« Celui qui veut mourir s’efface lui-même. Il coupe le fil que ses ancêtres lui tendaient et que ses descendants tiennent à bout de bras., il en brûle l’extrémité et l’enterre soigneusement sous du sable. Et sa famille l’y aide pour étouffer le cri de sa honte, puis s’exile hors de la terre brûlée, au galop sur l’onde de choc. Que reste-t-il de mon père ? »
Orchidéiste, premier roman de Vidya Narine, fait partie de ces textes auxquels on souhaite d’être lus et partagés, de ces livres discrets mais plein de grâce qui nous enveloppent durant leur lecture et dont le charme continue d’agir une fois la dernière page achevée. Le parcours de son autrice et ses centres d’intérêt suggèrent imagination et sensibilité, qualités premières au coeur de ce court roman (136 pages). Diplômée de l’École du Louvre, Vidya Narine s’est intéressée à la mode, puis à l’écriture et a créé Sève, une revue où se mêlent écologie et poésie. On retrouve tout ça dans Orchidéiste, et plus encore mais à aucun moment le texte n’en souffre. Loin d’être une bouillie indigeste dans laquelle l’autrice aurait voulu caser tout ce qui fait ce qu’elle est aujourd’hui, le roman garde tout du long une délicatesse admirable.
« Sylvain est orchidéiste. Chaque jour, il prend soin de ses fleurs pour une clientèle exigeante. Des orchidées, il sait tout : la symbolique, l’aventure de leur découverte et les ravages sur la nature de leur commercialisation massive. Aujourd’hui, il aimerait céder sa boutique. Mais dans sa famille, une dynastie d’industriels lorrains, on n’a pas su comment transmettre. Alors, pour mieux habiter l’avenir, Sylvain répare les racines abîmées du passé. » (4ème de couverture).
Au coeur du roman, il y a Sylvain et sa boutique. Dans le coeur de Sylvain, il y a une blessure inguérissable, celle du suicide de son père, celui qui avait, sa vie durant, refusé d’emprunter la voie royale tracée par sa famille. Celui à qui Vidya Narine donne pour un temps la parole dans la dernière partie du livre : « J’ai déçu mon père et tous ceux avant lui, qui me montraient du doigt par-dessus son épaule (…) Il me suffisait de me lever le matin pour décevoir. Je préférais rester couché. » Derrière cette disparition et la volonté de Sylvain de céder sa boutique, Orchidéiste aborde en finesse et avec douceur la difficulté de transmettre comme celle d’accepter un héritage. C’est cette trame de fond qui donne au roman une saveur aigre-douce aussi subtile que prégnante.
Mais Vidya Narine étoffe son propos de solides connaissances historiques et botaniques à travers l’expérience de Sylvain et sa passion des orchidées et de leur(s) découverte(s). Ce cours d’histoire accéléré et fragmenté offre ainsi une réflexion sur notre monde et son rapport au travail comme à celui au vivant. S’il n’est définitivement pas un manifeste contre le capitalisme et la mondialisation, Orchidéiste laisse toutefois entendre, avec cette sensibilité qui le caractérise, de sourds regrets quant à la façon dont nos sociétés évoluent avec une gourmandise néfaste.
Original et densément vivant, poétique et délicat, Orchidéiste mérite de faire son chemin dans le fracas de cette rentrée littéraire. Il laisse surtout entendre une voix qui nous a touchés par sa beauté et sa singularité.
« Moi, ce que j’aimerais, c’est me diluer dans le paysage. »
Yann.
Orchidéiste, Vidya Narine, Les Avrils, 136 p. , 18€.
Voilà qui donne vraiment envie de découvrir ce court roman !
Il le mérite amplement !
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