L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Trois fois Anne Bourrel (La manufacture de livres) – Nicolas
Trois fois Anne Bourrel (La manufacture de livres) – Nicolas

Trois fois Anne Bourrel (La manufacture de livres) – Nicolas

C’est peut-être une bonne idée, de te déposer ces trois chroniques au même endroit.

Si ça te permet de rencontrer Anne Bourrel, c’est la meilleure idée de la semaine.

Le roi du jour et de la nuit

Peut-être qu’avant de commencer cette chronique, je devrais écrire un préambule. Un préambule qui préciserait qu’avant de lire, il faut croire .

Croire au fait que celle ou celui qui va te raconter une histoire a décidé de t’emporter le plus loin possible de ton confort habituel.

Ben oui.

Sinon, c’est trop facile.

Si tu ne lis que des histoires qui se passent à côté de chez toi, avec des personnages que tu connais, et à qui il n’arrive rien, ou pas grand chose, quel est l’intérêt de lire les aventures de ton voisin de palier qui se rend au boulot chaque matin de sa vie, qui travaille dans une usine de chaussettes qui ne fabrique que des pieds gauches, sachant que, quant à toi, tu bosses dans l’usine d’à côté, celle qui fabrique des chaussettes de pied droit…

Pourquoi je te cause de chaussettes ?

Pourquoi ce préambule pas tout à fait habituel quand tu as déjà lu mes crise de mauvaise humeur ?

Parce que ! Disait Orangina rouge.

Je m’énerve pas Ghislaine, j’explique.

Un second préambule pour te dire l’amour littéraire (je précise, vu qu’on s’est jamais rencontré dans la vraie vie) que j’ai pour celle qui a écrit  Gran Madam’  et autre  Le dernier invité …

Une plume qui m’a offert quelques phrases dont j’ai encore du mal à me défaire…

« La prostitution, ça pèle un être humain. Je suis à vif. »

J’ai abordé ce roman sans attente particulière. Sans espérer ou croire qu’il serait mieux ou moins bien que le précédent.

À quoi bon ?

Je sais qu’Anne Bourrel écrit avec ce qu’elle a dans le cœur, et c’est pas donné à tout le monde.

Comment entrer dans le puits d’Alice à partir d’une chaussette et partir au pays des merveilles ?

Je sais, Dimitri, je recommence avec ma chaussette.

C’est vrai que j’aurai pu préambuler avec une Matra-Simca Bagherra jaune.

Sauf que là, l’accès au monde de Salvador, à son monde à lui, se fait par le trou de sa chaussette… Comme s’il tombait, du haut de sa grue, dans un puits sans fond où l’enfant qu’il a été lui fait de grands signes pour qu’il le rejoigne dans son monde. Un monde dans lequel il va devoir affronter ses peurs, et sa mère.

La Mère.

Celle qui a été capable d’achever une baleine échouée sur une plage et qui n’avait pas demandé à se faire hacher menue par une furie en escarpins rouges.

D’aucun, il me l’a dit, n’a pas réussi à entrer dans ce roman.

Je peux comprendre.

Pas parce que la plume d’Anne Bourrel, notamment dans ce roman, est difficile, mais bien plutôt parce qu’il est nécessaire de lui faire confiance, en se laissant porter, sans se poser de questions, sur les chemins de traverse qu’elle emprunte pour nous dire cette histoire.

Tu vas rencontrer Salva, tenter de l’aider, parce que la vie n’est pas aussi simple qu’il le croyait.

Tu vas aussi croiser sa femme, qui va lui offrir le plus beau des cadeaux quand son ventre perdra sa jolie rondeur, et tu comprendras à quel point cette vie presque là, presque au monde, peut remettre en question celle de celui qui l’attend.

Tu vas croiser l’Amour de la Mère, et comprendre à quel point cet amour peut être destructeur quand il est trop fort. Quand la violence remplace les gestes de tendresse…

Et tu vas tenter, comme Salva, de comprendre qui tu es vraiment, derrière les masques que tu portes, au quotidien. Ces masques que tu changes régulièrement au fil de tes rencontres.

Ces masques de Venise qui te font même oublier qui tu es.

Difficile, comme tu l’as compris, de te raconter l’histoire de ce roman, mais retourne à l’âge où tu pouvais encore, en ouvrant L’île aux trésors, te mettre à rêver aux coffres remplis de joyaux de toutes les couleurs et au pirate à la jambe de bois…

Anne Bourrel a osé sortir de ces sentiers battus sur lesquels a parfois tendance à se promener la littérature, et c’était pas gagné de planter cette petite graine d’amour au cœur d’un pays des merveilles…

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce joli roman.

