L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Tumeur ou tutu, Lena Ghar (Éditions Verticales) – Margot
Tumeur ou tutu, Lena Ghar (Éditions Verticales) – Margot

Tumeur ou tutu, Lena Ghar (Éditions Verticales) – Margot

Les éditions Verticales nous ont habitués aux surprises, aux sorties de chemins d’écriture habituels, aux talents virevoltant de créativité, à l’expérimentation stylistique et aux alternatives pour relier différemment la lecture et ses surprises.

Et là, pour cette rentrée, nous est offert sur un plateau un incroyable objet littéraire à lire pour identifier. Identifier un « Je » qui joue avec les mots et le réel, décrypte et réagence sous nos yeux de lecteurs, décontenancés, surpris, emportés. (Exactement dans cet ordre, de surcroît)

Des pages pleines de fulgurances, d’une sincérité inhabituelle par sa brutalité (brute étant sa pensée) mais intensément poétique (logique étant sa créativité), comme des éclairs de justesse avec lesquels une jeune puis moins jeune narratrice décrit son monde.

Entrer dans le roman et dans la tête de ce « Je » de plein fouet

Une narratrice tout sauf apaisée qui tente de construire et déconstruire le réel autour d’elle, de le mettre en mots tel qu’elle le perçoit. Quitte à créer des mots qui selon elle portent mieux ce qu’elle pense/ressent.

On ouvre le livre, intrigué, on  met quelques pages à (se laisser) saisir, surtout si on aime la logique, illogique parfois, mais (re)créative pour ressentir plus juste, comme affutée. Et la curiosité fait qu’on se laisse emporter.

Chacun des portraits qui ouvre cette histoire est aussi étonnant qu’inattendu, les noms nous troublent, on prend des notes, oui, oui, et petit à petit on saisit, nous aussi.

Notre héroïne est rongée de l’intérieur par un mal qu’elle essaie de nommer. Prise en étau depuis sa naissance dans une famille complexe. Swayze, son père, ne réussit pas à contrôler la maltraitance imposée par sa mère, Novatchok, qui ne la supporte pas. Elle grandit entre deux frères, Grandoux qui la protège, et Petit Prince, ce petit roi du silence. Ils vivent dans une « Praison » et côtoient des « Spartiates », différents autres humains. Des amis « de famille », comme on dit, mais dont les relations « entradultes » la troublent aussi.

Une famille, dysfonctionnelle, elle ne le sait pas encore, elle n’a pas encore ce mot, on le pense, nous, à travers ses mots. Une mère dragonne à sa façon, oppressante, jugeante, qui « n’arrive pas toujours à aimer gentiment » mais qui peut aimer d’autres gens, pourtant, leur téléphoner, changer de voix quand elle leur parle, les aimer comme elle aime ses élèves, professionnellement, mais sa fille, elle ne peut pas. Et face à ça, un père qui semble aussi absent qu’évanescent.

Elle, elle tend l’oreille, mémorise tout. Elle est le témoin en retrait d’injonctions contradictoires. Elle observe, met en mot, réagence selon sa propre logique, elle recrée. Elle tient à ne rien manquer. Même si elle sent une chose présente, horrifiante, dans sa tête.

Elle a la méthode « couette » et sait faire « sans blanc »

Dès le début, de sa vie, de son apprentissage, il y a une tentative de rendre le réel par une parole. incarnée, réelle. On se demande si le réel, elle l’évite ou si elle lévite au-dessus pour le recréer avec un regard propre. Nous assistons à sa construction progressive d’une voix intérieure, traductrice du réel qu’elle vit. Une fois adolescente, elle réussit à avancer, rencontrant des « Paladins », qui ont une sensibilité fine attachée aux mots justes, comme elle.

Un jour, la logique entre en elle, et une épiphanie se fait. Car seules les mathématiques, dans ce vortex, lui offrent repère et construction de soi, émancipation, pour une éventuelle harmonie, intérieure et relationnelle.

La pensée (re)devient nominative, alternative, mathématiques, identité remarquable, ébranlante, saisissante, ajustante, donc passionnante. Avec ou sans théorème. Si ce n’est ceux de toute une vie, et d’une « immanité » démontrée. An après an.

