en scène par Tremblay…
Sans doute aussi un roman sur la manière dont la vie nous façonne et change notre façon de voir les choses.
Je t’explique.
Comment, après avoir été conspué toute sa vie à cause de sa sexualité, conspué après avoir décidé de se marier avec un être humain du même genre que le nôtre, conspué encore après avoir décidé d’adopter un enfant, de lui offrir deux papas, après avoir été brutalisé, souvent, et en porter encore les traces, comment donc, accepter l’idée de se sacrifier pour sauver l’humanité ?
Est-ce que cette humanité en vaut vraiment la peine ?
Chacun des personnages que tu vas croiser dans cette cabane, aux confins du monde, va te sembler tour à tour, bourreau ou victime.
C’est sans aucun doute lié à l’écriture remarquable de Paul Tremblay.
J’ai lu quelque part une question sur l’existence de Dieu.
Il était dit, ou à peu près : Dieu, c’est le type qui nous a créé et qui vit là-haut, dans les nuages. Il nous regarde nous démener, du mieux qu’on peut, avec nos qualités et nos défauts.
En revanche, si on fait une connerie, il est capable de nous condamner à une éternité de souffrance abominable.
Mais il nous aime…
Alors sans doute que Paul Tremblay m’a permis, à nouveau, de croire en l’homme et d’imaginer, que l’amour, finalement, sera ce qui nous sauvera de notre prétendue omnipotence…
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laure Manceau.
Nicolas.
La Cabane aux confins du monde, Paul Tremblay, Gallmeister / Totem, 352 p. , 11€.