« Avec Zeca Chapeu Grande, je m’enfonçais dans les bois, j’apprenais à connaître les herbes et les racines, à scruter les nuages pour savoir si la pluie viendrait, à interpréter les mutations secrètes du ciel et de la terre. J’apprenais que tout était en mouvement sans rapport avec les choses mortes que l’institutrice montrait dans ses leçons. Mon père me regardait et il disait (…) « Si l’air ne circule pas, il n’y a pas de vent, si rien ne circule il n’y a pas de vie ». «
La magnifique et intense histoire de deux sœurs, Bibiana et Belonisia.
Emporté-e par le style tout à la fois fluide et incarné d’Itamar Vieira Junior – traduction de Jean-Marie Blas de Roblès – tu partiras à la rencontre d’une communauté afro-brésilienne, descendante d’esclaves, paysans sans terre malmenés par de riches et imbuvables propriétaires terriens, et surtout descendante de rituels liées à la terre, du Jarê aux croyances mêlant dieux africains, animisme, rites ancestraux et religions.
L’être est pluriel, Charrue tordue porte en lui cette riche multiplicité.
Bibiana et Belonisia portent ce roman comme elles portent le couteau entre les dents.
Dès leur enfance, la lame tranchante d’un couteau au manche d’ivoire… une morsure toutefois beaucoup moins puissante que celle des riches propriétaires terriens sur celles et ceux qui leur appartiennent.
Sur ces parcelles tenues à bout de bras par ces descendants d’esclaves africains, les sœurs nous disent le père, respecté dans sa communauté par son lien avec les grands Esprits, les peurs entretenues, les croyances comme des battements de cœur et un Brésil en mutation.
Itamar Vieira Junior nous conte dans Charrue tordue, la servitude des hommes, la magie, le lien indéfectible à la terre, la violence, la résilience des femmes et l’histoire flamboyante des communautés quilombolas au sein des fazendas. Ces hommes et ces femmes ont fait la richesse du Brésil, à leur détriment. Au sein de Charrue tordue, l’auteur les remet, dans une riche perspective littéraire, en pleine vie.
Voici une histoire multiple, au long cours, auprès de deux femmes puissantes, chacune à leur manière, nous chuchotant leur lien indéfectible au territoire, à leur héritage sacré.
Un roman d’une oralité fascinante, que tu sentiras palpiter en toi, avec cette impression d’être lié-e, pour un bon bout de temps, à ces âmes intenses.
Un bijou.
Fanny.
Charrue tordue, Itamar Vieira Junior, Zulma, 320 p. , 22€90.
Merci pour ce beau partage à côté duquel je serais passée sans votre élogieux commentaire. Merci.
Avec grand plaisir Sandrine, on essaye d’être là pour ça ! Merci de nous lire et bonne soirée. Yann.