La Guyane, peut-être que comme moi, t’en as entendu parler.
Juste entendu parler.
Ben là, Antonin Varenne, il t’emmène.
C’est son truc. Quand je l’ai rencontré, on avait été invité sur un Salon du Polar (je mets une majuscule si je veux). Avec d’autres, bien sûr, pas que nous deux.
Il nous a raconté un truc qui lui était arrivé sur un bateau.
Ben on y était.
Là, tu pars avec Marc.
Marc, il est mécano.
Il décide d’aller chercher un peu de thune dans une région qu’il connaît, et donc de laisser sa femme et ses gamins.
Faut bien payer les factures.
Quand t’arrive là-bas, le premier truc que tu prends dans la gueule, c’est la chaleur.
Pas celle de la « côte ».
Celle qui te fait perdre deux litres de sueur en douze secondes chrono.
On était dans la collection Territori, avant d’être remis en forme par la Manufacture. Ça veut dire que le personnage principal, même si tu fais pas gaffe, c’est la nature.
Sa présence permanente, sa puissance face à nous, les hommes, qui dépendons d’elle pour survivre, même si certains ne s’en rendent pas compte…
Tu vois qui je veux dire ?
Pas facile de faire un huis-clos au milieu de l’immensité de la forêt.
Pas simple de te présenter trois types en quelques mots.
Te les décrire suffisamment bien pour que tu les aies en face de toi.
Pas gagné de te faire entendre les arbres qui s’effondrent, les cris des animaux, les moustiques qui prennent tes bras pour une piste d’atterrissage.
Tu vas avoir chaud, et tu vas aimer l’eau qui sort du bidon, même si elle sent un peu le plastique, parce que c’est la seule que t’auras.
Et puis t’es avec Marc, tout le temps.
Alors t’es pas à ta place non plus. Toi, tu viens de la métropole.
T’es pas né là-bas.
T’es pas légionnaire, comme Joseph, habitué à supporter la chaleur et les hommes, à boire jusqu’à plus soif du rhum ou de la bière parce que toi t’es pas allé au Rwanda en 94.
Ça t’a pas laissé de traces.
Lui oui.
Alors des fois, il vrille.
Sans doute que tu voudrais être comme Alfonso, parfois, et être chez toi dans cette Guyane. Pouvoir y chasser.
Pouvoir y vivre.
Même l’or, dont t’as entendu parler, n’a pas d’importance dans ce récit.
Juste des hommes.
Juste la forêt.
Et cette Caterpilar 215.
Cent pages, c’est pas beaucoup.
Faut avoir du talent pour t’emporter aussi loin et aussi vite.
Antonin Varenne, il en a.
Va le chercher chez ton libraire.
Le prix d’un paquet de clous de cercueil.
Ça va.
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce petit roman.
Nicolas.
« Le Toyota ralentit au passage d’un gros trou dans la piste et le bruit envahit l’habitacle.
La forêt.
Je n’entendais plus Jules qui parlait à côté de moi. Je me suis penché dehors et j’ai aperçu le ciel étoilé par un trou dans la canopée. Les insectes couvraient le bruit de la voiture, des singes hurleurs s’époumonaient dans les arbres, les troncs clairs disparaissaient en lignes droites dans la nuit ; les odeurs de terre, de plantes, puis celle du fleuve me dilatèrent les narines. »
L’histoire. De nos jours, Marc, jeune et efficace mécanicien qui tire le diable par la queue en métropole, retourne en Guyane pour un bref boulot bien payé : réparer une pelleteuse Caterpillar plantée en pleine forêt équatoriale. Son commanditaire ? Son ancien patron un peu véreux sur les bords et même au milieu. Marc va faire équipe avec un ancien légionnaire alcoolique et bourrin et un autochtone du Brésil voisin, silencieux et mystérieux. Le temps est compté, les dangers multiples.
