L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
L’Enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme (Éditions de Minuit) – Margot
L’Enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme (Éditions de Minuit) – Margot

L’Enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme (Éditions de Minuit) – Margot

Photo : D.R.

Un auteur lu, souvent admiré, qui change de maison d’éditions mais pas d’éditeur. Sylvain Prudhomme écrit toujours aussi bien. Et son dernier opus le prouve, mot après mot.

Qui est l’enfant dans le taxi ?

L’histoire d’une recherche, d’un secret de famille pas si secret que ça. L’arrachement du silence comme le dévoilement d’autres vies possibles.

Le roman s’ouvre sur une rencontre, entre une femme qui vit au bord d’un lac, vaste comme une mer , fermé en face par les montagnes de la Suisse et de l’Autriche ; et un Français, un soldat, un inconnu, mais à qui elle fait un signe, sans équivoque. Viens .

Une rencontre, une passion. Quelques pages, un récit.

Je ne sais pas si cette scène a eu lieu. C’est-à-dire : je ne sais pas si elle a eu lieu comme ça, dans ces circonstances. Je ne sais pas si la cour de cette ferme a jamais existé. Si cela s’est passé dans une grange, dans une chambre d’hôtel. Si cela s’est passé dans une grange, dans une chambre d’hôtel, dans les vestiaires d’un mess d’officiers. Je ne sais pas quel visage avait l’inconnue du lac de Constance. (…)

Je vois simplement que cette scène me poursuit. Que je l’ai mise dans un livre il y a des années, sans bien mesurer ce qui s’y jouait. Je vois que toujours mon imagination m’y reconduit, le fantasme, le rêve.  (…)

Je ne sais pas pourquoi ces deux amants-là me bouleversent.  Je sais seulement que cela fut.

Je sais seulement que cela fut. Que ces deux bouches un jour de printemps s’embrassèrent. Que ces deux corps se prirent. Je sais que Malusci et cette femme s’aimèrent, mot dont je ne peux dire exactement quelle valeur il faut lui donner ici, mais qui dans tous les cas convient, puisque s’aimer cela peut être mille choses, même coucher simplement dans une grange, sans autre transport ni tendresse que la fulgurance d’un désir éphémère, l’éclair d’un plaisir suraigu, dont tout indique que Malusci et cette femme gardèrent longtemps le souvenir. Je sais que de ce plaisir naquit un enfant, qui vit toujours, là-bas, près du lac. Et que ce livre est comme un livre vers lui. 

On est déjà pris, nous aussi par l’envie de savoir. On suit le narrateur sur les chemins des secrets de famille, à la poursuite d’une révélation familiale qui lui a été faite lors de l’enterrement de son grand-père, Luciano. Il sait que cela s’est passé. Même si tout n’a pas été dit. Il sent qu’il doit comprendre cet amour qui n’est pas celui qui a fondé la famille officielle des Malusci. Quelque part, près du lac, il y a M, fils illégitime qui n’a pas connu son père. Fils sont le père n’a jamais dont il n’a jamais parlé à sa famille, à sa descendance.

Simon serpente, questionne, et vit lui aussi un moment dans sa propre vie, la séparation d’avec A, sa compagne, la mère de ses enfants. Une séparation simple mais douloureuse, une avancée, malgré cela.  Simon va conjuguer ce qu’il vit avec ce qu’il veut savoir.

Une quête, M., A. et les Malusci.

Au fil de ces jours qui suivent la disparition de Luciano, la parole se délie, celle aussi d’Imma l’aïeule désormais seule, mais que toute sa famille entoure d’affection, de respect de la parole aussi. Car il avait promis de ne pas aller rencontrer M., Simon. Mais.

J’ai eu envie de le rencontrer, de lui raconter quel extraordinaire détour avait fait le souvenir de sa mère pour vaincre l’oubli. Comme si l’attraction charnelle de Malusci et de l’Allemande s’étaient arrangé par tous les moyens pour survivre. […] Sans qu’ils aient besoin de continuer à être physiquement là, Malusci mort à présent, l’Allemande peut-être encore vivante quelque part là-bas au bord du lac, peut-être disparue depuis longtemps elle aussi. Simplement par la force de leur histoire. Comme une pierre continue de ricocher longtemps après que la main qui l’a lancée est retournée à son immobilité. ”

Mais il se rend compte de ses peurs de blesser, sa grand-mère, sa propre mère qui refuse d’évoquer le sujet pour préserver la sérénité, ses proches eux-mêmes préfèrent garder entier secret autour de cette affaire et de cet oncle mystérieux.Le silence.

Pourtant, il y a des répercussions intérieures, et cette difficile enquête de Simon sur sa propre histoire doit continuer. Elle deviendra quête essentielle, désentremêlement de vies, de vécus, de dire, et chacun.e des Malusci sera une voix, une voie, juste et touchante.

Le présence de M là-bas au bord du lac de Constance amène à (re)devenir soi-même sans mentir ni trahir, sans masque, comme tous ceux qu’on aime autour. Une tendresse narrative, le mot juste et poétique porte les émotions, l’amour, le temps, les secrets, dans un grand, très grand livre de pensées qui ne jugent pas, ne donnent aucune leçon de morale, mais écoutent, relient et comprennent.

Un cheminement, une quête, un accompagnement

On accompagne Simon en lisant ce roman, nous aussi, comme devenant au fil des pages partie prenante de cette famille, on se sent relié par un besoin se connaître soi-même, nous aussi, après avoir levé le silence, les secrets.

On voyage, dans le temps, jusque sur les bords du lac de Constance, on voyage dans les mots, la mémoire, les non-dits, les émotions. On va de révélation en prises de consciences, on revit des souvenirs et le temps leur fait révéler un autre éclairage, les nuance et fait jaillir la simple vérité.

Ah ! la fameuse Allemande du lac de Constance, si tu avais vu comme ton grand-père en parlais, Simon, je te jure. ”

“Le problème n’était-il pas plutôt que la paix soit l’autre nom du déni.

L’autre nom de l’effacement pur et simple de vies.”

De magnifiques plus ou moins longues phrases, des méandres, des pensées, intimes et familiales, fines et analytiques, descriptives de détails éminemment poétiques, une histoire personnelle à l’architecture ciselée qui fait avancer le dire, le narrateur, les lecteurs et le cheminement-œuvre de l’auteur.

Une intrigue à la fois délicate et habilement construite, avec de multiples rebondissements, et l’auteur nous offre une manière toute personnelle de révéler les désirs et les tabous des différents personnages, de les mettre en lumière, et d’apaiser tout ce qui mine ou conforte leur vies.

L’amour, la beauté, un instant, sans promesse, sans mariage, un moment de plaisir pur. Un enfant. Une famille. Des non-dits peu à peu et trendrement, c’est important, révélés. La vie. U

Un livre aussi beau qu’émouvant. Une boucle qui se lit d’une traite, et se referme sur une ouverture, un autre possible, beaucoup de choses sont dites, révélées, pensées ou suggérées, et le livre se termine sur une invitation pure.  A nous de poursuivre l’histoire ?

Margot.

L’enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme, éditions de Minuit, 224 p. , 20€. Parution le 31 août.

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