L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Les Terres animales, Laurent Petitmangin (La manufacture de livres) – Margot & Nicolas
Les Terres animales, Laurent Petitmangin (La manufacture de livres) – Margot & Nicolas

Les Terres animales, Laurent Petitmangin (La manufacture de livres) – Margot & Nicolas

Les terres animales – Laurent Petitmangin

La rentrée littéraire de cette année ne finit plus de nous étonner, épater, de faire diverger nos points de vue sur le monde tel qu’il est ! Les Terres animales relève ce défi avec maestria. Une lecture mi dystopique mi réelle, comme un choix possible, comme un avertissement, aussi.

Une histoire portée par une écriture simple, fluide, nuancée, construite de tous ces petits rien qui font encore l’humanité.

Quelque part en France, après une catastrophe nucléaire, la population est évacuée pour fuir des terres irradiées, mortes et polluées pour un temps incertain. Sans doute plusieurs années. Voire à vie.

C’était un joli coin de verdure, peuplé d’arbres gorgés de vie, de montagnes magnifiques, de rivières et de terres fécondes, mais la catastrophe a rendu ce lieu invivable.

Mais une communauté de personnes qui vivaient là et qui tiennent tant à la terre, leur terre, décide de rester, suivant une logique de vie nouvelle, un besoin de tester autre chose, autrement, une forme de vie alternative, pour tenter d’avoir une vie encore libre, encore possible.

Ils créent une communauté de vies qui ne comptent pas, mais qui survivent, avec des protocoles sanitaires, d’autres règles de vie commune, au coeur d’une nature qui, contrairement aux organismes humains, résiste et est toujours belle, forte, verte, survivante, renaissante, de fait, délestée de la bêtise des hommes qui l’ont infestée/infectée.

“Foutus pour foutus », ils ont préféré s’enfermer du mauvais côté du mur érigé par l’armée, prisonniers de leur petit village entouré de forêts et de montagnes, tenus par leurs souvenirs, mais surtout l’amitié et la solidarité. Rester ici, rester humains, rester un nous, possiblement libéré.

Une micro-société recréée qui interroge celles d’avant, tout en obéissant à d’autres logiques, d’autres lois.

On suit en particulier cinq personnes, dans cette communauté. Fred et Sarah, qui ne peuvent quitter ces terres, car elle contient une enfant qu’ils ont perdue, qu’ils ont enterrée là, après son décès. il ne peuvent la quitter. Par amitié, pour des raisons qui leur sont tout a fait personnelles, Marc et Lorna ont choisi de rester aussi. Et ce quatuor sera complété par Alessandro. C’est leurs voies et voix intérieures que chaque chapitre nous fera arpenter.

Jusqu’au jour où l’arrivée d’un enfant parmi eux, une nouvelle vie naissante au sein de leur cercle fermé, va venir bouleverser le fragile équilibre qui était le leur, rebattre les cartes, en somme. Une arrivée prochaine de ce nouvel être qui peut être vécue comme une divergence inattendue. Cela dit, porteuse d’une certaine forme de lendemain possible. Mais élever un enfant dans cet environnement abimé, infecté est-il seulement envisageable ? Pour Sarah, il n’y a aucun doute : rester ici, chez eux, est la seule possibilité. Mais pour les autres, le choix n’est pas si évident, et les « et si » viennent peu à peu, page à page, troubler l’harmonie qui existait à leurs yeux, sur laquelle ils s’étaient peut-être trompés.

Une écriture elliptique et pointilleuse, sensible et prenante, emportante et touchante

On entre sans vraiment savoir où on va aller dans ce roman, mais on sent la tension s’amplifier au fil des pages, sans pour autant recevoir aucune leçon de vie, et on se lance à l’aveugle et pourtant confiants dans cette spirale teintée petit à petit de discorde et de folie.

Car évidemment, la question se pose à nous tous et toutes, ces temps-ci : comment chacun et chacune pourrait réagir, agir, aussi, sans doute donc avec, une telle catastrophe ? Quelle émotion aurait pris le pas sur une façon de vivre aussi soudainement et radicalement révolue ? Serait-ce l’instinct, le lien, la peur, la colère, la résistance, la désertion ou la résilience ?

Photo : D.R.

Il ne s’agit pas de survivalisme mais de chorale intime et observatrice, d’une avancée, ensemble, malgré tout, et des certitudes, doutes, inquiétudes, revirements, besoins viscéraux qui guide tous ces personnages. Un huis-clos intense mais qui est empli d’humanité, d’intelligence, au sens de comprendre ce qui se passe tout autour et comment y faire face, collectivement, avec douceur, liens préservés, à la nature et entre gens qui s’aiment, et de courage. Beaucoup.

Une histoire de fin du monde sans en être une, profondément humaine, mosaïcale, qui fait se côtoyer tous les paradoxes, où la poésie frôle le désespoir, une proposition de choix de vies, sans leçon à suivre ou donner.

