Déjà, la couverture, une vraie réussite, nous met dans l’ambiance : le titre, alléchant et faisant déjà naître le mystère (Qui parle à la première personne ? Qui sont les membres de cette famille disons…atypique ? Qui ont-ils tué ? Comment?), le graphisme, qui évoque des génériques hitchcockiens qui auraient été modernisés, l’iconographie, qui joue elle aussi avec les codes en évoquant les grands classiques des meurtres littéraires et cinématographiques – mais aussi les parties effrénées de Cluedo par les dimanches après-midis pluvieux lorsqu’il s’agissait de proposer l’arme du crime : avec la machette ? Le poison ? Le revolver ?
Bref, avant même d’ouvrir la première page, ce roman est un jeu. S’il y a une seule chose que je peux vous dévoiler ici sans briser votre plaisir, c’est bien celle-ci : la lecture reste jubilatoire jusqu’à la dernière ligne, et la vraie réussite réside dans l’intelligence de la démarche : si vous n’avez lu ou vu qu’un seul polar dans votre vie, vous allez vous régaler ; si vous avez lu ou vu dix milliards de polars dans votre vie, vous allez (encore plus) vous régaler. Ce qui est certain, c’est que Benjamin Stevenson en a lu ou vu, des polars, qu’il les a assimilés, décortiqués, disséqués, maîtrisés – et que son plaisir d’écrivain est à la hauteur de celui du lecteur. Derrière le côté ludique, jubilatoire, drôle (et oui, on rit beaucoup et le fait que Benjamin Stevenson soit aussi un maître du stand up australien ne doit pas y être pour rien) se cache une maîtrise impressionnante de l’écriture du genre policier qui, on ne le voit hélas que trop souvent, peut très vite s’avérer désastreuse si elle est pratiquée à la légère ou à la va-vite (je vous laisse chercher les noms).
Afin d’entrer immédiatement dans les codes du genre et la mise en abyme permanente, Benjamin Stevenson a trouvé une astuce, aussi astucieuse qu’évidente : son narrateur, Ernest Cunningham, Ern pour les intimes, est un spécialiste du roman policier et a pour Bible les 10 commandements pour l’écriture du roman policier, écrit par Ronald Knox en 1929. Ces derniers, reproduits à la première page du roman, sont un premier plaisir car ils font immédiatement venir à l’esprit des dizaines de références ou de contre-exemples. Je vous laisse jouer avec ceux-là : « le détective ne doit pas être l’auteur du crime », « l’ami idiot du détective, son Watson, doit verbaliser tout ce qui lui passe par la tête ; son intelligence ne doit être que légèrement inférieure à celle du lecteur moyen » ou encore « les jumeaux ou les sosies doivent généralement être évités, à moins que le lecteur y ait été dûment préparé ».
Sitôt après, on rentre dans le cœur de l’intrigue : les Cunningham sont une famille, disons…comme les autres ? – avec son lot de drames, de mesquineries, de divorces et remariages, de tantes un peu psycho-rigides, de fils prodigues et de belles-filles un peu fofolles mais sympas. Dans ce contexte, le moins que l’on puisse dire est que Ern (si vous avez bien suivi, le narrateur du roman, donc) ne saute pas de joie à l’idée des retrouvailles familiales organisées par sa tante Katherine à coups de tableaux Excel permettant de connaître les goûts et allergies de chacun. Les invités arrivent peu à peu dans l’hôtel montagnard réservé pour l’occasion – avec comme clou du spectacle, Michael, le frère de Ern, qui sort de trois ans de prison (pour quelle raison ? Mais vous ne croyez quand même pas que je vais vous le dire ?). Juste après lui débarque l’invitée surprise du week-end : la tempête, qui les isole rapidement du reste du monde.
À partir de là, inutile que je tente de résumer une quelconque intrigue. Celle-ci se dévoile progressivement au cours de la lecture et se construit en chapitres construits autour de chacun des membres de la famille du narrateur (même là, on rit, je vous laisse découvrir comment et pourquoi). Derrière une intrigue qui ne s’encombre pas toujours de réalisme ou de vraisemblance parce que là n’est pas l’intérêt, derrière un ton léger et ludique, l’ensemble impressionne par sa maîtrise et ses références innombrables – c’est une immense et très touchante déclaration d’amour à toute la littérature policière qui se déploie ici, en réalisant tout de même l’exploit de trouver son propre ton et son propre équilibre, entre hommage et inventivité. On y croise Agatha Christie, John Le Carré, Sherlock Holmes, James Bond, les frères Coen et peut-être même Dallas, on y trouve toutes les scènes classiques du genre, depuis la découverte du cadavre jusqu’à la révélation collective finale dans la bibliothèque en passant par les coups de théâtre, on y reconnaît le meurtrier psychopathe, le flic pas très doué, le narrateur malin que nous mène en bateau et s’adresse souvent au lecteur pour le mettre en garde, fait un bilan en cours d’enquête ou bien annonce des indices auxquels il faut faire attention – bref, nous transforme à notre tour en détectives. Avec parfois un manque de réussite pour les Watson que nous sommes : pour ma part, je sais que je n’ai toujours pas réussi à trouver une incohérence « grosse comme un camion » dont j’ai pourtant été informée à plusieurs reprises au cours de l’intrigue. Que faire ? Bon sang mais c’est bien sûr : relire le livre !
Mélanie.
Traduit de l’anglais (Australie) par Cindy Colin-Kapen.
Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un, Benjamin Stevenson, Sonatine, 408 p. , 24€.
A reblogué ceci sur Amicalement noiret a ajouté:
Il me tente vraiment….