« Les gens ne vont pas supporter qu’une fille dans votre genre vive sous le même toit que ce minable et un pauvre débile. Vous allez foutre le feu au village et vous n’y gagnerez rien. »
« Pierre Pelot écrit, dans Fiction n° 317 (avril 1981, p. 189) : « Petite information en passant qui illustrera l’allusion de l’échotier concernant ma possibilité de « carrière » littéraire dans le mainstream : L’Été en pente douce a été lu – sait-on jamais !- et refusé par Belfond, Gallimard, Grasset, Albin Michel, Le Seuil, Alta, Sagittaire, Calmann-Lévy, Lattès, Stock… (En note : Tiens, je n’ai pas essayé Laffont. Ca vous intéresserait, mes livres « noirs », M’sieur Laffont ?). Au bout d’un certain nombre, ça lasse. Un jour, si vous êtes sages, je vous donnerai quelques-unes des raisons de ces refus… Résultat, ce bouquin termine sa carrière avant de la commencer – j’en suis certain – aux éditions Kesselring qui sont en train de sombrer… qui, en tout cas, remuent une merde noire. Fermons la parenthèse, sur le néant total des articles de presse concernant à ce jour et à ma connaissance ce roman – sauf un rot délicat d’un mongolien quelconque dans une revue chatoyante que je ne citerai pas : donc, comme je le disais, le néant. »
Ces quelques lignes piochées ici en disent long sur l’état d’esprit de Pierre Pelot au début des années 80. Stakhanoviste de l’écriture, il enchaîne les romans, publie à droite à gauche dans tous les genres ou presque mais, hormis quelques admirateurs et un succès d’estime, la reconnaissance tarde à venir. Ce qu’il ignore alors, c’est que, quelques années plus tard, le réalisateur Gérard Krawczyk va s’emparer du texte et l’adapter au cinéma. Doté d’un casting de haute-volée (Pauline Lafont, Jean-Pierre Bacri, Jacques Villeret, Guy Marchand, entre autres), le film va faire un carton et remettre en selle le roman initial. Si le texte se suffit largement à lui-même, le cinéma lui offre une caisse de résonance inespérée qui en fera en quelques années un roman culte.
Il faut dire que Pelot saisit son lecteur dès les premières lignes et l’immerge durant 230 pages dans un texte incandescent, une atmosphère hautement inflammable qui rend caduque l’idée même d’un éventuel happy end. On se dirige vers le drame et on le sait. Simplement, on ne sait pas vraiment quelle forme il va prendre.
Quelque part dans l’Est de la France, Fane, à l’occasion du décès de sa mère, revient au village dans lequel il a grandi. Il est accompagné de Lilas qu’il a négociée avec son voisin qui levait un peu trop facilement la main sur elle. Sur place, ils retrouvent Momo, le frère attardé de Fane, et s’installent tous trois dans la maison dont les frères viennent d’hériter. La présence de Lilas, jeune femme dont la sensualité explose à chaque geste, va vite faire monter la température dans le village. Convoitée par un des voisins garagistes qui guignent également la maison, Lilas finira par se retrouver au coeur d’un drame qu’elle était la dernière à souhaiter.
Plongée chez les white trash hexagonaux, L’Été en pente douce tape vite et fort. Brûlant de sa première à sa dernière ligne, le roman de Pierre Pelot ne s’embarrasse pas de chichis et offre un tableau juste et percutant de cette frange de la population que la pauvreté et le manque d’éducation poussent souvent à faire les mauvais choix. Loin du style foisonnant à l’oeuvre dans son dernier roman, L’Été en pente douce frappe par la sécheresse de son écriture et la dureté de ses dialogues, souvent crus, à l’image de ses protagonistes mal dégrossis. Chaque portrait est frappant de force et de vérité, qu’il s’agisse de Fane, l’alcoolique persuadé de pouvoir devenir un grand auteur de polars, de Momo, le frère demeuré suite à un accident dont il était responsable, ou de Lilas, dont la sensualité imprègne tout le roman, victime des hommes et de sa beauté.
Ligne directe vers la tragédie, L’Été en pente douce mérite amplement le succès rencontré et la réputation qui en a suivi. Dans l’oeuvre immense et protéiforme de Pierre Pelot, ce texte garde définitivement une place à part tant il semble concentrer en ses pages tout le talent, la noirceur et les obsessions de l’auteur vosgien. On ne pourra donc que louer ici les éditions Au Diable Vauvert de donner une nouvelle vie à ce roman qui en a déjà vécu plusieurs et auquel on en souhaite bien d’autres encore.
« Vous êtes tous des salauds, dit-elle. Vous ne pensez pas à deux choses, c’est toujours pareil. Le premier qui m’a dit que je ferais du chemin avec mon cul, c’était mon père. Et il m’a violée. Pour ça, j’en ai fait du chemin, oui ! «
Yann.
L’Été en pente douce, Pierre Pelot (Au Diable Vauvert / Les Poches du Diable), 230 p., 9€.
Le film que je me regarde au moins une fois par an (parce que Pauline Lafont, Jacques Villeret et Jean-Pierre Bacri, et surtout un scénar de malade), le roman que je me relis aussi régulièrement mais que je n’ai pas relu depuis au moins 3 ans… Merci Yann de me l’avoir remis dans mes yeux de lecteur exigeant. Une merveille, et du coup, je vais me le reprendre chez vauvert.
Avec plaisir l’ami !
Ping :L’Été en pente douce, Pierre Pelot – Amicalement noir