L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Les Gentils, Michaël Mention (Belfond Noir) – Seb
Les Gentils, Michaël Mention (Belfond Noir) – Seb

Les Gentils, Michaël Mention (Belfond Noir) – Seb

« Je lui caresse la joue, tendrement, comme avant. Elle me fixe avec intensité, penche la tête et ses larmes humidifient ma paume. Une seconde nous réunit sous ton soleil d’éternité, puis je décolle ma main de sa joue, m’éloigne en direction de la R5. Ma gorge – ce truc persistant. Sensation acide, qui se diffuse dans mon organisme et me nécrose le cœur : le goût de la dernière fois. »

L’histoire. France, région parisienne, fin des années 70. Franck, disquaire, vient de perdre sa petite fille, tuée par un braqueur à la petite semaine. La police manque d’indices, le temps file et le coupable court toujours hors de portée du bras séculier. Franck, bouffé par la souffrance, décide de partir à la recherche de l’assassin de sa fille.

Photo : D.R.

Je sais. Vous allez dire que c’est du vu et revu. Peut-être, certainement. Les histoires de vengeance, ça fourmille dans la littérature et le cinéma. Dans les séries aussi. Mais est-ce que ce n’est pas ce qui fait tourner le monde ? Avec les histoires de sexe ? J’ai bien peur que si. Et pourquoi ? Parce que la violence est dans notre ADN, c’est le grain de sable dans la mécanique, c’est la tare développée au fil de l’évolution.

« Tout cela me fit penser que la violence, en tant que solution, court dans la trame de la nature humaine comme un fichu fil rouge. » Stephen King, Écriture, mémoires d’un métier.

La violence et la vengeance marchent main dans la main depuis la nuit des temps. Une coalescence difficile à contrarier. Et en grand amateur de bon cinéma, Michael Mention sera sans doute d’accord avec moi, il aurait pu placer quelque part dans ses pages cette phrase prononcée par l’inspecteur général de la police dans le chef d’œuvre Le cercle rouge, de Jean-Pierre Melville, qui est repassé sur France 5 il y a peu : n’oubliez pas commissaire Mattéi, les hommes sont tous mauvais, tous.

Image tirée du film « Le Cercle rouge » de Jean-Pierre Melville.

Je ne vais pas vous dire grand-chose sur l’histoire, je préfère vous parler du travail de l’auteur. Michaël Mention, comme le dit justement le bandeau intégré au bas du livre, c’est « la voix la plus singulière du roman noir ». Michaël Mention c’est avant tout un style reconnaissable entre tous. Des phrases qui claquent, un rythme syncopé, parfois des phrases sans verbe très courtes, des onomatopées et des références de culture populaire, musicales et cinématographiques, mais aussi des allusions sociétales. Ça pourrait être très indigeste, mais le gars sait doser parfaitement.

Pour ce roman, il a fait le choix judicieux du présent. Un temps qui vous propulse illico dans l’action, dans la rue où se trouve le personnage, dans la voiture qui file sur l’autoroute, on est en direct. Parfois, quand on commence l’écriture d’un roman, il y a une petite voix qui dit que ça doit se passer au présent. Ou alors appelez ça l’instinct, un sixième sens, peu importe. J’entends d’aucuns (les mêmes d’aucuns qui râlent dans les chroniques de Nicolas Elie) qui affirment d’un ton professoral que le présent c’est le MAL en littérature. C’est sûr que c’est moins raffiné que le passé composé, le passé simple ou le subjonctif. Mais nous ne sommes pas là pour soigner la décoration et nous la péter, nous sommes là pour vous raconter une histoire, et de la meilleure des manières, avec efficacité et sans pour autant sacrifier au style. Et si une histoire réclame qu’on la narre au présent, on doit la raconter au présent. Maud Mayeras fait cela très bien, Michaël Mention aussi. Une fois pour toutes, le présent, ce n’est pas sale.

Bon, ça, c’est fait. Le présent entre ces pages confère une efficacité redoutable à la narration, la réalité nous explose à la figure. Et chère lectrice, cher lecteur, tu goûteras certainement à sa juste valeur la cascade réalisée sans trucage par l’auteur, c’est-à-dire raconter au présent une histoire qui se déroule 1978.

Michaël Mention nous parle de l’absence, l’absence définitive, celle provoquée par la perte d’un être précieux, une absence qui se transforme en douleur insupportable, une douleur qui redouble à cause du sentiment d’injustice, et puisque la justice ne suit pas, celui qui souffre tant va l’appliquer, cette justice. Quand un particulier se fait justice, ça porte un nom, ça s’appelle la vengeance. C’est un grand roman sur l’absence et la vengeance, sur l’injustice et son corollaire, la vengeance.

J’ai détecté un paradoxe très intéressant chez le personnage de Franck. En effet, il désire avec ardeur la mort de l’assassin de sa fille, mais il continue à s’adresser à sa petite chérie en permanence. Il est à la fois dans l’action et dans le déni. Sans doute une manière de se protéger pour arriver à ses fins.

Il y a du symbolisme dans ce roman, comme cette R5 qui disparaît dans les flammes, avec tous ces objets qu’elle contient. Mais il y a surtout des parallèles et des métaphores, des analogies subtils. Comme celle qui montre que Franck s’enfonce dans un territoire comme il s’enfonce dans la vengeance, avec le risque de la perdition. Et puis son arrivée à cet endroit spécial (je n’en dis pas plus, je ne veux pas dévoilgâcher), qui est une sorte de prison à ciel ouvert, ce qui est tout simplement la réalité de la vengeance.

En exergue, l’auteur aurait pu utiliser ce proverbe chinois : si tu veux te venger, creuse deux tombes.

Je ne vais pas en dire trop, mais sachez que l’auteur va vous balader, dans l’histoire et aussi géographiquement, vous serez bien surpris. Et être surpris, c’est ce qui arrive de mieux à un lecteur.

J’ai aimé aussi les flashs infos qui ancrent le lecteur dans l’époque et l’action. Bien vu, bien fait.

Mais n’oubliez pas que nous sommes dans un roman Noir, alors il y a un traitement social et sociétal. Page 170, cette phrase : Le triomphe du capitalisme : user les hommes pour les réduire à ce qu’ils sont.

Pas besoin d’en faire des tonnes, une phrase comme une flèche.

Ce qui n’empêche pas de bien écrire. Page 233 : Ça fait marrer Brassens, tandis que je m’enfonce dans la nuit, aspiré par son œil diaphane aux paupières de brumes…

Donc je résume. En lisant ce roman puissant et tendu comme un très grand arc (narratif), vous allez éprouver : de l’empathie, de la compassion, de la colère, de l’incompréhension, de la peur, de la frustration, du soulagement (parfois), de la colère encore, du dégoût, de la haine. Et de l’amour.

C’est plutôt pas mal de trouver tout cela dans un roman, tout le monde ne peut pas en dire autant.

Vous l’avez compris, je vous conseille d’aller faire un bout de chemin avec Les Gentils.

Ah oui, j’oubliais, Michaël Mention sait finir ses livres avec classe.

Seb.

Les Gentils, Michaël Mention, Belfond Noir, 352 p. , 20€50.

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