L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Le Monde de la berge fleurie, Atticus Lish (Bourgois) – Yann
Le Monde de la berge fleurie, Atticus Lish (Bourgois) – Yann

Le Monde de la berge fleurie, Atticus Lish (Bourgois) – Yann

« Cela débuta à l’automne 2010 – un mois après l’anniversaire de Corey – son quinzième anniversaire, son année de seconde à Quincy High. La sensation était quelque part dans le corps de Gloria, elle n’aurait pas su la situer précisément, quelque part dans sa chair entre le corps et l’esprit. C’était comme un animal qui prenait vie à l’intérieur d’elle, une source qui se réveillait, mais à la mauvaise saison. »

Crédit photo : Shelton Walsmith.

Parmi les loups et les bandits (Buchet-Chastel 2016 et Le Livre de Poche 2018), déjà traduit par l’impeccable Céline Leroy, avait à juste titre obtenu le Grand Prix de Littérature américaine 2016. En ce qui me concerne, l’onde de choc provoquée par la lecture de ce roman n’a, depuis, pas trouvé d’équivalent. Rarement un premier roman m’aura touché aussi fort et aussi longtemps et l’odyssée urbaine de Zou Lei et Skinner restera une de mes lectures les plus marquantes de ces dernières années. C’est donc peu dire que j’attendais l’auteur au tournant. Il aura fallu patienter sept ans avant que n’arrive sur les tables des libraires ce Monde de la berge fleurie qui, sous un titre vaguement enfantin, risque à nouveau de laisser des séquelles chez celles et ceux qui le liront.

« Corey Goltz, quinze ans, grandit dans la banlieue ouvrière de Boston. Il vit seul avec sa mère Gloria. Cette dernière a connu beaucoup de désillusions mais elle a toujours été là pour son fils. Tout change quand un médecin lui apprend qu’elle est atteinte de la maladie de Charcot. » (4ème de couverture).

Autant clarifier les choses, Atticus Lish n’est pas là pour vendre du rêve, encore moins de l’american dream. Dotée d’une puissance narrative rare, son écriture nous embarque sans ménagement dans la vie chaotique de Corey et Gloria, confrontés aux faiblesses et aux injustices du système de santé américain. Parmi les loups et les bandits offrait déjà au romancier l’occasion de régler ses comptes avec une société souvent malade de sa violence et de son intolérance. Le parcours douloureux de Gloria illustre cette fois cruellement les difficultés insolubles auxquelles il faut tenter de faire face lorsqu’on est en mauvaise santé aux États-Unis. Atticus Lish n’épargne rien à Gloria et provoque régulièrement des séismes émotionnels sans pour autant verser dans le témoignage larmoyant que l’on serait en droit de craindre à la lecture du résumé.

Outre sa description sans merci d’un pays qu’il ne semble pas forcément toujours porter dans son coeur, Atticus Lish impressionne par la force et l’épaisseur qu’il parvient à insuffler aux personnages qui habitent ses pages. Gloria et Corey, bien sûr, unis par un amour souvent bouleversant, mais aussi et surtout Leonard, père toxique et longtemps absent, ou Adrian, l’étudiant obsédé par son propre corps et ses cours à la fac, sont autant de figures qui s’imposent au fil des pages. Atticus Lish excelle également dans sa peinture des décors urbains, la ville et ses banlieues devenant des personnages à part entière du roman.

Fascination pour la violence, culte du corps, manque d’empathie, complotisme, égoïsme forcené, les États-Unis d’Atticus Lish n’ont rien d’un Disneyland. La solidarité et la compassion sont des denrées rares, une éclaircie dans un ciel d’orage. Mais, à travers les destins de Corey et Gloria comme, avant eux, ceux de Zou Lei et Skinner, c’est néanmoins d’humanité et d’amour qu’il est question ici, quand ils parviennent à émerger de la fange environnante.

Fort de ses 630 pages, Le Monde de la berge fleurie captive, dérange, se lit dans l’urgence et s’offre le luxe inouï de basculer résolument dans le roman noir 100 pages avant de laisser le lecteur étourdi, K.O pour quelque temps sans doute. Une chose est sûre, il s’agit là d’un texte qui laisse la concurrence à terre. On ne lira pas cette année deux romans aussi puissants que celui-ci.

« Pensant à Molly, il se dit qu’il devait faire quelque chose de plus grand – quelque chose dont la boxe professionnelle ne serait qu’un élément : la guerre de forte intensité – expéditionnaire, totale, sur mer, sur terre et dans les airs – et même dans l’espace – quelque chose de si grand qu’il pourrait en mourir, l’obligeant à dépasser définitivement la faiblesse de caractère et l’orgueil qui l’avaient poussé à décevoir tous ceux qui l’entouraient – une voie à honorer, faite d’invincibilité, de fierté et de pureté morale – là où son père s’était vautré dans le scandale, l’obscénité et le dysfonctionnement. »

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy.

Yann.

Le Monde de la berge fleurie, Atticus Lish, Éditions Bourgois, 632 p. , 25€.

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