Le Roi du jour et de la nuit, Anne Bourrel, La Manufacture de livres, 284 p. , 18€90.

Le dernier invité (La manufacture de livres)

La quatrième de couverture, parce qu’aujourd’hui, finalement, tu peux décider de te réfugier dans un vrai roman…

« C’est le matin de son mariage et la Petite se réveille avec en elle une colère sourde, une colère venue du passé et qui ne s’efface pas. Peu lui importe le compte à rebours des préparatifs, les fleurs, la robe… Ce qui a de l’importance pour elle, c’est sa famille rassemblée et surtout ce dernier invité, le cousin, qui réapparaît avec sa rancœur d’un héritage perdu. Mais même si l’on partage le même sang, il y a des choses qui ne se disent pas. Quoi que l’on ait fait, quoi que l’on ait dit, certaines vérités doivent rester ensevelies car l’ordre de la famille, ça se préserve. Anne Bourrel, dans ce nouveau roman poétique et poignant, nous livre page à page les secrets d’une famille dont l’apparence ordinaire cache les plus sombres fureurs. »

Voilà.

Tu t’en souviens sans doute pas, mais il y a quelques années, je parlais d’Anne Bourrel, et de son livre qui s’appelle Gran Madam’s . J’avais été complètement bluffé par cette écriture, précise et poétique à la fois, par des phrases qui ont traversé mes lectures et sont souvent revenues me hanter.

Dans une de ses chansons, celle qui s’appelle  Hope, Gaëtan Roussel dit : « Tu te rappelais pourtant de tout », et sans doute que lui ne parle pas des secrets de famille. Sans doute.

Parce que dans « secrets de famille », il y a les non-dits aussi. Et parfois les dits qu’on ne veut pas entendre…

Les dits qu’on ne veut pas entendre.

Dans ce roman, il y a « La petite ». Elle est pas vraiment petite, mais tout le monde l’appelle comme ça. Elle a été petite, un jour, mais elle a grandi. Elle court sur les chemins de la vie.

Comme si la course à pied, la musique dans les oreilles, le bruit de son cœur qui bat, l’aidaient à oublier les orages et les coups de l’existence. Ceux dont elle a voulu parler.

Les coups donnés par ceux qui ont refusé de l’écouter.

Elle se souvient de tout, elle n’a rien oublié.

Parfois, il suffit d’un regard pour tout raviver. Pour que la violence apparaisse.

Le regard d’une enfant, ou celui d’un homme qu’on croyait disparu au fond des mémoires.

Alors un roman sur cette violence enfouie au plus profond des petites filles qui sont devenues des femmes, celles qui portent au cœur de leur ventre les coups donnés par les hommes qui les ont bafouées.

Celles qui portent en elle cette tristesse que tu croises parfois dans le regard de ces passantes que chantait Brassens.

Le rouge de ces cheveux qui explose aux yeux des autres.

L’odeur insupportable des bergamotiers qui lui rappelle la puanteur du monde dans lequel elle vit, ce monde dans lequel vivent aussi ceux qui prennent le pouvoir sur les femmes.

L’idée d’Anne Bourrel de nous imposer l’odeur de la bergamote comme une puanteur est juste géniale. Qui n’a jamais été incommodé par un parfum trop présent, presque agressif…

Ce monde dans lequel tu vis aussi quand tu regardes et que tu laisses faire, et j’ai tendance à penser que ce n’est pas terminé.

Alors un roman sur l’alcool aussi. Cet alcool qui autorise ceux qui le boivent jusqu’à la lie à oublier qu’ils savent.

Qu’ils ont vu

Qu’ils ont voulu fermer les yeux et le cœur à la plainte de la petite qui est venue leur dire la souffrance.

Ces traces laissées dans la vie des membres de la famille, comme cette tache laissée par le café sur la robe de celle qui va se marier. Tu crois que si tu la laves, elle ne se verra plus.

Qu’il faudra savoir pour la deviner encore.

Tu te goures.

La tache, elle reste.

Toujours.

Les tatouages sur la peau de La Petite, comme pour symboliser les hurlements poussés en silence parce que la voix se casse dans la gorge, parce que la voix est étouffée par la main de l’autre posée sur la bouche de la petite fille.

Tu vas penser à ce roman, longtemps, quand tu entendras quelqu’un dire « Va jouer en bas » à ce môme qui voulait juste rester là, avec ses parents.

Juste rester là.

Parce que personne ne sait vraiment qui sont les monstres qui se cachent en bas…

Tu y penseras quand tu entendras le bruit de la feuille qu’on déchire…

Le bruit de la feuille qui empêche les petites filles de grandir, parce que leur vie a été déchirée le jour où l’autre a broyé leur cœur de femme en devenir.

