L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Albuquerque, Dominique Forma (La Manufacture de Livres) – Seb & Nicolas
Albuquerque, Dominique Forma (La Manufacture de Livres) – Seb & Nicolas

Albuquerque, Dominique Forma (La Manufacture de Livres) – Seb & Nicolas

« Seligman est un simulacre, une illusion plastifiée aussi bidon que le sont les numéros de sécurité sociale et les permis de conduire des époux Asheton. À quatre heures trente du matin, Seligman est surtout un lieu sans trace de vie. Le monde merveilleux du souvenir en toc est à son plus bas régime, les premiers touristes ne réapparaîtront qu’à partir de neuf heures.

La majorité des enseignes totémiques sont éteintes. Pourtant, leurs ombres se découpent en leur partie supérieure sur le ciel clair de cette nuit. Elles sont les reliefs païens d’un monde identique à celui qu’offre Disney dans une version plus enfantine, en Californie. »

Photo : D.R.

L’histoire. Nous sommes à peine quatre mois après la chute des tours jumelles à New-York. Jamie Asheton vit dans la crainte et l’angoisse depuis dix ans. Et là, maintenant, de la guérite où il travaille, il voit avec effroi s’approcher deux hommes dans une grosse berline. Il sait qu’ils viennent pour lui. Ils l’ont retrouvé. Aucune autre alternative que de filer, passer chercher sa femme et fuir à toute vitesse. Direction Los Angeles où se trouve le service de protection des témoins.

171 pages. Tout tient dans 171 pages. Des feuilles toutes droites, qui filent, comme la route qui taille à travers le désert que tu peux admirer en couverture. Cette couverture, je la trouve extrêmement belle. C’est d’ailleurs elle qui m’a fait m’arrêter sur ce roman noir. Tu vois, de l’importance de chiader la couv.

Dominique Forma, il a vécu longtemps aux States (pour prononcer le mot, c’est mieux si tu as un chewing-gum et un petit air condescendant à prendre deux claques). Il a vécu aux States et ça se voit. Il connait le pays. Pas la statue de la liberté, pas feu les tours jumelles, pas le grand canyon, non, il connaît la faune qui vit dans les périphéries, il sait les endroits où la vie palpite tant bien que mal, ces lieux où la fin du mois commence le 15. Il a croisé ces gens qui triment et à qui Donald le Rouquin parle en soufflant sur les braises d’un bien mauvais feu. Le genre de feu qui dévorait les croix la nuit devant les maisons des Noirs, dans le sud surtout. Mais ce n’est pas le sujet.

M’sieur Forma, il a écrit un récit-voyageur (c’est tout ce que j’ai trouvé pour ne pas utiliser road-movie). Et en littérature, c’est peut-être ce qu’il y a de plus dur à faire sans tomber dans les clichés. Mais comme il connaît bien le pays, ces clichés-là, m’sieur Forma, il les évite facile.

Dans cette cavale à travers le rien et le néant d’un pays trop vaste, on sent la grande solitude de ces deux êtres sous pression, Jamie et Jackie. Un mari et une femme unis par un mariage en disgrâce. L’auteur, il sait te faire sentir la frustration, celle d’avoir le sentiment d’être passé à côté de sa vie, d’y être passé d’un rien, juste un cheveu, mais à côté pour de bon. Il te fait éprouver le ressentiment qui copule avec l’amertume, et la facilité de le reprocher à l’autre. Enfin, c’est surtout Jackie qui en veut à Jackie.

Photo : https://www.moi-voyageuse.com/ROAD-TRIP-USA-Albuquerque-Nouveau-Mexique

Chaque page est imprégnée de stress, d’angoisse, de mal être. C’est sale, poisseux, c’est poussiéreux et trop chaud, les nuit sont trop froides et les cœurs trop seuls. Dans ce roman, on découvre une autre version des grands espaces, et ça ne fait pas rêver. Il y a des scènes puissantes et évocatrices de la perdition d’un pays, d’un système. Si tu achètes ce livre, quand tu seras au passage ou le couple se restaure au IHOP, tu comprendras. Tu comprendras aussi lorsque Dominique Forma dézingue le mythe de la route 66. C’est du grand art.