« Soit H, Humanité, un ensemble composé d’éléments dits « êtres humains ». Soit Je, une individue composée d’éléments dit « êtres humains ». Soit Je, une individue composée d’éléments pas toujours limpides. Aidez Je à savoir si elle est incluse dans Humanité. »

Une première clé tangible nous semble ainsi donnée. D’autres suivront, au fil des années, chacune agencée, rendue cohérente, numérotée. Une base logique sur laquelle s’appuyer, car « I Love you pita gore« , pour mesurer , vérifier, démontrer les hypothèse, les probabilités, trouver l’inconnue, résoudre le fil de soi.

Un fil de soi (néo)logique, un fond qui remue, une forme qui en joue

Toute une vie dans les lettres et les chiffres avec une fureur brute, revigorante pour le lecteur, au mot près. « Une foi inébranlable dans le langage, unique entité vivante capable de contenir sans endiguer« , un dire, une voix qui se tissent au fil des ans. An par an.

Les mots sont joueurs, « Je » en joue, en tout cas, et ouvre la logique comme une démonstration de vérités, comme un puissant décryptage créatif. La raison, les mots sont illusions, mensonge. Les mots nouveaux, eux, saisissent le temps qui passe.

« Je » aime par exemple la praison où elle vit, oui il y a un mot semblant valise entre, prairie et maison, mais ôtez le « a » et vous avez prison. Belle juxtaposition qui en dit long que son ressenti. « Je » se construit entre intimmensité et immanité, aussi.

Et se répète, comme un mantra « Sors  de  moi  l’infinie,  sors  de  moi  l’infinie,  sors  de  moi  l’infinie,  sors  de  moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie, sors de moi l’infinie »

Car elle sent cette chose en elle.

« Une monstre horrifiante sévit dans le blanc de ma tête»

Elle essaiera, et nous avec elle, de la circonscrire, la nommer pour prouver :

  1. Son existence
  2. Sa raison d’être là, sans l’appeler ni folie, ni souffrance, ni destin
  3. De l’identifier, la saisir et la comprendre, avec ou sans CQFD

« Dans le noir, la monstre fait même peur aux loups enragés sous mon lit sauf que je ne peux pas m’enfuir de ma peau.
Je veux que quelqu’un la tue mais personne ne la voit.
Je veux qu’elle meure mais je ne sais pas comment elle s’appelle.
Je cherche son nom partout.
»

Toute une vie à (se) comprendre, saisir ce qui l’habite, cette chose invisible et menaçante

Les ans passent, la famille éclate, les cellules se séparent, cellule familiale ou amalgame d’électrons libres, la question reste posée et en suspens, car tout est logique, de théorèmes en anamnèses, d’anagrammes en infinis, tout s’explique, mais qui parle quelle langue, comment regarder, comprendre, sortir du trop, nommer, démontrer ?

Elle rencontrera des détails remarquables, oui, comme des identités, découvrira, en échappées personnelles, la féminité et les amours possibles, des tangentes qu’elle n’aurait pas vues, si elle ne s’était pas attachée à tout comprendre, tout résoudre, sans morale ni illusion, sans conformisme, sans fuite de l’éducation qui lui semble imposée, aussi. Celle de sa mère, surtout.

Elle rencontrera Météore. Un tournant dans sa vie, dans sa féminité. Est-ce de l’amour ? Encore faut-il savoir ce que c’est, si s’aimer soi-même est possible et si l’amour en dépend.

L’avancée dans la recherche de sens, autour de ce monstre dans sa tête, pour le canaliser, pourrait être une façon inattendue de nous (faire nous) poser des questions, à nous aussi.

Et lire Tumeur ou tutu nous fait discrètement tout renommer nous aussi, tout réinterroger. Transformer ses pensées en équations simples ou multiples, en énoncés clairs et posés, de manière à se voir avancer, un exercice de style incroyablement inspirant !

À lire absolument ? Oui, absolument !

Surtout si cette chronique a titillé votre curiosité et votre envie de savoir !

Tumeur ou tutu, Lena Ghar, Éditions Verticales, 224 Pages, 19€50.

Margot

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