Impossible de lire sans tourner toutes les pages pour savoir, avancer avec eux, de ne pas se sentir partie prenante de cette famille hasardeusement re-formée, ces cinq personnages qui se serrent les coudes et cultivent chacun leur personnalité, liée à celle des autres, et à leur vision du monde… Un monde certes menacé, en danger, abîmé, et pourtant, pourtant, nourri par différents espoirs poétiquement littérairement, viscéralement encore possibles..

Une ligne de vies prenante, émouvante, avertissante, alerte donc alertante, alternante entre les voix, celles de Sarah, Fred, et celles autour, Marc, Alessandro, Lorna, l’animalité libérée, l’amour, la folie et l’inattendu qui naîtra au coeur de tout ça, ouvrant une nouvelle voix, voie, ou pas.

Futuriste ? Hélas, non, juste un concret futur proche. Plausible, donc bouleversant.

Et pour couronner le tout, Laurent Petitmangin est lauréat avec ses Terres animales du Grand Prix de Littérature de la Ville de Saint-Étienne, qui vient de lui être décerné.

Margot.

Tu te souviens de tous ces dithyrambes sur le ouaibe et ailleurs concernant le premier roman de Laurent PetitMangin ?

Je m’en souviens aussi, forcément, je faisais partie du concert…

Ce qu’il faut de nuit a été une vraie découverte, tout au long de sa lecture. Un roman social que n’auraient pas renié Manchette ou Jonquet. D’aucuns, encore eux, disaient qu’il se baladait entre le noir et la société… Mais bon, pas de polémique, d’autant que ce roman est sorti il y a trois ans.

Puis est apparu Ainsi Berlin.

Je n’ai rien à dire sur cette chose-là, si ce n’est que je n’ai pas adhéré, mais alors pas du tout, à ce second roman…

Un premier roman tourné vers la société, donc, un second roman tourné vers l’espionnage…

Quid du troisième ?

Les Terres animales vient de sortir.

Une dystopie. Je dis ça, et je dis rien.

La dystopie, depuis 1984, c’est un genre qu’il est difficile d’aborder. Sandrine Colette s’y est essayée, et je crois que Seb en a fait la chronique sur ce blog.

Sandrine Colette, comme Séverine Chevalier et quelques autres, fait partie de ces auteurs et autrices qu’il ne fait pas bon critiquer en ma présence…

Donc, quant à ces terres animales, on n’est pas très loin de la réalité puisqu’une centrale nucléaire a explosé quelque part, et que cette explosion a provoqué l’irradiation de la région qui l’entourait.

On est bien, jusque là, et ça nous rappelle que ça pourrait bien nous tomber sur le coin de la figure un de ces jours.

Comme certains habitants de Fukushima, puisque l’idée de ce roman est liée à un reportage aperçu par Laurent Petitmangin, Sarah, Fred, Marc, Lorna, Alessandro et quelques autres, refusent de quitter leur territoire.

Et puis Vic, la fille de Sarah, est morte ici, et elle est enterrée ici, au sein de cette terre contaminée, alors partir… Non.

Comment décider de vivre ailleurs que sur cette terre animale ?

Je vais en rester là pour ce qui concerne le pitch, qui est sans doute un de mes plus longs pitchs de l’histoire de mes pitchs.

Roman court. Très court même.

De là à dire trop court, ben non, même si j’ai failli le penser.

Quid de la nature qui entoure cette mini population ? Tu n’en sauras rien, ou pas grand chose.

C’est ballot.

C’est ballot parce que j’aime bien quand la nature existe dans un roman, quand elle y a sa place, quand elle devient un personnage, mais dans celui-ci, elle ne m’a pas manqué plus que ça.

En revanche, tu vas pouvoir suivre les pensées de Sarah, celles de Fred, et tu vas devoir te concentrer sur le quotidien social de ce groupe de survivants.

J’imagine que comme moi, tu risques d’avoir du mal à t’attacher, à ne pas réagir face à certaines phrases, à ne pas essayer de comprendre pourquoi.

Pourquoi rester ? Pourquoi ne pas partir ? Pourquoi ne pas faire face à l’évidence du départ non seulement possible, mais peut-être nécessaire ?

Laurent Petitmangin prouve, si c’était nécessaire, que la poésie est aussi possible dans un roman, que la prose n’exclue pas la création d’un univers tourné vers l’humain, vers l’amitié et ses déchirements.

Que la poésie peut aussi devenir le moyen de faire parler les cœurs et d’entendre ce qu’on ne veut pas dire…

Les Terres animales m’a dit pourquoi partir n’est parfois simplement pas possible,

parce qu’ « on n’est pas d’un pays, mais on est d’une ville. »

Parce qu’encore aujourd’hui, au milieu des bombes qui tombent tous les jours, au milieu des immeubles et des maisons en ruines, certains restent, malgré la mort qui guette, jour après jour.

Malgré les vivants partis.

Malgré la peur des demains. 

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.

Nicolas

Les Terres animales, Laurent Petitmangin, La Manufacture de livres éditions, 224 p. , 18,90 €.

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