Et puis il y a de vraies phrases dans ce roman, ce n’est pas tout à fait le cas de tous les romans noirs qu’on nous propose, on ne va pas se mentir hein. Le genre de phrase décochée comme une flèche, que tu ne vois pas arriver, que tu n’entends pas arriver, mais que tu sens bien piquer ton âme de lecteur. Comme celle-ci : La vérité est une poudre piquante qu’on laisse fondre sur le bout de sa langue.

Avec mon tamis de lecteur, ce sont ces phrases-là que je cherche. Ils ne sont pas des masses à pouvoir faire ça, te faire sentir la sueur qui imprègne la chemise, qui te fige le front, à te faire sentir l’épuisement de dix années à vivre dans la peur, à te faire sentir l’usure que l’angoisse produit sur un couple. Le déracinement, la perte de sens.

Je ne vais pas t’en faire des tonnes. J’arrête, tu as encore le temps de passer chez ton libraire, 12,90 qu’il coûte ce roman, à peine plus qu’une saloperie de paquet de clopes.

Seb.

C’est ma libraire qui me l’a passé.

Elle m’a dit « Tu l’as lu ? » et j’ai dit non.

Alors elle me l’a mis dans les mains.

Alors je l’ai gardé dans les mains, parce que c’est un petit roman, genre poche et que t’as que 170 pages à lire et que ça tient finalement pas beaucoup de place justement dans la poche.

C’est pas beaucoup 170 pages. Mais c’est suffisant si tu sais raconter des histoires.

Pas évident de raconter une histoire qui se tienne en 170 pages toutes petites.

Tout le monde sait pas faire.

Dominique Forma, c’est pas tout le monde, je vais pas te mentir.

Le pitch, donc.

Un gardien de parking. Il s’appelle Jamie Asheton. Il est marié à Jackie. Avant, ils s’appelaient pas comme ça. Ils s’appelaient Damian et Eva. Mais il a fait un truc qui l’a obligé à changer de nom, de vie, de tout.

Ça fait onze ans qu’il a la trouille.

Onze ans de trouille, c’est beaucoup.

Le jour où une Firebird (tu regarderas sur Wikipédia) s’approche de sa guérite, il pige que c’est fini.

Qu’il faut qu’il se casse, avec Jackie.

Alors il part pour Los Angeles.

Le livre, c’est ça. La route jusqu’à L. A.

Un truc important, je crois, Jackie, elle l’aime plus.

Voilà.

Tout le long de ta lecture, tu vas garder le pied sur l’accélérateur, comme Jamie.

Tout le long de ce roman, tu vas chercher l’endroit où t’arrêter, enfin, pour être peinard.

Tu vas prendre des coups dans la gueule, les balles vont te frôler de temps en temps, mais comme Jamie, tu vas te relever, parce que t’es pas mort…

Ce roman, ça aurait pu ressembler à ces « road-movies » américains, dont tu retiens finalement pas grand-chose quand tu refermes le bouquin, mais c’est pas le cas.

C’est un roman plein.

Rempli.

L’écriture est parfaitement liée à ce qui arrive à Jamie et à Jackie.

Elle avance, vite, parce que c’est le seul moyen de s’en sortir.

C’est pour ça que parfois tu vas être un peu essoufflé.

Pas beaucoup, mais un peu.

Et puis tu vas te rendre compte, au fil des pages, que Dominique Forma te raconte une histoire d’amour, et ça, tu l’auras pas vu venir. Comme Jackie, qui est sûr que Jamie est l’antithèse de celui qu’elle a pu aimer il y a quelques années.

Qu’est-ce qui risque de changer ça ? Tu verras.

C’était pas gagné de raconter une histoire d’amour à travers les pages de ce roman noir.

C’était pas gagné parce que c’est facile de tomber dans le cliché merdique genre que tu connais.

On est à des bornes du cliché merdique.

On est dans l’art du roman court où l’auteur te laisse le choix.

Il t’emmène, ou il te laisse sur le bord de la route.

Monsieur Forma, il m’a emmené, et comme tu me fais confiance, il va t’emmener aussi…

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.

Nicolas

Petit hommage à Breaking Bad, qui ,comme tu le sais, se passe à Albuquerque…

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