On était des loups, Sandrine Collette (JCLattès) – Seb
« J’ai couru vers elle à nouveau et j’ai vu le fusil par terre plus loin, je ne l’avais pas remarqué avant et j’ai pensé elle a essayé de se défendre et ça m’a fait mal. Je me suis agenouillé près d’elle, j’ai hurlé encore une fois le nom d’Aru et Ava a bougé – oh tellement peu c’était imperceptible c’était juste sous mes doigts un mouvement infime et j’ai eu un coup au cœur Ava était vivante. Je l’ai retournée très lentement, j’ai eu le temps de croiser son regard une fraction de seconde, un regard qui disait tu es rentré je peux y aller maintenant, il n’y a pas eu de mots mais c’est exactement ce qu’elle a dit à cet instant-là et aussitôt après elle était morte je l’ai senti, c’est devenu inerte sous mes mains. »
Tu as vu ça ? Tu l’as senti, je le sais, cette énorme émotion à la lecture de ces quelques lignes. On peut dire sans trembler que c’est du travail sublime, sobre, précis, puissant, et surtout gorgé d’émotions. Ce n’est pas un truc à la portée de tout le monde, pas la peine de se raconter des salades.
Sandrine Collette, je la lis depuis un paquet d’années, depuis Il restera la poussière, pas son premier roman, mais probablement mon préféré, jusqu’à celui-ci.
Si tu n’as pas lu On était des loups, inutile de fabriquer une poupée et d’y planter des aiguilles en lançant des incantations hallucinées autour d’un feu crépitant dans les parfums d’épices. Avec cet extrait, je ne dévoilgâche rien, c’est dit sur la quatrième de couverture. C’est balancé tout de suite, que Liam, celui qui raconte, quand il est rentré de plusieurs jours de chasse dans les montagnes, a retrouvé sa femme, Ava, agonisante, attaquée par un ours. Et qu’à peine Liam a le temps de comprendre, Ava meurt sans un mot. Je ne vais pas revenir sur la qualité d’écriture ce passage.
Donc pas la peine de m’écrire pour m’insulter à cause de ça. Parce que ce qui suit est bien plus intéressant. Parce que Liam, au départ, il voulait vivre seul dans la montagne, comme Jeremiah Johnson. Ou comme Pete Fromm pendant cet hiver durant lequel il a surveillé une rivière avec des bébés saumon dedans. Et Liam, il y a une chose qu’il n’avait pas prévue – c’est l’amour qui frappe comme la foudre, sauf que l’amour ne fait pas autant de boucan et que la lumière se trouve dans les âmes et les cœurs frappés. Et Liam, ce chasseur solitaire, s’est retrouvé avec Ava dans sa cabane au milieu de nulle part, dans la montagne. Et puis un jour ils ont eu un enfant, parce qu’Ava en désirait un plus que tout. Liam lui, c’était pas trop son truc, il avait peur que ça mette en péril son style de vie. Mais comme il était fou amoureux, il a dit oui. Et Aru est arrivé. Et à partir de ce moment précis, à la grande surprise de Liam, tout s’est équilibré, lui, Ava, Aru, son amour pour la montagne et sa vie d’homme libre.
Alors quand Ava est morte, ça ne le lui a pas que pelé le cœur à vif, ça a remis en cause toute sa vie et son avenir. Que faire d’Aru ? Liam doit faire un choix entre son fils et ce style de vie qu’il adore.
À partir de là, ça devient très fort, et très vite, les pas que font ces deux-là, on les fait aussi. Quand ils se reposent, on se repose, quand ils sont silencieux le soir autour du feu, on reste muet et on écoute les flammes qui lèchent le bois sec des ravines. Quand ils sont sur leurs chevaux, on sent ce parfum génial qui émane des bêtes, on entend leurs naseaux repousser l’air en vibrant.
Je veux dire qu’on y est vraiment. Et comment elle réussit ça Sandrine Collette ? En étant sincère, parce qu’on peut écrire de la fiction sans mentir. On sent qu’elle veille sur ses personnages, on sent son affection pour eux, elle prend soin d’eux tout en respectant le roman, elle ne tombe jamais dans la facilité.
Et ce qui confère une force rare à cette histoire, c’est la façon dont elle est racontée. C’est écrit comme Liam s’exprime, et au début ça peu étonner ou déstabiliser, parce que les virgules ne se trouvent pas aux endroits habituels, parce que derrière les mots, il y a un ton, une voix, un phrasé. Ça c’est très réussi. On a l’impression d’écouter un témoignage, on a l’impression d’être dans une cabane, à une veillée, et qu’on écoute quelqu’un raconter une histoire de fous. C’est vivant.
Au-delà du style et de la narration, Sandrine Collette te parle de l’amour, celui entre un père et un enfant, un amour qui ne va pas de soi, une chose qui doit se gagner et se mériter. Elle te parle d’un chemin fait par deux êtres qui finalement, ne se connaissent pas et n’ont pour horizon, que la colline qui arrive. Leur futur, c’est simplement le prochain pas qui va être fait, la prochaine goulée d’air qui va être aspirée, le prochain mot qui sera prononcé, ou pas.
Tout cela est plein de pudeur, rien n’est gratuit, la souffrance est grande comme le territoire qu’on arpente, les découvertes sont si belles qu’elles risquent de rester un moment dans ta tête, si tu décides de lire ce livre. Parce qu’on peut se faire des cicatrices en lisant. Mais si on arbore des blessures, c’est qu’on a vécu. L’auteur pose aussi une question fondamentale : peut-on vivre toute sa vie uniquement pour soi-même ?
Je te laisse avec un autre passage, pour te montrer comment madame Collette écrit la Nature, et tu vas te dire sans doute que pour écrire ce moment et l’écrire comme ça il faut l‘avoir éprouvé.
Ah, j’oubliais. Ce roman a obtenu le prix Jean Giono 2022, et c’est pas volé.
« Le tintement de la pluie sur le monde quand on est à l’abri, c’est ce qu’il y a de plus beau. Je suis sûr qu’il y a des milliers de bêtes dans la montagne qui se disent la même chose au même instant et on laisse passer du temps les yeux à demi fermés, ce monde-là dehors résonne en nous et on l’accueille. »
Seb.
On était des loups, Sandrine Collette, éditions J.C. Lattès, 208 p. , 19€90.