L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Chronique judiciaire, Séverine Chevalier (Éditions Dynastes) – Yann
Chronique judiciaire, Séverine Chevalier (Éditions Dynastes) – Yann

Chronique judiciaire, Séverine Chevalier (Éditions Dynastes) – Yann

Photo : Maryan Harrington.

« bricoler une forme adéquate

pour cette espèce de projet

semi auto-socio-biographique

pour l’instant un peu comme le corps

il croupit

en débris plus ou moins dégoûtants

dans quelque obscur recoin »

Ils ne sont guère qu’une petite poignée, les auteurs et autrices hexagonaux auxquels on voue un petit culte, ceux dont on guette chaque livre, sachant qu’une fois de plus, ils vont nous attraper dans le filet de leurs mots. Séverine Chevalier est de ceux-là. C’est peut-être même elle dont la voix me touche au plus profond, elle qui provoque en moi de micro séismes, des émotions en cascade. Cette voix rare et précieuse, les Éditions Dynastes nous offrent l’occasion de la découvrir ailleurs que dans les romans lus et adorés que sont Recluses (Écorce 2011), Les Mauvaises, Clouer l’Ouest, Jeannette et le crocodile (La Manufacture de Livres, 2018, 2019 et 2022). Car il est un endroit pour le moins inattendu où Séverine Chevalier aime à s’exprimer, quelques lignes chaque jour, des fragments de vie, des éclats de poésie dans lesquels s’épanouit pleinement son humanité.

« je me demande à quoi jouent

les fantômes

derrière les portes murées

des petits commerces de campagne

morts

depuis bien avant »

Cette Chronique judiciaire est ainsi un recueil de ces miniatures publiées sur Instagram, puisque c’est bien de ce réseau qu’il était question un peu plus haut. Séverine Chevalier y parle de son quotidien, de ce qu’elle entend, observe ou ressent. Elle y parle d’elle et de ses proches, de l’autisme de son fils, du procès qui l’opposa à une éducatrice maltraitante (série de textes d’où ce recueil tire son titre), de son addiction à l’alcool qu’elle tient à distance, de son amour de petites choses improbables. Elle y parle surtout, en tout cas c’est ce que j’ai ressenti, de sa difficulté à trouver sa place dans le monde d’aujourd’hui et à s’y sentir bien.

Marquée par des événements qu’elle nous laisse imaginer, Séverine Chevalier n’est jamais aussi touchante que quand elle parle de l’enfance, des enfants, de son enfant. Emplie de désarroi face à l’espèce humaine, elle chérit le calme et la tranquillité et se « demande pourquoi – on s’inflige collectivement – un monde aussi bruyant – aussi violemment éclairé ». Organiser calmement sa vie, l’articuler autour de projets à taille humaine, protéger son fils et l’accompagner dans sa vie « différente », chaque jour écrire un peu pour tenir les angoisses à distance.

« je n’attends rien avec impatience

le cours lent des petites choses

suffit »

Séverine Chevalier cultive – bien involontairement sans doute – le paradoxe : sa fragilité apparente donne à sa voix une force étonnante, sa discrétion et son humilité ne l’empêchent pas de partager ses textes sur Instagram, sa méfiance envers ses semblables ne lui interdit ni l’amour ni l’empathie. C’est peut-être en cela qu’il se dégage de ses écrits une humanité et une sincérité si rares en littérature qu’elles ne peuvent que nous émouvoir, nous rappelant à chaque instant à notre condition d’humains.

« pour les alcoolos dans mon genre

qui essayent d’arrêter de boire

ça manque un peu

de ne pas pouvoir se les raconter

nos petites vies minables »

Yann.

Chronique judiciaire, Séverine Chevalier, Éditions Dynastes, 101 p. , 11€.

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