On va poser les choses tout de suite et de façon claire.
La Manufacture de livres, je les suis depuis très longtemps. Ça date de l’époque où Cyril Herry les a rejoints, juste après qu’ils aient intégré Écorce au sein de la Manufacture.
Donc, pour faire simple, ils ont découvert des écrivains qui sont tous, pour la plupart, dans mon panthéon personnel. Si tu tombes, par hasard, chez un vrai libraire, sur Séverine Chevalier, Laurence Biberfeld, Anne Bourrel, ou Patrick K. Dewdney, n’hésite pas. Je te fais grâce des titres, tu trouveras.
Et puis Franck Bouysse, bien sûr, dont tu as forcément entendu parler…
Qui est donc Chaïm Helka, me suis-je demandé, quand j’ai vu cette couverture plutôt orangée.
C’est un type qui dit que Céline et Bukowski font partie de ses influences littéraires. Tu n’as pas besoin d’en savoir plus, et du coup, moi non plus. Il a déjà publié un roman qui s’appelle Nous sommes un orage sous le crâne d’un sourd également à La manufacture de livres.
Je vais bien évidemment me le procurer comme disent les internetifs qui respectent leur cerveau en achetant des vrais livres.
Sur la quatrième de couverture, puisque je t’ai dit que je les lisais maintenant, il est écrit :
« 1936. Ce devait être pour l’homme quelques heures de solitude au cœur de paysages rudes et escarpés, une parenthèse de fin de journée. Une partie de chasse sous le soleil écrasant d’Espagne. Mais l’inconnu en noir apparut au loin, mystérieux et implacable, son fusil à la main. Et l’homme comprit que la cible, c’était lui. Commença alors une curieuse traque, de celles auxquelles on ne peut se soustraire, une poursuite sans issue. Restait à l’homme à comprendre pourquoi, et si un jour, il n’avait pas lui-même, sans le savoir, ouvert cette porte qui menait aux enfers. »
On va pas se mentir, quand je tombe sur des mots comme ceux-là, je n’hésite pas plus de quelques secondes à glisser le roman dans mon sac de commissions, juste au-dessus des poireaux que j’ai prévus de faire fondre à midi.
Alors d’abord, Le Sarasqueta, le titre donc, c’est un fusil de chasse. Et c’est un joli nom pour un truc qui sert à tuer des animaux ou des gens, en fonction de la période. Je veux dire qu’aujourd’hui, tu n’as pas le droit de tirer sur ton voisin, même si tu ne supportes plus le fait qu’il tape sa compagne et ses gosses à coup de battoir et que ça provoque des cris très pénibles pendant que tu regardes ta série préférée sur le net du flix.
C’est interdit.
En revanche, tu peux aller dégommer des trucs vivants dans la forêt.
C’est autorisé.
Je sais, la vie est bizarre.
Un des personnages de ce roman, c’est Alfonso Gutiérrez Carrasco. Il se balade avec sa mule et son chien sur les collines et il fait une chaleur à crever.
Il se balade, et il pense être seul, jusqu’au moment où un type, habillé de noir, lui fait un salut amical de la main, juste après avoir dégommé sa mule et son chien.
Tu n’as, là-encore, pas besoin d’en savoir plus.
L’écriture du garçon m’a réellement hypnotisé.
Dès le début du roman.
Et puis je suis tombé sur ça, au milieu de la page 21 :
« Habitude des hommes, d’ici et d’ailleurs, que de considérer la possession d’un fusil comme l’accomplissement de leur virilité, l’ostentatoire symbole que ce qui pendait entre leurs jambes était toute puissance quand ce n’était qu’arrogance létale. »
Soyons clairs, encore une fois. Il est rare que je tombe sur une phrase qui me percute de cette façon. Rare que je me dise que celui ou celle qui a posé ces mots sur le clavier avait enfin des choses à dire. De plus en plus rare. Ça m’arrive encore, mais je suis de plus en plus déçu par les parutions sans intérêt que nous balancent les éditeurs. Sauf quelques-uns qui font encore leur métier. C’est un peu comme les boulangers. Quand tu tombes sur un type qui fait du vrai pain, tu décides de le faire bosser.
Tu vas marcher avec Alfonso.
Boiter avec lui quand ta jambe te fera mal au point que tu te demanderas si tu ne ferais pas mieux de la couper avec ton couteau de chasse.
Tu vas, avec lui, rêver d’une eau fraîche et limpide qui te coule au fond de la gorge.
Et puis, sans doute, vas-tu revoir ces images de la rédemption du Christ où celui qui porte la croix trébuche à chaque pas qu’il fait.
Forcément.
Tu vas te souvenir de choses que tu as faites et que tu regrettes aujourd’hui, parce qu’on a tous, parfois, un comportement qui laisse un peu à désirer.
Une envie de faire taire un enfant qui parle trop fort, qui pleure trop souvent, ou qui n’est pas à la hauteur de nos rêves.
Ne mens pas, ça arrive tout le temps, chez toi, ou chez ton voisin.
On en revient à l’interdiction de chasser les humains, même quand ils sont mauvais.
C’est un roman que tu pourras lire à voix haute, tellement certaines de ses lignes évoquent quelques uns de tes poèmes préférés.
Je te reparlerai pas de La ballade des pendus , pourtant, j’y ai pensé à plusieurs reprises.
« Et priez Dieu que tous nous veuille absoudre »…
Que te dire de plus, sinon de foncer chez ton libraire préféré, pour aller le chercher.
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.
Nicolas.
Sarasqueta, Chaïm Helka, La Manufacture de Livres, 146 p. , 12€90.
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