L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Nos petits classiques – Et au milieu coule une rivière, Norman McLean (Rivages Poche) – Yann
Nos petits classiques – Et au milieu coule une rivière, Norman McLean (Rivages Poche) – Yann

Nos petits classiques – Et au milieu coule une rivière, Norman McLean (Rivages Poche) – Yann

« Dans notre famille, nous ne faisions pas clairement la distinction entre la religion et la pêche à la mouche. »

La Blackfoot River – Crédit : Lynne V. Buchanan.

Une phrase et tout est là, tout ce qui va illuminer ce grand petit roman de bout en bout. Car c’est bien d’un petit bijou qu’il est ici question, d’un classique dont on se demande encore pourquoi on ne le découvre que maintenant. Disons que c’était le bon moment, celui où le texte nous touche au plus profond, celui où les mots de Norman McLean résonnent au mieux avec les sentiments qui nous habitent. Il est également important de rappeler qu’avant d’être un film réalisé par Robert Redford, Et au milieu coule une rivière (ce titre !) est ce roman de 200 pages qu’on se promet déjà de relire et de partager aussi souvent que possible.

Chronique familiale inspirée par sa propre enfance, le récit se concentre essentiellement sur quelques parties de pêche partagées par l’auteur avec son frère Paul, son inénarrable beau-frère Neal et, pour la dernière d’entre elles, avec son père, ancien pasteur. Les paysages sauvages du Montana servent de décor grandiose à ces mini-épopées sur la Wolf Creek ou la Blackfoot River, lors desquelles les deux frères se livrent sans se le dire à une lutte acharnée pour pêcher avant l’autre son quota de poissons. C’est qu’ici, on ne plaisante pas avec la pêche et les deux hommes ont à coeur de respecter les leçons apprises de leur père et d’en améliorer les techniques. Alors, quand ils se retrouvent contraints d’emmener avec eux Neal, alcoolique, vantard et très mauvais pêcheur, ils savent que les choses risquent de déraper un peu et qu’il leur faudra oublier leurs rituels pour une journée… Cet épisode est au coeur du roman et en constitue en quelque sorte l’épine dorsale. Norman McLean y fait preuve d’un humour irrésistible et parvient à faire de cette journée chaotique un summum de drôlerie et de tendresse.

De la tendresse, ces pages n’en manquent pas, elle imprègne chacun des mots de l’auteur quand il évoque les membres de sa famille, y compris (et surtout) Paul, ce frère tant aimé, incontrôlable et bagarreur, qui, une canne à la main, se transforme et devient un autre, aussi à l’aise au milieu de la rivière qu’un de ces poissons qu’il n’aura de cesse d’essayer de mieux comprendre afin de mieux les pêcher.

« Au-dessous de lui et tout autour de lui coulait la rivière. Des deux côtés du rocher qui séparait le courant en deux s’élevait une vapeur à gros grains. Les mini-molécules d’eau nées dans le sillage de la ligne de Paul formaient comme des boucles d’éphémères fils de la Vierge qui disparaissaient si rapidement dans la vapeur que seule la mémoire pouvait, en les prolongeant un instant, matérialiser ces boucles. La fine écume qui émanait du corps de Paul l’enfermait dans un halo qui avait sa forme. Ce halo ne cessait d’apparaître et de disparaître comme la lueur clignotante d’une chandelle. Les images successives de lui et de sa ligne disparaissaient les unes après les autres dans les vapeurs nées de la rivière qui montaient en spirale jusqu’au sommet des falaises. »

Ces quelques lignes de pure beauté donnent une vague idée de ce que l’on peut ressentir à la lecture du roman. L’écriture de Norman McLean sait être lumineuse et semble parfois touchée par la grâce, comme si la splendeur des paysages s’y imprégnait et lui donnait la fluidité et la finesse des eaux dont il parle. Et au milieu coule une rivière est la déclaration d’amour d’un homme à sa famille en même temps qu’au pays dans lequel il vit. C’est aussi un texte poignant sur les liens qui nous unissent et la complexité des rapports humains, surtout quand ils sont fraternels. À cet égard, le portrait qu’il livre de Paul, véritable figure centrale du roman, est extrêmement touchant et l’on ne peut que partager la douleur de l’auteur lorsqu’il sait que rien ne pourra sauver son frère, si ce n’est lui-même.

« Il y avait certaines questions relatives à l’univers sur lesquelles mon père n’avait pas l’ombre d’un doute. Toutes les bonnes choses, estimait-il – que ce soit la truite ou le salut de l’âme – viennent par la grâce. La grâce vient par l’art, et l’art est difficile. »

Un livre à lire et à relire sans modération tant il fait bien au coeur et à l’âme.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Claire Pasquier.

Yann.

Et au milieu coule une rivière, Norman Maclean, Rivages / Poche, 205 p. , 8€70.

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