D’abord, il y a un lieu : Bondy. Car le récit, qui débute à 7h30 pour se dérouler ensuite sur l’espace d’une journée, respecte également la règle de l’unité de lieu (et ce n’est pas anodin, le théâtre est ici partout) : un lycée et son environnement immédiat. C’est sous le pont tentaculaire de la ville, sorte de porte des enfers de nos sociétés modernes, entre autouroutes, routes nationales, ponts géants passant au dessus des têtes et où le bruit assourdissant rivalise avec celui des bagarres et l’énergie des milliers d’élèves arrivant chaque matin, que s’ouvrent les premières lignes du récit. Dès le début et grâce à une écriture d’une maîtrise, d’une justesse et d’un rythme impressionnants, le roman de Thomas Reverdy vous happe et ne vous lâche plus.
Crédit photo : Silvio d’Ascia Architecture, BIG
Mais s’il y a bien unité de lieu et unité de temps, la multiplicité des actions, des personnages et des points de vue, elle, est bien présente – même si elle se resserre peu à peu sur le même constat d’échec de nos sociétés et de nos capacités à regarder les problèmes en face. L’élément qui déclenche tout se déroule dans le prologue, juste avant l’entrée en cours, lorsque l’un des élèves se fait agresser par un homme et que Mo, élève sage et amoureux de poésie (et de Sara) et qui passait par là, prend cet inconnu en photo. Le cliché, qui devient vite viral sur les réseaux, fait enfler la rumeur : cet homme, ce serait bien un flic. C’est le début d’un engrenage qui, en parallèle et en complément de ce qui va se dérouler dans le lycée, grandit tout au long de la journée pour se mêler à d’autres conflits, d’autres colères, d’autres abandons. Une action qui se déroule sur 24 heures au sein de ce que l’on appelle hypocritement « un quartier difficile » avec la tension qui monte peu à peu : il y a bien évidemment de La Haine dans ce Grand Secours.
Mais il y a de l’amour aussi car Thomas Reverdy, lui-même enseignant dans un lycée de Bondy, maîtrise à la perfection ce dont il parle et aime et respecte ses personnages. Ces jeunes, qui se débrouillent comme ils le peuvent entre familles paumées et indifférence des pouvoirs publics, il les décrit avec une sensibilité et une justesse impressionnantes mais sans aucune démagogie, captant dans les gestes, les corps, les dialogues, l’énergie vibrante d’une jeunesse qui n’abandonne pas, même si elle sait qu’on l’abandonne. Face à eux, des adultes qui jouent à faire semblant de maîtriser les choses quand tout part en ruines – et qui eux aussi, y compris dans leurs failles, leurs lâchetés et leurs paradoxes, ne sont jamais accablés par le narrateur qui ne veut en faire ni des héros ni des salauds – juste des êtres humains délaissés eux aussi par ce qui serait la seule solution : la politique. Et puis, au milieu de tous ces personnages, il y a Candice, devenue prof un peu par hasard, et qui, dans un équilibre quasi parfait entre la compréhension et la fermeté, tente de jeter des ponts (des vrais, des beaux, pas de ceux qui défigurent les villes) entre les générations et les classes sociales.
©David Ignaszewski / Flammarion
Lorsque vous lirez cet article et ce livre (enfin je l’espère), deux mois se seront écoulés puisque j’ai eu la chance de pouvoir le découvrir avant sa sortie et que j’écris cette chronique au tout début du mois de Juillet. Je ne sais pas ce qu’il en sera du climat social à la fin du mois d’août (disons tout de même que je ne suis pas très optimiste) mais il se trouve que j’ai lu Le Grand secours pendant les journées où des émeutes ont éclaté un peu partout en France suite à la mort de Nahel, jeune homme tué lors d’un contrôle de police. Je suis persuadée que j’aurais trouvé ce roman excellent en le lisant dans un autre contexte, mais je dois bien confesser que ce qui se passait au moment même où je le découvrais n’a fait qu’ajouter à mon admiration pour l’écriture de Thomas Reverdy : jamais caricaturale, d’une finesse impressionnante, et dressant un constat sans aucune concession sur les responsabilités individuelles et collectives de notre société qui, à force de détourner les yeux des flammèches ou de les attiser, ne sait que provoquer de grands incendies. La description du corps enseignant (que j’ai moi-même fréquenté vingt ans) est l’une des premières que je lis sans me désoler du ratage mais en ayant au contraire le sentiment que l’auteur a enfin réussi à en parler avec une justesse et une acuité qui m’ont parfois fait sourire mais aussi fait retrouver le goût amer des illusions perdues et des colères que l’on espère pas vaines – mais qui le sont souvent.
Et puis une dernière chose : si comme moi vous ignoriez tout de ce qu’est un « grand secours » et bien ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Pour le savoir, c’est très simple : jetez-vous sur le roman de Thomas Reverdy !
Mélanie.
Le grand secours, Thomas Reverdy, Flammarion, 320 p. , 21€50.
Un vrai ❤️ pour ce roman, aussi !
Ça commence à nous faire quelques lectures en commun !
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