Après Presqu’îles, excellent recueil de nouvelles et succès surprise aux éditions Agullo, Yan Lespoux revient là où on ne l’attendait pas, avec un roman aussi ambitieux que réussi. C’était donc pour nous l’occasion rêvée d’un nouvel entretien.
Merveille que ce grand roman d’aventure qui nous fait voyager au début du XVIIe siècle du Médoc au Brésil en passant par les Indes orientales !
Après une scène introductive époustouflante lors d’un naufrage en 1627, on retourne plus de 10 ans auparavant pour comprendre comment et pourquoi Fernando débarquera un jour plus mort que vivant sur cette plage de la côte du Médoc.
En ces temps où l’empire portugais est attaqué de toutes parts et a déjà derrière lui son apogée, traverser le monde aux côtés d’un jeune soldat détenteur de son propre code d’honneur est une expérience que Yan Lespoux nous fait vivre brillamment.
Devenir une vraie aventurière depuis mon canapé, voilà qui est absolument parfait pour moi ! Quel plaisir de voyager au fil des mots de l’auteur qui nous font passer des péripéties de Fernando de par le monde aux difficultés de Marie dans le Médoc et à l’ouverture sur un monde cruel du jeune Diogo au Brésil.
La langue est belle et nous transporte tout aussi sûrement que les personnages dans une époque aux mille dangers. Un tel souffle romanesque est rare et particulièrement impressionnant quand on sait que c’est un 1er roman.
Voici donc un des grands livres de la rentrée littéraire. Chapeau Agullo pour le travail d’édition mené autour de ce superbe texte. L’objet est tout aussi parfait que son contenu et le plaisir de lecture en est décuplé.
Aurélie.
Par avance, désolé pour la métaphore sportive mais c’est la première qui m’est venue : entre le recueil de nouvelles Presqu’îles et l’ample Pour mourir, le monde, il y a à peu près la même différence qu’entre une course de vitesse et un marathon non ? Comment t’y es-tu préparé ?
Eh bien je ne m’y suis pas préparé, en fait. J’ai appris sur le tas et j’ai beaucoup appris de mes erreurs. La nouvelle, c’est en effet tout autre chose. Tu écris un texte en quelques heures, quelques jours, tu reviens un peu dessus et c’est terminé. Tu peux écrire le suivant dans la foulée ou des mois plus tard. Je me suis vite aperçu que le roman nécessitait une discipline beaucoup plus drastique. Tu ne peux pas écrire quelques pages et reprendre comme si de rien n’était trois semaines plus tard. Pour ne pas perdre le fil, pour bien t’immerger, cela nécessite d’écrire régulièrement… et il m’a fallu du temps, non pas pour le comprendre – ça a été assez vite évident – mais pour pouvoir dégager des heures d’écriture dans mes semaines, pour initier une dynamique d’écriture.
On te connaissait, via ton blog Encore du noir, passionné de roman noir et de littératures policières, on te découvre ici amateur de roman d’aventures, à moins que tu ne préfères parler de roman historique ?
Roman d’aventures, ça me va. C’est ce dont j’avais envie. D’un livre pour s’échapper un peu, voyager, courir le monde.
Les basques étaient connus pour leur aptitude à la navigation. Les médocains, si l’on en croit ce qu’on lit dans ton roman, semblaient l’être davantage pour leurs penchants de pilleurs d’épaves. Tu confirmes ou mon résumé est un peu trop caricatural ?
C’est sans doute un peu caricatural, mais c’est de ma faute. J’ai voulu que le côté médoquin soit plus proche du western et j’en ai un peu rajouté avec le personnage de Louis qui tient sous sa coupe toute cette communauté de pilleurs d’épaves. Ceci dit, ce que rejetait la mer était une ressource comme une autre pour les gens qui vivaient sur cette côte qui était très inhospitalière. Les archives sont pleines d’histoires de conflit entre les populations et les autorités concernant ces pillages d’épaves. Il faut imaginer des gens qui vivaient dans des lieux plutôt hostiles : des dunes que le vent déplaçait et qui pouvaient ensevelir des villages entiers, quelques forêts exploitées pour la résine et pour faire du charbon, des marais insalubres, des landes inondées une grande partie de l’année. Dans ces conditions, le pillage d’épave et, plus généralement le fait de courir la côte pour ramasser ce que la mer y déposait était un complément très utile.
Le roman comporte quelques scènes de batailles navales particulièrement réussies. Où as-tu puisé ton inspiration pour ces pages ?
Tous les combats navals que je décris ont eu lieu. J’ai donc commencé par regarder les sources à ce propos pour avoir au moins une idée de la chronologie, de la manière dont les combats ont lieu. Pour celui dans le canal du Mozambique, par exemple, on a une recension anglaise et une autre portugaise, avec quelques différences, mais très intéressantes. J’ai aussi beaucoup cherché de documentation sur les navires eux-mêmes, leur construction, la façon dont ils manœuvraient, la vie à bord… Ensuite, la difficulté tient plus à la description de la manière dont les hommes à bord vivent ces combats. Là encore, on trouve quelques informations, mais c’est surtout le travail du romancier qui entre en jeu : essayer de se fondre là-dedans, d’imaginer ce que l’on peut ressentir au milieu d’un tel combat…
Que ce soit à Goa, au Brésil ou dans le Médoc, tu dépeins un monde où résonne le fracas des armes. L’époque était globalement très belliqueuse et laissait peu de place au pacifisme ou à l’empathie, semble-t-il.
