« Permanente impeccable, tailleur de chez Aquascutum et élocution parfaitement travaillée, Thatcher est un pur produit de la tradition victorienne axée sur la famille et le travail. Des valeurs contraires au consensus d’après-guerre qui prévalait depuis 1945, notamment sur la protection sociale avec l’Etat providence. Farouche opposante, elle a toujours condamné ce « système d’assistanat » et sa fiscalité redistributrice. Au lendemain de son élection, elle a déclaré que son premier combat était celui, non pas du chômage, mais de l’inflation et qu’il impliquait des réformes draconiennes. »
L’histoire (tirée d’un fait réel). 1976, dans le nord de l’Angleterre. Des femmes sont assassinées dans plusieurs villes situées dans le même secteur. La plupart sont des prostituées. Le phénomène devient vite un très gros problème pour la police. Georges Knox, avec sa gueule « à la Richard Burton », véritable légende locale des enquêtes criminelles, est envoyé au front pour démasquer celui que la presse surnomme désormais « L’éventreur ».
C’est le premier roman que je lis de Michael Mention. J’en ai trois autres en réserve, dont les deux qui suivent celui-ci et qui forment une trilogie Anglaise. J’étais pas trop inquiet, les critiques étaient bonnes et chez Rivages on ne fait pas dans la bouse. Quand j’ai dit à l’intéressé que j’allais attaquer son Sale temps pour le pays, il m’a demandé toute mon indulgence. Ça ne m’a pas vraiment étonné, ce roman est son deuxième (si j’ai bien fait mes devoirs), il date de 2012, et depuis cette époque il en a écrit pas mal d’autres, et j’imagine que l’auteur regarde ce roman comme un objet rempli de défauts qui découleraient de son inexpérience, une sorte d’erreur de jeunesse.
J’ai pas trouvé que c’était une erreur d’avoir écrit ce roman très noir. J’ai pas eu besoin de faire appel à mon indulgence, ni à un ami d’ailleurs. D’accord, il y a des détails dont on aurait pu se passer, comme les sonneries de téléphone retranscrites en onomatopées, comme certains dialogues au téléphone (encore) qui ne servent à rien. Des pêchés de jeunesse, ça arrive quand on est emporté par l’enthousiasme. Mais franchement, ça représente quelques lignes sur 268 pages. Tu peux y aller serein.
Comme ça fait du bien une histoire portée par des personnages, sans grosses vilaines ficelles. Comme ça fait du bien cette pénombre, dans le ciel et dans les cœurs. Comme ça fait du bien un récit sans smartphones, sans internet, sans toutes ces folies. Comme ça fait du bien un monde qui va moins vite. Comme ça fait du bien d’observer des enquêteurs qui enquêtent, je veux dire qui posent des vraies questions à des vrais gens, qui construisent un raisonnement, qui étendent leur toile, qui cherchent autrement qu’en comptant sur des algorithmes.
Ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est sa noirceur presque absolue. Une quête, un tunnel d’années (mais aussi un tunnel damné), quelques personnages très travaillés, et en fond omniprésent, la vie d’un pays tout chamboulé, qui dérape, qui ne sait plus à quel saint se vouer. Politiquement et économiquement, le ciel s’obscurcit, d’où le titre du roman, j’imagine, un double sale temps, avec ce tueur qui frappe, frappe, frappe.
Tout cela est très bien fait. C’est glauque, les décors du nord de l’Angleterre n’ont pas besoin qu’on en rajoute pour se parer de froideur et de grisaille, de tristesse et de sinistrose. Même aux beaux jours. Georges Knox est dans le ton, austère, limite atrabilaire, obsessionnel. Charismatique. Et là-dessus, saupoudré à chaque chapitre, la situation du pays, catastrophique. Soyons clair, ce roman raconte une enquête policière, étape par étape, rien n’est négligé, et portant il porte en lui l’ADN du roman Noir.
On est aussi tendu que le chef de la police, on devient aussi entêté que Georges Knox et ses coéquipiers, on subit l’atmosphère lourde du pays, on subit et on suit, avec un nœud là, juste là, tout le long du roman. C’est cela qui est beau et fort, la présence de ce nœud. Tout le monde ne sait pas faire ça, installer ce nœud dans ton bide, juste sur l’estomac. Sans esclandre, sans en faire des tonnes, sans tours de passe-passe abracadabrantesques, sans surenchère. J’aime pas la surenchère ; dans ces pages, il n’y en a pas. C’est maîtrisé, on est baigné, trempé, immergé dans les années 70, leur musique omniprésente, leur culture, une génération qui pousse une autre et la fin d’une époque bienveillante. Je crois, mais je peux me tromper, je crois qu’en creux ce roman dit une chose importante, il dit qu’il y a le boulot et qu’à côté il y a la vraie vie, celle qui passe et ne revient pas. Qu’il ne faut pas se tromper de priorité.
Si tu veux mon avis, c’est du très bon polar, je suis heureux d’en avoir encore deux sous le coude qui attendent leur tour dans la bibliothèque.
Ah, j’oubliais, j’ai beaucoup aimé le petit truc qu’il fait, Michaël Mention, à un moment, à 117 pages d’écart. Je t’en dis pas plus, je ne veux pas te gâcher le plaisir.
8 euros et 70 centimes en format poche, le voyage en Angleterre et dans les années 70 le moins cher de toute l’histoire.
Seb.
Sale temps pour le pays, Michaël Mention, Rivages / Noir, 268 p. , 8€70.
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