« Le noir de Pascal Garnier est celui que seuls peuvent voir les astronautes : brillant, sans fond, et constellé de mystérieux points lumineux à la fois glaciaux et étrangement réconfortants ».
Cette superbe citation de John Banville figure au début de ce petit livre et l’éclaire bien mieux que je n’aurais su le faire, ce qui ne m’empêchera cependant pas d’essayer.
La lecture de Vieux Bob incitait à plonger plus avant dans l’oeuvre de Pascal Garnier. C’est peu dire que cette réédition chez Zulma tombe à pic. Dès les premières lignes, l’effet Garnier opère, cette tendresse qui dit rarement son nom, souvent rattrapée par un humour vache qui valut à son auteur le Grand Prix de l’humour noir en 2006. Sous son regard aussi amusé qu’affûté, Pascal Garnier peine à dissimuler une mélancolie comme on en croise peu en littérature, dans la droite lignée d’un Hugues Pagan ou d’un Richard Morgiève. Personne ici n’est dupe de cette vaste comédie qu’est la vie mais il faut bien la vivre, maintenant qu’on est là.
« C’est un paysage supposé. On n’est pas obligé d’y croire. Même la présence d’une poignée de corbeaux n’est pas irréfutable. Il en est ainsi pour tout depuis ce matin. On joue la partition par coeur, sans fausses notes mais sans passion. »
Observateur attentif du genre humain, plus proche de l’entomologiste que du sociologue, Pascal Garnier aime ses semblables et ne peut s’empêcher d’observer, de disséquer leurs façons de vivre, leurs manies et habitudes. Leur maladresse l’émeut, leurs faiblesses et lâchetés le touchent. Chez lui, pas de héros ni d’héroïne mais des hommes et des femmes aux prises avec un quotidien qui ne les ménage pas toujours et dont ils s’émanciperaient bien s’il n’y avait ce poids du quotidien qui les cloue à leur place. C’est peut-être là que se situerait le véritable enjeu de cette Théorie du panda, dans cet espoir modeste d’une vie à peine meilleure, un peu différente, plus légère. Pascal Garnier, à travers le personnage de Gabriel au coeur du roman, connaît la brièveté cruelle des vrais moments de bonheur, la fugacité de ceux-ci et les regrets qu’elle éveille inévitablement en chacun de nous.
Rarement un auteur a su se montrer à la fois aussi cruel et rassurant et ce n’est pas la moindre qualité de ce roman qui, malgré sa concision (170 pages), touche régulièrement au coeur. Il semble difficile de rester insensible à la voix de Pascal Garnier. D’une écriture remarquablement sobre et juste, il parvient à évoquer des destins cabossés mais aussi le petit miracle d’une rencontre ou la beauté d’un repas réussi. L’énigmatique Gabriel, personnage central dont on découvre peu à peu le passé, a le don de plaire malgré son apparente indolence et, par son biais, des inconnus finissent par faire un peu de chemin en commun, partager des moments qui leur seront précieux. Portraitiste hors pair, Garnier fait vivre sous nos yeux quelques anonymes dans une petite ville bretonne où, si l’on ne s’y ennuie pas plus qu’ailleurs, il ne se passe pas grand chose non plus.
« Si l’on remplaçait les deux enfants qui l’encadrent par des obus, Françoise, dressée sur le seuil de sa maison, ferait un magnifique monument aux morts, une grand-mère courage drapée dans un châle anthracite, le menton haut, les cheveux d’écume domptés en un chignon serré, défiant de ses yeux de verre la vanité de la condition humaine. »
La vie pourrait continuer ainsi, à s’écouler sans éclat mais, comme souvent chez Pascal Garnier, la petite musique du bonheur cède à la mélancolie qui elle-même s’éclipse devant la noirceur du monde et le bonheur s’éloigne silencieusement, rattrapé par la folie de l’homme. Que pèsent nos moments de bonheur face au poids de la vie, semble demander l’auteur. Que nous reste-t-il lorsque même nos souvenirs ne nous consolent plus ? On l’aura compris, La Théorie du panda n’est pas un feel-good book mais, et c’est encore là un des paradoxes propres à Pascal Garnier, sa façon de nous toucher laissera en nous une empreinte durable, mélange de douceur et de tendresse assorti d’une mélancolie certaine. On n’avait rien lu de tel depuis Un petit homme de dos de Richard Morgiève et ça n’est pas peu dire.
La Théorie du panda, Pascal Garnier, Zulma, 171 p. , 9€95.