« Après un grand silence qui m’a fait battre le coeur pour toute la vie, je me suis éveillé. »
C’est ainsi que débute cette Fête des mères qui scelle nos retrouvailles avec Richard Morgiève après Le Cherokee (2019) et Cimetière d’étoiles (2021), tous deux déjà parus chez Joëlle Losfeld. On reconnaît dès les premiers mots ce ton unique, cette émotivité à fleur de peau qui irrigue les romans de Morgiève. On se laisse prendre à nouveau par ce mélange complexe d’humanité, d’amour et de mélancolie qui nous avait déjà bouleversés dans Un petit homme de dos ou Les Hommes. C’est que l’auteur n’en aura jamais fini avec la famille. Et pourtant … Pourtant, une fois n’est pas coutume, il serait bon de commencer par lire les trois ou quatre pages que Richard Morgiève a ajoutées à la fin de ce roman car on y apprend, premièrement, que ce texte a déjà été publié en 2015 aux éditions Carnets Nord (sous le pseudo de Jacques Bauchot) et, deuxièmement, que la famille dont il est question ici est celle d’une ancienne connaissance de l’écrivain, qui avait expressément demandé à Morgiève d’écrire sa biographie.
La première édition du roman s’est vendue à quelques dizaines d’exemplaires puis le titre est tombé dans l’oubli avant que Richard Morgiève ne s’y replonge et ne ressente le besoin d’en proposer une version relue et corrigée, modifiée à la marge car, dit-il, « l’histoire m’a saisi, emporté. Elle était romanesque comme une alliance passée à ton doigt. Je ne pouvais pas la laisser toute seule, je ne pouvais pas l’abandonner. Je ne pouvais pas me dissocier d’elle. Mon double miroir, c’était elle. » Ces quelques mots valent pour moi n’importe quel résumé, n’importe quelle chronique que l’on pourrait être tenté de faire de ce livre.
« Une famille de la haute bourgeoisie versaillaise dans les années soixante : la vipère parfumée à l’Heure Bleue, c’est la mère. Le père banquier est absent, les quatre frères se détestent. Ou bien ils s’aiment un peu, beaucoup. Ils ont faim car la mère ne veut pas qu’ils mangent. Ils ne sentent pas bon car elle leur interdit l’eau chaude, et puis à peu près tout, sauf la confession. jacques se rebelle. Il refuse de faire sa communion solennelle et tombe gravement malade. Il veut vivre. ce n’est pas si facile. » (Quatrième de couverture).
Les Hommes était marqué par les femmes. La Fête des mères l’est par l’absence du père. Jacques Bauchot, alter ego de Morgiève, ne grandit pourtant pas seul. Outre ses frères et sa mère, il grandit dans le giron d’Yvette, cuisinière aimante et attentionnée. Il a des amis, Smith ou Buciflet, avec lesquels il partage ses interrogations sur les mystères de la vie et de la religion, sur ces adultes qu’il a décidément du mal à comprendre. Comme tout un chacun, Jacques finira par grandir cahin-caha, mais il lui aura fallu affronter la maladie, l’incompréhension, l’absence, le mensonge et la méchanceté. La Fête des mères n’en est pas pour autant un roman de Dickens. C’est un roman de Morgiève et ce diable d’homme sait nous garder captifs de ses mots. Il se montre aussi bouleversant à narrer l’histoire de Bauchot qu’il l’était quand il nous racontait la sienne et pour cause, leurs interrogations et leurs angoisses furent les mêmes, la relation avec leurs parents également. Morgiève a investi dans l’histoire de son ancien ami toute la sensibilité et la mélancolie qui le caractérisent, associées à une envie de vivre plus forte que tout. Il aura aussi et surtout appris à vivre en dépit des absences, des manquements de ces adultes qui auraient pu l’aider à affronter certains épisodes particulièrement délicats.
« Il était plus facile de parler à quelqu’un d’à peine présent, et les morts étaient certainement ceux qui écoutaient le mieux les regrets, les confessions. Je l’observais en essayant de construire un musée autour de lui, de ce que je voyais de lui, à cette heure. Une pièce noire et lui, en photographie ou peint (…) J’avais tellement eu besoin de lui et je l’avais eu si peu. »
La Fête des mères est l’histoire d’un enfant qui devient homme. Ça n’est pas l’histoire de Richard Morgiève mais ça aurait pu. La seule chose qui compte au final, c’est que ce livre touche au coeur et remet de l’émotion brute et sincère dans cette rentrée.
Yann.
La Fête des mères, Richard Morgiève, Joëlle Losfeld éditions, 417 p. , 22€.
La Fête des pères (c’est pas la fête des mères, ou c’est de l’humour ?)est l’histoire d’un enfant qui devient homme
Ça n’était même pas de l’humour, juste un léger (?) lapsus, corrigé depuis.