L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
L’Agent Seventeen, John Brownlow (Gallimard / Série Noire) – Fanny
L’Agent Seventeen, John Brownlow (Gallimard / Série Noire) – Fanny

L’Agent Seventeen, John Brownlow (Gallimard / Série Noire) – Fanny

Photo: Fanny

Tu veux un roman d’espionnage haletant, cruel, précis, trépidant?
J’ai ce qu’il te faut: l’intraitable Agent Seventeen de John Brownlow, traduit par Laurent Boscq.
J’ai pourtant difficilement des coups de cœur dans la section polar / thriller / espionnage mais là c’était saisissant à souhait.

Pour commencer, afin de mettre mon grain de sel, j’aurais gardé Seventeen comme titre, à l’image du personnage: sobre et efficace dans sa branche, à savoir éliminer selon les directives de son commanditaire, un certain Handler, membre de la Central Intelligence Agency (CIA).
Dès lors, tu peux te cramponner au bouquin et laisser Tarantino au vestiaire.

Le scénariste, notamment, de « Fleming: l’homme qui voulait être James Bond », t’emmène dans une histoire ébouriffante tenue de main de maître.
L’auteur place d’abord discrètement le lecteur comme témoin des actes de son personnage, un face à face habilement mené. Puis une série d’événements te laisseront rapidement penser que tu es dans un panier de crabes – ou un nid de vipères c’est selon –
De la capitale allemande à un bled du Dakota du Sud, tu vas parcourir du territoire, arpentant des paysages tout autant que les enseignements d’un tueur professionnel.
John Brownlow fait de cette valse avec la mort un moment délicieusement addictif. Oui il joue avec les archétypes, non il ne te gave pas avec la grosse cavalerie du genre. Certes le garçon boucher n’est pas là pour faire dans la dentelle mais le monde autour de notre Jones n’est franchement pas mieux.

Petit à petit, comme le démontage d’une arme, le personnage revient sur sa trajectoire, les éléments traumatiques l’ayant amener à prendre cette voie. Par ce biais, l’auteur nous amène habilement à éprouver de la sympathie, voir de l’empathie pour ce cher « connard » – il se met volontairement dans cette catégorie, le gars assume -.
Brownlow garde le tempo puis l’amplifie, tandis que notre rythme cardiaque s’accélère au fur et à mesure que l’affaire s’opacifie.

Tu as des flingues – de la précision -, des bagnoles – des détails photographiques -, des pépettes trempées dans du whisky – de la résilience -, et dans ce décor typique des « romans de genre », tu es pourtant loin d’un décor en carton-pâte.
Parce que John Brownlow possède un talent, une verve particulière, en griffant à souhait l’histoire de l’ Amérique du Nord.

« La renommée du Dakota du Sud vient principalement du mont Rushmore, ce regrettable tatouage sur la peau de l’Amérique, alors je me dis que ça doit être plus excitant géologiquement parlant, dans l’ouest de l’État. Il faut du cran pour sculpter la tête d’un homme qui possédait six cent esclaves, a eu six enfants avec l’une d’entre eux et en a affranchi deux en tout et pour tout dans sa vie. Et il en faut aussi pour la sculpter sur une montagne sacrée promise aux Sioux Lakota dans un traité jamais respecté par le gouvernement des États-Unis, avant de la renommer « le Temple de la démocratie ».(…) »

J’ai aimé cette manière d’évoluer dans un roman qui ne se regarde pas le nombril et fait de l’espionnage un espace quelque peu irrévérencieux, loin du costard et cheveux gominés d’un 007.
J’ai largement apprécié ce ton qui pourrait côtoyer mes chouchous, à savoir un James Crumley ou un Harry Crews.

« Cinq minutes plus tard, je suis au volant d’une Cutlass Suprem rouge vif de 94 dotée d’un intérieur velours, d’un cendrier rempli de mégots, d’un CD d’Aerosmith et d’un autocollant KLAXONNE SI ÇA T’EXITE. Il faut reconnaître que le vieux type avait du savoir-vivre. »

Photo : D.R.



Les personnages sont aussi cabossés que l’état des voitures après leurs courses poursuites, tu vois défiler des armes ayant des noms aussi glamours que le revêtement d’R2D2, et tu te demandes comment il peut être possible d’encaisser autant que Jones et Kondracky.
Pourtant, tu files droit à travers les pages, dans un paysage mental que John Brownlow a pris le temps de te créer avec minutie.

Au milieu des pires machinations qui ne sont qu’une partie émergée de l’iceberg, d’un Sixteen jouant sa journée au dé – clin d’œil, peut-être, à Luke Rhinehart -, d’une femme aux yeux menthe à l’eau gardant sa liberté chevillée au corps et d’un méchant parfaitement sadique, notre Jones laisse percer, ici et là, son humanité, pour le meilleur et surtout pour le pire.

« Bien sûr, il y aurait-il l’argent, des bolides, du sexe et du parkour. Je ne suis pas fier. Mais plus que tout, devenir Seventeen serait le doigt d’honneur suprême adressé à tous ceux qui nous avaient pris, Junebug et moi, pour des victimes. Plus personne ne pourrait jamais me forcer à faire quelque chose contre ma volonté. Il n’y aurait plus d’autres David. Ni d’autres De Angelo. Je serai Lee Marvin. »

J’attends donc l’adaptation… ce serait chouette, même si Lee Marvin est aussi irremplaçable qu’un Robert Mitchum dans « La nuit du chasseur », ces deux là y auraient apportés toute leur densité.
C’est là que je rajoute mon petit bémol sur la couverture officielle, beaucoup trop lisse pour cette histoire faite de plaies et de bosses.

Fanny.

L’Agent Seventeen, John Brownlow, Gallimard / Série Noire, 512 p. , 23€.

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