Un sacré recueil de nouvelles.
Oui, je t’entends déjà « Oui mais les nouvelles moi tu sais… ». Bon, te dire qu’à la fin de la lecture de ces quatorze – magnifiques – textes de Souvankham Thammavongsa , je me suis dit : « Vraiment, passer à côté de ce recueil aurait été vraiment un gâchis. »
J’ai trouvé la plume de cette auteure laotienne, avec la traduction sensible et sublime de Véronique Lessard, d’une justesse absolument incroyable: ce regard sur ces petits riens qui disent tout, cette attention donnée à l’ensemble, leur chronologie exquise et cette humeur délicieuse qui décrypte les évènements sans trop en faire.
Quatorze histoires lues comme l’intensité de quatorze romans.
Souvankham Thammavongsa est née dans le camp de réfugiés laotiens de Nong Khai, en Thaïlande, en 1978. Elle pesait un kilo et n’avait pas de date de naissance.
Apatride.
C’est ce que tu ressentiras en lisant ces nouvelles, pas d’unité de lieu, un endroit quelque part sur cette Terre, des indices pour se raccrocher à une atmosphère, des réfugié-e-s du Laos cherchant à décrypter tout ce qui les entoure, tout comme ils/elles cherchent à se décrypter eux-mêmes.
Puis tu plonges, tête la première dans ces existences écrites comme des broderies, comprenant, parfois, des nœuds inextricables, et de la lumière, souvent.
Tu croiseras cette petite fille, l’enfant qui vient d’arriver dans un vaste pays d’abord incompréhensible. Comment savoir qu’en prononçant « knife », le « k » ne se prononce pas ? Et dans ce même instant, te montrer tout l’amour d’une fille pour son père.
Puis tu suivras les pensées de Red, la jeune fille en feu travaillant à l’abattoir, observant les autres femmes se refaisant le nez pour se sentir « autrement » que dans cette vie là, pour un homme, pour une norme.
Puis cette dame âgée qui redécouvre, au détour d’un regard, son corps auprès d’un homme qui l’est beaucoup moins. Et ce questionnement fait du mélange du désir, de l’amour et de l’ égo.
Cette mère réfugiée ayant trouvé refuge dans la country américaine, tenant sa « (…) petite radio à l’oreille comme un coquillage. », au point d’en oublier ce qui l’entoure vraiment.
Sans oublier Raymond, l’ancien joueur de boxe devenu esthéticienne des ongles, car oui, dans cet univers là, point de masculin. Raymond vivant auprès de sa sœur, femme combattant les rêves qui ne sont, pour elle, que des puits sans fond, prêts à aspirer toute velléité de révolution personnelle.
Ces deux gamins aussi, cette histoire comme une perle d’amour nous menant du « Trick or treat » au « Tchick- a -tchi » et tout ce qu’il peut y avoir de bon, de résilient et d’étrange dans l’innocence enfantine.
Et ce père superstitieux lisant les lettres des faire-part comme d’autres lisent dans le marc de café.
Cette fille abandonnée par sa mère avec ce sentiment constant d’être une réfugiée qui ne trouve plus, désormais, de refuge nulle part .
Ou ce chauffeur de bus ne voyant plus que la route devant lui, pour ne pas voir ce qui se passe juste à côté de lui.
Et cette mère qui recherche sa fille un jour de pluie, les larmes mêlées à celle de l’averse.
Cette grand-mère frondeuse parlant à sa petite-fille de ce qui lui arrivera lorsqu’elle se pliera au « je t’aime » d’un homme.
Mary, cette femme se laissant aller à croire à un amour qui n’en est pas.
Ces deux amies d’enfance parties dans la forêt, qui en sortiront différentes et à jamais éloignées dans leur solitude d’être.
Ce trio mère, fille, James. James, devenu tout à la fois jeune patron de la mère et galant chevalier de la fille pour le bal de promo. Et cette sonnette qui résonnera longtemps dans le vide de la nuit.
Le K ne se prononce pas est comme une vie musicale, intimement liée au cycle de la vie, aux aléas d’un quotidien, à la douleur des incompréhensions, à la beauté de l’instant, aux émotions nous traversant.
Le K ne se prononce pas est vraiment un livre à ressentir, quelque chose d’aussi envoûtant qu’une représentation de Phralak Phra Lam.
« (…) l’enfant tendit la main et saisit la première chose que ses doigts touchèrent. C’était un puzzle, un avion dans le ciel. Lorsqu’elle montre le Prix à son père, il est ravi, car, d’une certaine manière, il a gagné aussi. Ils prennent le prix, toutes ces petites pièces, et commencent à former le contour, le ciel bleu, les autres pièces, le centre. L’ensemble, ils le compléteront plus tard. »
Coup au cœur pluriel.
Traduit de l’anglais par Véronique Lessard.
Fanny.
Le K ne se prononce pas de Souvankham Thammavongsa, Mémoire d’Encrier, 136 p. / 15 euros.
J’avais aimé l’énergie de ce titre, qui fait osciller le lecteur entre rire et larmes. Une belle réussite, oui.