Tu vas y penser quand tu entendras un enfant inventer un mot.

Un mot que tu ne connaissais pas et que tu n’oublieras jamais.

Un jour, un petit garçon m’a dit qu’il était content parce qu’« On a eu une bonne parlation » il m’a dit.

Alors parfois j’ai fermé les yeux, j’ai écouté La Petite me dire qu’elle aurait voulu grandir plus vite.

Devenir une femme.

Ne plus entendre la feuille de papier qui se déchire.

Elle n’a pas pu.

Elles sont tellement nombreuses à ne pas pouvoir. À hurler en silence leur peur des monstres qui vivent en bas.

À part te dire d’aller le chercher, de le trouver et de le lire, c’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman de Anne Bourrel.

Le dernier invité, Anne Bourrel, La manufacture de livres, 220 p. , 18€90.

Gran Madam’s

Anne Bourrel, donc, elle a écrit une espèce d’ovni, et ça s’appelle  Gran Madam’s.
 Un ovni, parce que ça se lit à la vitesse de la lumière, genre pendant un après-midi pluvieux sur ton canapé, ou sur un banc dans un jardin public avec le vent qui souffle doucement dans les branches…

Bon, je sais pas comment tu occupes tes après-midi lecture, ni tes soirées, d’ailleurs. Mais ce qui est sûr, c’est que tu vas l’ouvrir, et pas pouvoir le refermer.

Des phrases, d’abord, qui te font toucher du doigt quelque chose qui est pourtant loin de toi. Un truc dont parle pas trop les journaux à grand tirage ou les chaînes de télévision que je ne regarde plus depuis Tintin en couleur…

Sans doute que ça les dérange, ou que ça dérange le type qui préfère les fréquenter mais pas en entendre parler.

Parce que les types, encore aujourd’hui, notamment ceux que tu croises parfois sur internet ou au gouvernements (tous les gouvernements), ils les fréquentent assidûment…

Ça fait quoi d’être une pute dans un bouge plus ou moins immonde ?

Une pute.

Tu vois ce que je veux dire ? Ils disent “prostitué” mais c’est pute, le vrai mot qu’ils emploient, notamment dans l ‘éducation des petits garçons, quand on leur apprend le langage et comment devenir un nome.

La Jonquera (Photo : D.R.)

Je dis ça parce que je suis en colère.

Parce que tant qu’on aura pas expliqué aux petits garçons que les mots sont signifiants, on aura pas commencé à réfléchir sérieusement.

Tu ressens quoi quand ton corps est bafoué par des types qui ont le pouvoir sur toi parce qu’ils ont filé un biffeton à ton mac ?

Le mac, je t’explique pas.

Tu sais. T’en as vu dans des films.

La réponse, tu la prends dans la gueule, pleine face comme ils disent :

« La prostitution, ça pèle un être humain. Je suis à vif. »

Et ce genre de phrases, il y en a plein.

Ça tue.

Ça tue parce que les mots employés sont les bons. Pas possible de les remplacer par d’autres.

Un récit fait de rencontres, de hasards, mais pas de coïncidences.

Les coïncidences, ça n’existe pas, sauf dans les films de Lelouch.

Bégonia tisse une toile qui nous amène, l’air de rien, à une conclusion qu’on sent approcher mais à laquelle on n’a pas très envie de croire, parce que les choses s’arrangent, et parce que merde !

Elle a bien mérité de vivre !

Ce à quoi on veut croire, c’est à un moment d’amour qui pourrait durer un peu plus longtemps, s’éterniser après ces 188 pages…

Mais « Le chagrin d’amour d’une pute, ça compte pour personne », alors t’es triste pour Bégonia… et puis tu finis par l’aimer.

Peut-être parce qu’on a tous eu envie, une fois, d’aider une de ces filles que nos yeux ont croisée au détour d’un carrefour, qu’on soit un mec ou une nana. Juste envie de la prendre par la main pour l’emmener ailleurs.

La première fois que je l’ai ouvert, il y a quelques années, j’étais pas très sûr de mon ressenti après l’avoir refermé.

Mais je l’ai relu, quelques mois après, puis à nouveau il y a deux semaines.

Aujourd’hui, je suis convaincu que c’est un vrai texte, fort, beau, et parfaitement écrit.

Fais-moi confiance…

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.

Tu te souviens sans doute de ce mec qui demande à Roxanne d’éteindre la lumière rouge…

Nicolas.

Gran Madam’s, Anne Bourrel, La manufacture de livres, 187 p. , 14€90.

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