L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Le Territoire sauvage de l’âme, Jean-François Létourneau (L’Aube) – Yann
Le Territoire sauvage de l’âme, Jean-François Létourneau (L’Aube) – Yann

Le Territoire sauvage de l’âme, Jean-François Létourneau (L’Aube) – Yann

« Et si l’esprit du Nord n’était que le rire de tes élèves résonnant dans le vide de la toundra ? »

On n’en finit plus, et c’est une bonne chose, de découvrir les littératures québécoises, des voix qui, autochtones ou non, révèlent au fil des pages les réalités d’un territoire aux enjeux bien plus complexes que ce que nos regards d’européens veulent bien en voir. Ainsi Juliana Léveillé-Trudel et son Nirliit, ainsi Michel Jean et son Kukum, ainsi encore Gabrielle Filteau-Chiba et son Encabanée, et tant d’autres apparus ces dernières années, parfaites illustrations d’une richesse et d’une vitalité éclatantes. La Peuplade, XYZ, Mémoire d’Encrier, autant de maisons qui contribuent à cet élan vers l’Europe, faisant tomber au passage barrières et préjugés en mettant un grand coup de canif dans les cartes postales que l’on se faisait de ces contrées (de moins en moins) sauvages. Certains de ces textes résonnent, et c’est normal, d’une colère et d’une tristesse infinies devant les ravages causés par les colons sur les populations autochtones ou devant les dégâts environnementaux provoqués par la cupidité sans fin de l’homme. D’autres s’attellent à garder foi, même si ça n’est pas forcément évident. On pourrait placer Jean-François Létourneau à la confluence de ces visions.

Si Le Territoire sauvage de l’âme (ce titre, déjà !) dresse au final un constat plus qu’amer sur l’aménagement parfois brutal du pays, il est en même temps profondément empreint de douceur et de poésie qui évitent à ce court roman de n’être qu’une charge de plus contre le « progrès » et l’inexorable avancée de l’homme sur des terres jusque-là préservées. Prenant ses marques à cheval sur deux époques et deux régions distinctes du Québec, Jean-François Létourneau invite à ouvrir les yeux sur le monde, à prendre conscience de la richesse de ce qui nous entoure, avant que tout n’ait définitivement disparu. Guillaume, jeune instituteur, est muté dans le Nord, chez ces Inuits qu’il ne connaît pas et va apprendre à découvrir grâce à une passion commune pour le hockey. Rejoignant ici Juliana Léveillé-Trudel, l’auteur ne peut que constater les difficultés auxquelles sont confrontées ces populations autochtones du Nord qui voient défiler chaque année de nouvelles têtes venues de la ville pour tenter de leur enseigner quelques bases avant de repartir chez elles. Conscient de la fragilité de cette relation qui s’ébauche, Guillaume sait que le moment viendra où lui aussi partira. Et c’est ce départ et cet après qui constituent le pendant du récit, lorsque Guillaume, installé avec femme et enfants en Estrie, ne peut que constater le passage prochain d’une autoroute derrière le terrain qu’il occupe.

« La vieille maison n’a jamais connu les écrans, que des fenêtres ouvertes sur les bois : une demeure faite pour des gestes lents, pour le silence et les chandelles. »

Photo : D.R.

Plutôt que de la colère, c’est une sorte de résignation, de fatalisme qui semble imprégner ces pages devant l’inéluctable avancée de la civilisation. Mais c’est aussi, et surtout, une formidable envie de découvrir et de partager la beauté du monde, une célébration de chaque instant à laquelle il est bon de se laisser aller. Que ce soit dans les terres du Nord ou sur son terrain en Estrie, Guillaume garde les yeux et les oreilles grand ouverts sur l’éclatante splendeur de ces lieux où il a la chance de pouvoir vivre.

« Les chants désespérés sont les chants les plus beaux » disait Musset. Celui que l’on entend dans ces pages n’est sans doute pas désespéré mais il est suffisamment mélancolique pour que s’en dégage une grâce qui touche au coeur et réveille en nous l’envie de retrouver cette harmonie avec ce qui nous entoure. Pour son premier roman, Jean-François Létourneau a fait mouche et su trouver une vraie voix, poétique et sensible, à l’écoute du monde. À cet égard, Le Territoire sauvage de l’âme constitue une excellente surprise de ce début d’année qu’il serait dommage d’ignorer.

Yann.

Le Territoire sauvage de l’âme, Jean-François Létourneau, L’Aube, 168 p. , 17€90.

0 commentaire

  1. Oui, j’ai vraiment trouvé beau, poétique et un peu désespéré, mais pas tant que ça. Ceci dit, on sent un truc inéluctable qui touche ce nord et ses habitants. Et c’est triste. N’empêche, grosse envie d’y aller voir, meêm si je me dis qu’il vaut mieux leur fiche la paix

    1. lerayyann

      Entièrement d’accord, je suis comme toi, partagé entre l’envie de découvrir ces terres et ces gens d’un côté et l’idée que ça ne leur rendrait pas forcément service de l’autre.

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