Californie, 1977.
Alors je vous arrête tout de suite : ôtez de votre esprit les bandes de hippies, les pantalons pattes d’eph et les jupes à fleurs, les plages sans fin, le soleil et les chansons des Bee Gees. Car Les derniers géants est plutôt construit à l’ombre des séquoias pluricentenaires éloignés des villes et des bouleversements politiques et sociaux de ces années-là – tout du moins au début. Le roman prend naissance au coeur de la nature, entre arbres de plusieurs dizaines de mètres de haut et ruisseaux sauvages, dans la pluie et la boue. C’est là que vivent Rich, bûcheron quinquagénaire dont le père et le grand-père ont perdu la vie en pratiquant ce même métier, et Colleen et Chub, sa femme et son fils.
Et je vous le dis : si vous ouvrez ce livre, vous ne pourrez pas arrêter avant de l’avoir fermé. Vous voilà prévenus. Car pour son premier roman, Ash Davidson montre une maîtrise de la narration impressionnante, dans la lignée d’auteurs de la trempe de Michael Christie, Ron Rash ou Richard Powers, décrivant à la perfection les rapports entre l’homme et la nature, mais aussi entre les êtres humains eux-mêmes.
Rich et Colleen ont en apparence tout pour être heureux : Rich aime viscéralement son métier, mais aussi sa femme et son fils – qui le lui rendent bien. Il travaille pour la grande compagnie forestière du coin qui fait vivre toute la région, transmet l’amour de la nature à son fils, tandis que sa femme assiste les femmes qui accouchent dans les villages alentour. Mais rapidement, les premières failles apparaissent : afin de préserver le futur de sa famille, Rich achète une parcelle forestière pour l’exploiter – mais sans en parler à sa femme ; quant à cette dernière, elle se remet difficilement de fausses couches à répétition, et trouve de plus en plus difficilement le chemin du dialogue avec son mari.
Dans le même temps, les conditions d’exploitation des compagnies forestières commencent à être contestées par les militants écologiques, symbolisés par le retour de Daniel, le premier amour de jeunesse de Colleen, bien décidé malgré les menaces à révéler au grand jour les pratiques industrielles dangereuses. Peu à peu, les preuves deviennent incontestables : les analyses de cours d’eau montrent un empoisonnement aux pesticides, régulièrement projetés par avion pour faciliter le travail des bûcherons, les animaux commencent à mourir, les grossesses tournent au drame, les glissements de terrain se font plus nombreux…et les tensions montent entre les exploitants forestiers et les bûcherons d’une part, qui ne veulent pas renoncer à leur profit et à leur seule source de revenus, et les défenseurs de la nature de l’autre.
Le talent romanesque de la jeune autrice fait que l’on est embarqué dès la première ligne dans les différentes pistes du récit, que ce soit par l’attachement aux personnages principaux comme secondaires, subtilement construits, ou par l’intrigue dramatique s’installant peu à peu. Et bien évidemment, la force et l’intérêt de ce roman résident tout particulièrement dans sa capacité à mettre en avant les grands enjeux politiques, sociaux et environnementaux de notre époque : les combats entre argent et écologie, l’aveuglement face aux catastrophes à venir, les drames humains et les catastrophes naturelles qui en découlent. « Qui aurait pu prédire » ce qui nous attendait ? Et bien, lisez ce livre, et vous saurez.
Traduction Fabienne Duvigneau.
Mélanie.
Les derniers géants, Ash Davidson, Actes Sud, 528 p. , 24€50.
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La couverture est superbe
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