Marie-Hélène Lafon, la magicienne qui arrive à faire lire jusque très tard dans la nuit une libraire épuisée !
Dès les premières lignes, on sent, on sait dans quelle situation se trouve la narratrice. En 1967, dans cette ferme reculée, loin de leurs familles respectives, un couple et leurs trois enfants vivent très confortablement matériellement mais subissent une tension quotidienne qui ne fait que croître depuis le mariage fin 1959. Elle est marquée dans sa chair par des années de violence et d’isolement, il est excédé en permanence par cette femme qui ne sait que se laisser aller.Entre eux, deux filles et un garçon, sept, cinq et quatre ans, trois enfants qui perçoivent la douleur et l’angoisse ambiantes, en souffrent.
Dans une société paysanne en profonde mutation, « ce qui ne se fait pas » devient finalement un possible. Reste à voir ce qui adviendra ensuite de ce noyau familial vacillant, de cette ferme qui se développe mais qui n’aura peut-être pas de suite.
Marie-Hélène Lafon révèle l’intime avec une pudeur magnifique et soulève l’air de rien des enjeux sociétaux majeurs. Chaque personnage présente sa part d’ombre et de lumière, doit trouver son chemin dans ce monde paysan pragmatique et exigeant, dans une époque où ce qui a toujours été n’a plus à être une règle absolue. Nul jugement dans ce livre, juste une exploration extrêmement fine des mécanismes d’un couple, d’une famille en un milieu très codifié qui commence à se fissurer.
La langue de Marie-Hélène Lafon est un vrai bonheur, a eu un effet apaisant vraiment physique sur moi. Tout au long de ma lecture j’ai été extrêmement consciente de tenir entre mes mains un des meilleures romans de cette rentrée d’hiver.
Aurélie.
Et BAM.
Pourtant ce n’est pas un mouvement violent l’écriture de Marie-Hélène Lafon, pourtant elle ne s’attache aucunement à décrire une scène glauque, et pourtant… cette émotion puissante d’avoir vécu au plus proche de ses personnages, dans leurs silences, leurs regards, leurs peurs, leurs chairs.
Te voilà durant ces années 60, dans le Cantal, au sein de cette ferme isolée, belle exploitation, trois beaux enfants, Isabelle, Claire et Gilles.
Puis arrive cette première scène marquant le pas, il s’agit d’une masse, un homme, le père, dormant sur un banc. Il ne faut pas le réveiller, de peur de voir se réveiller cette rage vénéneuse.
Une femme, la mère, épuisée, rendue à ne plus s’aimer, veille à faire tout comme il se doit. Même si elle ne sait plus, comment faire dans l’ordre, quel ordre, de toutes les manières, le père ne sera jamais satisfait.
Marie-Hélène Lafon creuse les angoisses avec cette magnifique simplicité du trait. Oui, l’auteure dessine un paysage comme elle dessine ses personnages, s’appuyant sur de petits traits pour en faire ressortir l’orage.
« Elle connaît chaque tournant, même si elle n’a encore jamais conduit seule jusqu’à Aurillac. Elle ne regarde plus vraiment ce qu’elle voit, des maisons, des granges, des étables, le foin déjà haut dans les prés, les vaches, des vaches, encore des vaches, et partout des fleurs dont elle ne sait pas le nom ou des marguerites éclatantes. Elle est séparée de la joie du printemps; elle s’en souvient, ça n’est pas si loin, 1957,1958, dix ans à peine, mais elle est comme fendue en deux. Ils se sont mariés un 30 décembre, et elle pense souvent qu’elle est entrée, en se mariant avec lui, dans une sorte d’hiver qui ne finira pas(…) «
Sur trois périodes, Marie-Hélène fait parler la mère, le père, Claire. Sur trois tempos, elle fait résonner le cœur de ce monde taiseux, les lâchetés, les fulgurances, la colère et le soleil derrière l’ombre des collines.
Les sources est un roman poignant, inoubliable.
Fanny.
Les Sources, Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel, 128 p. , 16€50.