Celles et ceux qui l’avaient lu s’en souviendront : Dans la gueule de l’ours (Rue de l’Échiquier 2020 / J’ai Lu 2021) nous avait bien attrapés à sa sortie. Récompensé à juste titre par le Grand Prix de Littérature Policière 2020 catégorie « romans étrangers », ce premier texte de James McLaughlin sortait de la mêlée tant par son originalité que par les capacités narratives dont faisait preuve son auteur. Il aura fallu trois ans pour que l’éditeur engagé Rue de l’Échiquier nous propose cet ambitieux second roman.
« Frère et soeur inséparables, Bowman et Summer passent leur enfance en pleine nature, dans un ranch isolé, véritable forteresse secrète dans le Colorado. Ils grandissent sous la férule de leurs oncles et de leur père qui les élèvent avec la même discipline de fer que leurs aigles de chasse. Arrivés à l’âge adulte, ils choisissent des chemins différents (…) Mais, vingt ans après leur séparation, ils sont rattrapés par une sombre histoire de succession qui va les obliger à affronter les fantômes du passé. » (4ème de couverture).
Ce qui saisit d’emblée, ici comme dans son précédent roman, c’est la puissance du lien qui unit les personnages de James McLaughlin à la nature. Loin de toute tentation hippie, l’auteur en fait à la fois une force et une faiblesse et Bowman et Summer (comme Rice précédemment) sont indubitablement habités et profondément marqués par cette relation unique. À ce titre, la scène d’ouverture du roman, lors de laquelle Bowman joue une proie pour un des aigles que dresse son père, est aussi originale qu’impressionnante et donne le ton d’un roman qui parvient à garder tout au long de ses presque 500 pages une intensité dramatique jamais mise en défaut. Certaines pages parmi les plus saisissantes de Dans la gueule de l’ours décrivaient l’espèce de transe dans laquelle se retrouvait parfois Rice après avoir revêtu sa tenue de camouflage, un état de conscience altérée lors duquel il peinait à différencier hallucinations et réalité. Manifestement fasciné par ce phénomène, McLaughlin nous décrit ici Bowman aux prises avec des semi-pertes de conscience similaires, touchant ainsi à une sorte de retour à un état primitif bien loin de ce qu’est devenu l’être humain au XXIème siècle. De là à imaginer James McLaughlin nostalgique d’un monde neuf encore épargné par l’Homme, il n’y a qu’un pas à franchir, ce que nous nous garderons bien de faire.
Si sa structure reste finalement assez classique avec des allers-retours temporels entre les années 80 et 2010, Les Aigles de Panther Gap se démarque toutefois nettement de la concurrence par l’imagination de son auteur et sa faculté à la mettre en mots, créant de la sorte des scènes extrêmement visuelles et marquantes ainsi que des personnages particulièrement hauts en couleurs. En faisant se télescoper les destins de Sam et celui de Summer et de sa famille, l’auteur crée les conditions rêvées pour une histoire violente et chaotique où les tièdes n’ont pas leur place.
Trafic de drogue + violence + désert, l’équation rappellera inévitablement le grand CormacMcCarthy dont l’ombre planera longtemps au-dessus de cette lecture. Quant à l’omniprésence de la nature et le lien particulier qu’entretiennent les personnages avec elle, ils évoqueront bien sûr Big Jim Harrison. Mais ce serait être profondément injuste que de réduire James McLaughlin à ces références écrasantes. L’homme a prouvé de quoi il est capable et joue désormais dans la cour des grands. S’il continue dans cette voie, c’est bientôt lui qui servira de référence.
Profondément original, solide et rythmé, ce nouveau roman est une éclatante réussite que tout amateur de littérature américaine ou de roman noir se doit de découvrir. James McLaughlin respecte les codes pour mieux s’en affranchir et offre quasiment 500 pages de pur plaisir pour un des romans qui devraient marquer notre année.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christian Garcin.
Yann.
Les Aigles de Panther Gap, James McLaughlin, Rue de l’Échiquier, 480 p. , 24€50.