L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Cinq femmes, Marcel Cohen, (Gallimard) – Mélanie
Cinq femmes, Marcel Cohen, (Gallimard) – Mélanie

Cinq femmes, Marcel Cohen, (Gallimard) – Mélanie

crédit photo – Alix Williams / SIPA

La vie de Marcel Cohen, né en 1937, est liée à tout jamais à un épisode traumatique intial : en 1943, alors qu’il n’a que 6 ans, toute sa famille est arrêtée et déportée à Auschwitz : Marie et Jacques, ses parents, sa petite soeur Monique (qui a trois mois), sa grand-mère Sultana, son oncle Joseph. Il ne doit la vie qu’au fait d’avoir été turbulent pendant le repas : fatiguée par son agitation, sa mère a demandé à la bonne bretonne, Annette, de l’emmener se promener au parc Montceau. Au retour de cette promenade, c’est la concierge de l’immeuble qui, au courant de l’arrestation en cours, leur fait signe de fuir. Aucun des membres de sa famille ne reviendra.

Cette scène saisissante, Marcel Cohen l’a déjà racontée dans l’un des livres les plus bouleversants qu’il m’ait été donné de lire : Sur la scène intérieure (disponible en version poche chez Folio, mais qui reparaît également en grand format chez Gallimard à l’occasion de la publication de Cinq femmes). Dans cet ouvrage, l’enfant devenu adulte tente de toutes ses forces de reconstituer les bribes de sa mémoire concernant les membres de sa famille assassinés par les nazis, à l’aide de quelques objets dont les photos sont reproduites pour le lecteur : un coquetier en bois, un violon, quelques photos – tout fait ressurgir le cri que sont le silence et l’absence, la mémoire faillible et le manque indicible. Dans une écriture au scalpel, l’écrivain ne veut ni broder ni inventer, il ne veut s’en tenir qu’aux « faits » (le sous-titre de ce livre) et va chercher l’infime, le minuscule, la quintessence de la mémoire et de ses réminiscences : « ce livre est donc fait de souvenirs et, beaucoup plus ensemble, de silence, de lacunes, et d’oubli » écrit-il dans les premières pages. Ce récit serré, ce cri d’amour et d’absence, est un texte d’une puissance inoubliable.

Cinq femmes (dont le sous-titre est Sur la scène intérieure, II) ne peut pas être qualifié de suite à proprement parler – mais plutôt de prolongement, d’écho, de complément, de diptyque à Sur la scène intérieure. Le titre, comme toujours chez Marcel Cohen, va droit au but : il s’agit pour lui de dresser le portrait de cinq femmes qui, dans son parcours initatique, de l’enfance à l’âge adulte, lui ont permis de devenir ce qu’il est. Nulle psychanalyse, nul atermoiement sentimental : le ton est, tout comme dans « Sur la scène intérieure », épuré, humble, dressant dans la plus belle des pudeurs une déclaration de respect infini à chacune de ces femmes, qui jouèrent chacune à leur manière un rôle fondamental et admirable dans la vie du jeune garçon : Annette, la bonne bretonne, qui prend des risques énormes en ramenant avec elle le jeune garçon de 6 ans à Messac en Bretagne après l’arrestation de ses parents, et l’accueille pendant 2 ans malgré le danger ; Lily, la tante de Marcel, qui prend ensuite le relais et offre au jeune garçon, malgré le dénuement et les difficultés, un amour inconditionnel et une joie de vivre salvatrice ; Raymonde, qui propose de l’accueillir à la campagne en banlieue parisienne afin de lui trouver une école, du bon air, et de quoi se nourrir correctement dans ces années d’après-guerre encore marquées par le manque ; Mme Gobin (la seule à ne pas être désignée par son prénom), l’institutrice à la retraite qui, dans un geste d’une bouleversante générosité, héberge Marcel pendant un an afin de lui faire rattraper son retard scolaire – et en profite pour compenser des années de frustration pédagogique ; et enfin Gabrielle (l’exploratrice Gabrielle Bertrand, de la trempe d’une Ella Maillart ou de Alexandra David-Neel, qui parcourut la Mongolie, la Chine ou encore Assam), qui marque symboliquement l’ouverture au monde et à l’aventure du jeune homme.

Cinq femmes (dont le sous-titre est Sur la scène intérieure, II) ne peut pas être qualifié de suite à proprement parler – mais plutôt de prolongement, d’écho, de complément, de diptyque à Sur la scène intérieure. Le titre, comme toujours chez Marcel Cohen, va droit au but : il s’agit pour lui de dresser le portrait de cinq femmes qui, dans son parcours initatique, de l’enfance à l’âge adulte, lui ont permis de devenir ce qu’il est. Nulle psychanalyse, nul atermoiement sentimental : le ton est, tout comme dans « Sur la scène intérieure », épuré, humble, dressant dans la plus belle des pudeurs une déclaration de respect infini à chacune de ces femmes, qui jouèrent chacune à leur manière un rôle fondamental et admirable dans la vie du jeune garçon : Annette, la bonne bretonne, qui prend des risques énormes en ramenant avec elle le jeune garçon de 6 ans à Messac en Bretagne après l’arrestation de ses parents, et l’accueille pendant 2 ans malgré le danger ; Lily, la tante de Marcel, qui prend ensuite le relais et offre au jeune garçon, malgré le dénuement et les difficultés, un amour inconditionnel et une joie de vivre salvatrice ; Raymonde, qui propose de l’accueillir à la campagne en banlieue parisienne afin de lui trouver une école, du bon air, et de quoi se nourrir correctement dans ces années d’après-guerre encore marquées par le manque ; Mme Gobin (la seule à ne pas être désignée par son prénom), l’institutrice à la retraite qui, dans un geste d’une bouleversante générosité, héberge Marcel pendant un an afin de lui faire rattraper son retard scolaire – et en profite pour compenser des années de frustration pédagogique ; et enfin Gabrielle (l’exploratrice Gabrielle Bertrand, de la trempe d’une Ella Maillart ou de Alexandra David-Neel, qui parcourut la Mongolie, la Chine ou encore Assam), qui marque symboliquement l’ouverture au monde et à l’aventure du jeune homme.

Chacun de ces portraits est le fragment d’une mosaïque bouleversante, emplie d’une pudeur et d’un amour rendus paradoxalement encore plus beaux par la justesse de l’écriture – et dresse, au passage, une passionnante photographie de la France et du Paris d’après-guerre. Chaque chapitre s’ouvre par une photographie de chacune de ces femmes, et l’on se surprend à y revenir, à les contempler longuement, à les imaginer se mouvoir, parler – et surtout, on les admire, dans leur modestie et leur anonymat auxquels Marcel Cohen rend le plus beau des hommages. Sans jamais qu’il ne le dise de façon directe ou impudique, on comprend peu à peu que chacune, à sa façon, rude ou tendre, intellectuelle ou organique, a accompagné un homme, un écrivain qui découvrit aussi grâce au poète Guillevic qu’il évoque dans ce texte que :

Il faudrait apprendre

À vivre avec ça

Mélanie.

Cinq femmes, Marcel Cohen, Gallimard, 192 p. , 19€.

https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=Yui3LRh-CIc&fbclid=IwAR2VTiuXH0tT-wMbSpe4J9YG4SEmc2PGCuuMthBAvdMQbCHSdv-ZNxGJCmc&ab_channel=mauchette

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