La vie de Marie de France, poétesse de la fin du XIIe siècle que nous connaissons pour ses lais et ses fables (fables que j’ai pour ma part découvertes seulement très récemment), reste encore un mystère à ce jour. Lauren Groff en fait ici un personnage flamboyant et nous donne l’envie irrésistible de partir à notre tour sur ses pas.
A 17 ans, la Marie de l’autrice est envoyée par la reine Aliénor dans une abbaye en perdition dont elle doit devenir la nouvelle prieure. Très grande, au visage disgracieux et aux manières rustres, Marie est accueillie avec circonspection en sa nouvelle demeure, elle-même vit cela comme un exil immérité. Alors qu’elle se plonge dans les comptes et la correspondance de l’abbaye, elle va vite se rendre compte qu’elle a beaucoup à apporter à ses soeurs. Peu à peu, la foi grandit en elle et des visions commencent à la guider pour éloigner ces femmes de la malefaim et de la mort qui guettent.
Marie est un personnage riche et ambivalent. Tout à fait consciente de son orgueil, usant de ruse et d’une vive intelligence, balayant d’un revers de main la faiblesse supposée du sexe féminin, elle n’aura de cesse de protéger son troupeau et le fruit de son travail avec une humanité et une fougue qui marqueront durablement ceux qui l’auront rencontrée.
Au coeur de cette communauté religieuse, désir et amour ne sont pas de vilains mots et ce sont bien eux qui guident notre héroïne aussi sûrement qu’une grande ambition qu’elle affirme envers et contre tout.
Marie se pare d’une modernité insolente et nous séduit jusque dans les moindres détails. Cette communion entre elle et les lecteurs français ne pourrait être aussi parfaite sans le travail minutieux de Carine Chichereau, traductrice virtuose de la plume fougueuse et facétieuse de Lauren Groff.
Aurélie.
De Marie de France on ne connait que ses contes tirés de lais bretons, l’amour courtois cher au XIIe siècle, poétesse écrivant en langue vulgaire, mais le reste semble un mystère.
Lauren Groff, avec la traduction magistrale de Carine Chichereau, s’y penche, sœur littéraire d’une Marie franchement pas niaise.
Le style, déjà, tout à la fois contemporain avec ce trait au liner de l’esprit d’époque, est-ce à dire la cour d’Aliénor d’Aquitaine. Oui, j’aurais pu t’écrire « à la cour d’Henri II » mais Lauren Groff prend le parti des plus inspirantes, toute en sororité.
Cela débute plutôt mal pour Marie, celle-ci a des élans pour Aliénor qui l’envoie rapidement balader au sein d’une misérable abbaye anglaise où elle devient prieure. Sachant que Dieu ne lui a pas encore donné la foi, elle devra se débrouiller, s’y résoudre.
« Au premier printemps qu’elle passe à l’abbaye, Marie plante des noyaux d’abricot qu’elle a volés dans le jardin de la reine pour les éloigner d’elle, ils lui rappellent trop tout ce qu’elle a perdu. Ils auront du mal à grandir, se couvriront de petites feuilles malingres. elle aura l’impression que sa propre vie vie est liée à ces arbres. elle ne sait pas encore si elle a envie de les voir prospérer ou mourir. »
Dès lors, Matrix prend son ampleur, se déploie.
Marie va utiliser cette structure pour s’entourer, produire, construire, mettre en place une communauté de femmes ayant chacune leur puissance.
Marie arrache.
Il est donc assez jouissif de lire cette vision rock and roll de Lauren Groff pour son héroïne.
« (…)Mais, dit Marie, elles luttent aussi avec l’or.Et en quantité, elle est au regret de l’admettre. Elle paie pour qu’on chante des chansons, qu’on raconte des histoires dans les rues. Elle inonde les artères de Londres, de Paris, de Rome, de chants et de rumeurs sur la piété de ses sœurs, la puissance de l’abbaye, la sainteté de Marie, et le grand miracle du labyrinthe. Elle rit. De l’argent et des histoires. Information et empathie. Il n’existe pas de vraies défenses contre une telle offensive. C’est Aliénor elle-même qui le lui a enseigné. »
Matrix est un roman de femmes captivantes, mystiques, sensuelles, libérées, puissantes, déjouant le dogme paternaliste pour y créer leur Éden .
Je vous salue donc Marie… de France et consorts.
Un beau coup au cœur!
Fanny.
Matrix, Lauren Groff, Éditions de l’Olivier, 304 p. , 23€50.
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