L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Femme fleuve, Anaïs Barbeau-Lavalette (Marchand de feuilles) – Fanny
Femme fleuve, Anaïs Barbeau-Lavalette (Marchand de feuilles) – Fanny

Femme fleuve, Anaïs Barbeau-Lavalette (Marchand de feuilles) – Fanny

Photo: Fanny

Toujours cette beauté subtile des histoires d’Anaïs Barbeau-Lavalette.

Femme fleuve  est une suite à Femme forêt , elle-même suite de Femme qui fuit : un temps des femmes, des histoires de liens, de renaissances, de résiliences, de pardon, d’instinct, de liberté et de désir. Au sein de cette famille, une palette incroyable de couleurs.
Dans Femme fleuve, tu évolues dans un grand bleu, bleu outremer, bleu de Prusse, bleu nuit, bleu ciel, bleu vert, bleu phtalo, lapis-lazuli, cobalt, azurite, bleu d’Alexandrie et autres Ailleurs.

Une femme, un « je » affirmé, prend sa liberté sur un temps, sans son homme ni sa fille, afin de rester quelques jours sur une île pour y écrire. Un endroit particulier, sorte d’île du village qui pourrait être cette ancienne colline de Saint Ignace du Lac, inondée au début des années 30 pour la mise en place d’un réservoir nommé « Taureau ».
Femme fleuve t’immerge dans un imaginaire car l’île est déjà porteuse d’onirisme, comme un temps quasi mythologique. Anaïs Barbeau-Lavalette arrive à te décrire ce paysage mêlant langue de terre et langue fluviale tout comme se mêle poésie et science.
L’auteure y invoque Melville, Sciascia, Baricco, Hugo, Jacques Roumain, Murakami, Monet, Caillebotte, Mona Chollet, Aspasie, Turner…tout comme elle te chuchote les vérités du fleuve, les étoiles de mer se retirant leurs bagues, la vena amoris, les 1197 kilomètres du fleuve Saint-Laurent, son hypoxie par endroit, l’élyme des sables, l’histoire d’une perle.

Cette femme choisit son désir comme elle choisit son paysage, elle y donne des couleurs, reçoit l’écho d’un peintre cherchant, lui, à capturer les couleurs du fleuve.
Lors de cette rencontre d’une intensité folle, j’ai eu la vive impression que l’héroïne partait à la rencontre d’un homme ayant les traits de Katsushika Hokusai, ce peintre de la nature et des états d’âme complexes.
J’ai pensé à ce tableau « Tako to ama », « l’ Ama et le Poulpe » ou encore « Le rêve de la femme du pêcheur », l’illustration animiste d’une jouissance mutuelle entre une pêcheuse d’ormeaux et deux pieuvres. Le désir féminin dans toute sa volupté. 
Ama est aussi un prénom féminin d’origine nord amérindienne signifiant « eau » en Cherokee, c’est aussi le prénom donné à la fille de notre femme fleuve.

Dans ce roman, j’ai aimé me retrouver dans une sorte de hors-champ, mêlant passé lointain et proche, imaginaire ondoyant comme une bouquet d’algues, réalité poétique, hommage sincère à des proches, l’amer remarquable Sacha, le grand-père Marcel, l’indispensable Janine Barbeau – à laquelle ce livre est dédié -.

Femme fleuve  nous partage son désir, ce qui peut en être palpable, comme lorsqu’elle découvre un pinceau en poils de zibeline appartenant à son aïeul artiste. 
L’auteure pêche ses mots avec la plus grande délicatesse, comme si elle prenait ce temps de nous faire découvrir, dans la paume de sa main, le plus beau des coquillages.
C’est d’une douceur inouïe cette précision, cet engagement sincère, cette poésie de l’instant.

« Je cueille quelques mèches de lichen, que je porte à nos bouches. ça craque sous la dent. Le lichen est le fruit d’une rencontre entre une algue et un champignon. Au dix-neuvième siècle, on ne pouvait envisager le lien entre deux espèces étrangères que sous l’angle du parasitisme. L’idée qu’elles puissent s’appuyer l’une sur l’autre pour exister était impossible. (…) Mais le lichen n’est ni une plante ni un champignon ni une algue. il est une symbiose entre deux espèces, qui transgressent les frontières. le champignon lèche les cellules de l’algue, qui s’ouvrent pour l’accueillir. Il se faufile entre elles et les deux espèces fusionnent pour en devenir une neuve, le lichen.(…) »

Au détour d’une empreinte charnelle devenant indélébile, notre héroïne nous livre, dans sa sincérité, le cycle d’une passion se frottant au réel. 
Cette impression de quitter la solaire intemporalité insulaire pour rejoindre une réalité citadine, crue, presque violente. 
L’héroïne éprouve et nous fait éprouver cette beauté insaisissable, parfois belle à couper le souffle, parfois piquante comme la carapace d’un oursin. 
La femme suit les mouvements lents et inéluctables du fleuve, ses variantes de bleu, ses histoires, ses naufrages, sa survie, son paysage immergé, ses vies, tout comme elle nous fait vivre les battements de son cœur, les palpitations de sa chair vers ceux et celles qu’elle aime, passionnément. 

Femme fleuve  est le trajet d’une femme libre, d’hier ou d’aujourd’hui, construisant son chemin, invitant à goûter à la vie et aux autres, dans un élan sublime des cinq sens.

Fanny.

Femme fleuve, Anaïs Barbeau-Lavalette, Marchand de Feuilles, 24€50.

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