L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Nos petits classiques – La cloche de détresse, Sylvia Plath (Gallimard/L’Imaginaire) – Mélanie
Nos petits classiques – La cloche de détresse, Sylvia Plath (Gallimard/L’Imaginaire) – Mélanie

Nos petits classiques – La cloche de détresse, Sylvia Plath (Gallimard/L’Imaginaire) – Mélanie

Poétesse précoce (elle écrivit son premier poème à huit ans), étudiante brillante, épouse du poète Ted Hugues, Sylvia Plath choisit pourtant, à 30 ans à peine, de se donner la mort par le gaz alors que ses deux enfants dormaient dans la chambre du dessus de sa maison londonienne délaissée par son mari depuis quelques mois. Une vie tragique, romanesque, qui contribua largement à faire de cette femme une autrice culte, vénérée à la fois par les gens de lettres et par les féministes, et qui virent dans son destin le symbole d’une femme de talent réduite à néant par le conformisme et le patriacat de la société des années 50 (qui, comme chacun sait, n’existent bien évidemment plus).

C’est en effet une vie tout aussi unique que tragique que celle de Sylvia Plath et on peut d’ailleurs noter ces derniers temps une très riche production littéraire autour de cette figure devenue icône : Coline Pierré a imaginé ce que serait devenue la poétesse si elle avait finalement fait le choix de ne pas se suicider dans « Pourquoi pas la vie » (Editions de L’Iconoclaste) tandis que « Euphoria », tout premier roman âpre et inventif de la romancière Elin Cullhed sorti en septembre dernier aux Editions de l’Observatoire, dissèque la toute dernière année de la vie de l’autrice. Mais cette vie romanesque, c’était déjà finalement Sylvia Plath elle-même qui avait choisi, un mois avant sa mort, de la raconter, en écrivant son premier et unique roman, à larges résonances autobiographiques : « La cloche de détresse », publié en Janvier 1963.

Tout commence pourtant bien : la jeune Esther Greenwood (Sylvia Plath choisit de changer les noms et publia le livre sous le pseudonyme Victoria Lucas afin de ne pas froisser ses proches) est sélectionnée grâce à un concours de nouvelles avec 19 autres jeunes filles pour aller passer un mois à New-York. Jeune et studieuse provinciale, elle passe un mois tourbillonnant, entre soirées luxueuses et aventures amoureuses ; mais malgré tout, déjà, le malaise règne, et ce dès le premier paragraphe : « C’était un été étrange et étouffant. L’été où ils ont électrocuté les Rosenberg. Je ne savais pas ce que je venais faire à New-York. Je deviens idiote quand il y a des exécutions. L’idée de l’électrocution me rend malade, et les journaux ne parlaient que de ça. La «Une» en caractères gros comme des boules de loto me sautait aux yeux à chaque carrefour, à chaque bouche de métro fleurant le renfermé et les cacahuètes. Cela ne me concernait pas du tout mais je ne pouvais m’empêcher de me demander quel effet cela fait de brûler vivant tout le long de ses nerfs. »




Crédit photo : ©Getty – Collection Bettmann

Ce malaise monte progressivement tout au long du récit et, très vite, ces premières lignes deviennent prémonitoires : en rentrant chez elle après son séjour à New-York, Esther apprend qu’elle est refusée à un cours de littérature sur lequel elle comptait beaucoup. C’est le vacillement qui la jette dans l’ombre et le chaos, et cet « été étrange et étouffant » marque son entrée dans un enfer personnel, écartelée qu’elle est entre sa vocation d’artiste et d’intellectuelle et le modèle féminin que lui impose son entourage et la société toute entière. Incapable de se nourrir, de dormir, de sortir de sa chambre, d’écrire, elle va bientôt être internée et, d’établissement en établissement, connaître une errance psychiatrique révélatrice des méthodes médicales des années 50, entre électrochocs – qu’elle ne compte bientôt plus – médecins aux méthodes approximatives et contradictoires, et tentatives de suicide, qui alternent avec les périodes d’espoir.

Ce livre bouleversant est à la fois journal intime, carnet de création, autobiographie masquée, reflet de la société des années 50, essai sociologique, brûlot féministe mais aussi, au regard de la mort tragique de l’autrice un mois après, testament poignant qui réussit le miracle de rayonner de désir de vivre. On gardera longtemps en tête cette jeune femme de 19 ans qui brûle toute son énergie vitale à ne pas se laisser happer par la mort, par cette cloche de verre qui peu à peu l’asphyxie, car « pour celui qui se trouve en dessous, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve » – et on aura aussi envie, sitôt la dernière page atteinte, de (re)découvrir la poésie unique et vibrante de Sylvia Plath.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Persitz.

Mélanie.

La Cloche de détresse, Sylvia Plath, Gallimard / L’Imaginaire, 280 p. , 11€50.

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