Y a-t-il une époque qui ne soit pas belliqueuse ? Ce moment-là est intéressant parce qu’on entre dans une nouvelle phase de la mondialisation avec des nouveaux équilibres politiques et, pour le Portugal, qui a déjà été annexé à la Couronne d’Espagne, c’est la fin de la domination de son empire maritime. Il commence à sérieusement se faire tailler des croupières par les Pays-Bas et l’Angleterre et c’est, en quelque sorte, le début de la fin d’un monde. La partie qui se déroule dans le Médoc relève aussi un peu de ça, puisqu’on est dans des lieux que les eaux et le sable ne cessent d’ensevelir. Tout devient question de survie – des empires et des femmes et des hommes qui, de gré ou de force, sont à leur service.
Quelle était ton intention initiale quand tu as commencé à envisager ce roman ? Savais-tu précisément où tu allais ou le roman s’est il construit progressivement ?
Mon intention initiale était simple. Je voulais écrire un roman d’aventures qui me fasse voyager. Je suis parti de cet événement historique qui est le naufrage d’une flotte portugaise dans le golfe de Gascogne en janvier 1627, qui me paraissait éminemment romanesque et qui me permettait de naviguer de Goa à Salvador de Bahia en passant par le Portugal, le Médoc ou le Cap-Vert. J’ai eu assez vite mes trois personnages principaux, Marie, Fernando et Diogo, et je savais très exactement où je voulais les amener… après, il s’agissait de trouver le chemin jusque-là.
Pour mourir, le monde s’inscrit dans la grande tradition du roman d’aventure et en respecte les codes. As-tu, à travers ce texte, cherché à rendre hommage à des auteurs en particulier ?
J’aime beaucoup les romans d’aventures, en effet, mais je n’ai pas cherché à rendre d’hommage particulier. Par contre, des livres que j’ai adorés, comme L’île, de Robert Merle ou 3000 chevaux vapeurs, d’Antonin Varenne, m’ont montré que l’on pouvait faire de fabuleux romans d’aventures français. J’ai essayé de ne pas trop y penser, tant ce sont des exemples qui peuvent être écrasants, mais j’ai fait de mon mieux pour essayer de trouver un peu du souffle que j’avais senti dans ces romans.
On voyage beaucoup dans ton roman, on ne fait même quasiment que ça. Ça n’est pas un peu frustrant de devoir se contenter de documentation, aussi sérieuse et complète soit-elle, plutôt que de suivre les périples de tes protagonistes ?
Ah ! Pas du tout. La documentation m’a beaucoup fait voyager. Et d’autant plus que je l’ai travaillée en grande partie pendant les confinements. J’ai aimé pouvoir quitter un peu ma maison pour aller me plonger dans Goa ou Salvador de Bahia au 17e siècle. Je suis tout de même allé à la Corogne et au Ferrol pour avoir une meilleure idée de la géographie des lieux, mais c’est l’exception. Parce que de toute façon, aujourd’hui la Goa du 17e siècle n’existe plus ; il n’en reste que quelques ruines, Lisbonne a beaucoup changé après le tremblement de terre de 1755, la côte médoquine a été « domestiquée » au 19e… J’ai voyagé par procuration, mais j’ai voyagé loin et longtemps et c’est très agréable aussi.
Comment se sent-on lorsqu’on vient à bout de l’écriture d’un roman comme Pour mourir, le monde ? Après une telle immersion prolongée, le retour à la vie réelle n’est-il pas décevant ?
D’abord on est soulagé d’avoir réussi à arriver au bout de l’écriture. Et puis on en sort progressivement : j’ai rendu mon manuscrit en décembre, j’ai retravaillé avec l’éditrice, Estelle Flory, en février, j’ai revu encore avec la correctrice, puis on a commencé à le présenter aux représentants et aux libraires… j’en parle aujourd’hui dans cet entretien… je ne suis pas sûr d’en avoir tout à fait fini. Et puis, d’une manière plus générale, si je prends plaisir à m’immerger dans l’écriture comme je prends plaisir à m’immerger dans la lecture ou dans un film, je reste ancré dans la vie réelle. Mais ça ne l’empêche pas d’être parfois décevante ! Par contre, lorsqu’elle est source de joie, c’est aussi une joie plus palpable.
L’équipe d’Aire(s) Libre(s) remercie Yan d’avoir une nouvelle fois joué le jeu de l’entretien avec nous ! La suggestion musicale qui suit est la sienne.
Pour mourir, le monde, Yan Lespoux, Agullo, 432 p. , 23€50.
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