« Les Nuits rouges traite de crise, Mécanique de mort de crime, Terres noires de guerre. C’est davantage un triptyque qu’une trilogie : trois portraits selon trois thèmes. Ces thèmes sont indissociables et forment le coeur noir de l’Occident. » Rien de tel que ces mots de l’auteur en fin d’ouvrage pour contextualiser et prendre la mesure du tout que constituent ces trois romans dont les deux premiers ont été chroniqués ici et là. Autant le dire tout de suite, si la marche du monde tel qu’il va vous inquiète, la lecture qu’en fait Sébastien Raizer n’apaisera pas vos angoisses.
On retrouvera donc ici certains des protagonistes des Nuits rouges et de Mécanique de mort, romans déjà profondément noirs et habités. Dimitri Gallois et le commissaire Keller, écorchés vifs tous les deux, chacun à sa manière, vont une nouvelle fois plonger au coeur des ténèbres pour y affronter un ennemi tentaculaire et particulièrement destructeur. Bien sûr, on a conscience, en écrivant ces mots, que tout cela résonne de manière bien emphatique, exagérément dramatique et que le chroniqueur s’enflamme un peu dans sa volonté de bien faire. Et pourtant …
Et pourtant, c’est de la mondialisation du mal qu’il est question ici, dont Sébastien Raizer dresse un tableau aussi précis que documenté, inexorable descriptif de la volonté mortifère de quelques-uns de presser le monde pour y asseoir leur pouvoir et jouir pleinement de la puissance et des richesses accumulées sur les cadavres de celles et ceux qui se seront dressés sur leur chemin.
« Et soudain, il fut saisi d’un terrible sentiment d’urgence. Tout s’écroulait. Ce pays, ce continent, ce monde. Tout s’écroulait dans le mensonge et l’hystérie généralisés, dans l’aveuglement et le désespoir, le meurtre, le suicide et la guerre. Partout. Il ne parvenait à se l’expliquer de façon rationnelle, mais il savait que ce monde somnambule poursuivait son inexorable errance vers la nuit, le feu et la mort. »
Chez Raizer, il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre, non, il y a les méchants d’un côté et les très très méchants de l’autre. Ici, la morale n’est rien d’autre qu’une vue de l’esprit, quelque chose de plus encombrant que nécessaire. La corruption, la violence, l’avidité et le goût du pouvoir caractérisent les factions qui se livrent tout au long du roman une guerre sans merci. Quant aux gouvernements et aux différents pouvoirs publics, gangrénés par les multiples mafias mondiales, ils sont pieds et poings liés face à ce nouvel empire du mal et leur incapacité à agir est un des points les plus désespérants à la lecture de ce roman.
On l’aura compris, Terres noires n’a rien de léger et dégage une ambiance de fin du monde, une dernière orgie de folie et de violence aveugle. Placé sous l’égide de Dostoïevski et de Joy Division, le roman clôt de manière assez radicale le triptyque commencé en 2020 et consacre Sébastien Raizer comme un auteur définitivement à part dans le paysage du noir français. Son exil japonais n’en est qu’un signe supplémentaire
Yann.
Terres noires, Sébastien Raizer, Gallimard / Série Noire, 272 p. , 19€.