Antonin Varenne, si tu me lis de temps en temps, tu sais que je l’aime fort. À la manuf il a aussi publié Battues, un excellent roman noir rural. Tu peux aussi lire ce que j’appelle sa trilogie Bowman parue chez Albin Michel (Trois mille chevaux vapeur, Équateur, La Toile du monde). Antonin c’est un tout bon, vraiment tout bon.
Ici, avec ce très bref roman (on peut même dire sans se mouiller que c’est une nouvelle), 96 pages, il te kidnappe dès le début. Je ne sais pas comment il fait ça, mais il le fait. Marc, Jules, Joseph, Alfonso, la CAT 215 (parce que oui, c’est un personnage), la forêt (encore un autre personnage), tu vas t’y attacher immédiatement. Quand je dis attacher je veux dire que tu vas éprouver des sentiments. En ce qui concerne Jules et Joseph, je ne suis pas certain que ce soit de l’amour.
Antonin Varenne, la forêt équatoriale d’Amazonie, il y avait déjà traîné ses guêtres avec Équateur. Alors l’atmosphère, elle parle vrai. Il ne t’écrit sur la forêt, il écrit la forêt, la nuance est grande et elle fait toute la différence. La forêt, l’humidité absolue qui te trempe dès la sortie de l’avion, qui, combinée à la température t’afflige, te travaille au corps, t’use avec la patience du torrent qui ronge la berge. La forêt, milieu hostile. Un de ces endroits de la planète qui fait comprendre aux humains qu’ils ne sont pas grand-chose, à peine mieux qu’une branche ou qu’un poisson. Même moins vu que le poisson lui, il survit à l’aise dans ce milieu où la seule loi qui prévaut est « manger ou être mangé ».
C’est pourquoi je dis que la forêt est un personnage. Bien sûr elle n’influe pas directement sur l’histoire, la forêt n’intrigue pas comme untel ou untel, elle ne pense pas à elle, elle ne parle pas. Mais par sa présence, elle impose un rythme, maintient des menaces tangibles, pèse sur l’histoire telle une épée de Damoclès. Elle est la poudre et la mise à feu de cette opération de dingos entreprise au milieu de nulle part et loin de toute civilisation.
Avec son écriture précise, l’auteur te fait ressentir l’extrême tension de la mission, il te suggère que ça peut dégénérer à n’importe quel moment et par n’importe qui. Le moindre détail, le moindre grain de sable…
Il faut que je te parle de Joseph. Ce légios retraité traîne sa misère et son ennui sur le globe. Il court les cachets pour gagner sa survie, repense au bon vieux temps de l’uniforme et des missions, la camaraderie, la fraternité, le code d’honneur. C’est un homme à la dérive qui poursuit son passé. Il ne lui reste que le vide de son quotidien, l’alcool et sa violence. Un homme sur la corde raide.
Alfonso est très intéressant parce qu’on ne sait rien de lui. C’est un aide de camp dévoué mais sans illusions au sujet des blancs. Il s’adapte et observe. Il est le seul dans son élément.
Marc, le personnage, narrateur, sait te dire les choses, te faire vivre l’urgence, le stress, la fatigue. C’est un bon guide pour t’aventurer dans la forêt guyanaise, entre chiens et loups, pas loin de la frontière, là où la loi n’est qu’un vulgaire bout de papier dont on se sert pour se torcher.
Embarque-toi, 96 pages c’est vite passé ; trop vite, j’en aurais bien repris pour cent pages de plus.
Seb.
Cat 215, Antonin Varenne, La Manufacture de Livres, 95 p. , 9€.
Bonjour,
La journée commence avec un auteur que j’apprécie et un concert de Thiefaine
Manque plus qu’un café
Merci
Chouette alors ! Excellente journée Sylviane !
En même temps, « Les dingues et les paumés » me semblaient bien correspondre à ce roman… J’ai hésité avec « Confessions d’un never been »…
A reblogué ceci sur Amicalement noir.