Le choix du titre d’un roman est un art à part entière, dont Clara Arnaud semble avoir saisi les ficelles. Ainsi, après La Verticale du fleuve (Actes Sud 2021), Et vous passerez comme des vents fous met l’eau à la bouche avant même d’en avoir lu le résumé. Extraits d’un texte du poète arménien Hovhannès Chiraz, ces quelques mots évocateurs s’avèrent riches de promesses.
Même s’il suit une structure assez convenue en alternant deux époques et deux récits, le second roman de Clara Arnaud s’avère plus original qu’attendu et réussit à attraper le lecteur dès les premières pages avec une scène d’ouverture particulièrement réussie. On y voit Jules, jeune montagnard des Pyrénées à la fin du XIXᵉ siècle, capturer un ourson dans sa tanière en profitant d’une courte absence de la mère. Son but ? Dresser l’animal afin de pouvoir devenir montreur d’ours à travers la France avant de gagner les États-Unis pour y trouver gloire et fortune. C’est sur le destin de ce couple improbable que l’autrice revient au cours du livre, dont la trame se déroule sur les lieux mêmes où Jules a grandi. L’unité de lieu et la présence constante de l’ours permettent donc aux deux histoires de se faire écho et de donner une certaine épaisseur à la dimension historique du sujet, à savoir la cohabitation de l’homme et de l’ours dans ces montagnes.
Le sujet est particulièrement sensible et plutôt casse-gueule si l’on considère la facilité avec laquelle on peut très vite sombrer dans les clichés les plus éculés et les généralités les plus navrantes. Clara Arnaud semble n’en avoir cure et, loin de se contenter d’aligner les lieux communs ou des prises de position par trop prévisibles, elle offre un roman qui, sur pas loin de 400 pages, plonge au cœur des tensions occasionnées par le retour de l’ours dans les montagnes. Même s’il lui est difficile de cacher le côté duquel son cœur balance, la jeune autrice ne s’encombre pas de la sensiblerie ou de l’aveuglement qui décrédibiliseraient aussitôt son récit. À travers les différents personnages mis en scène dans ses pages, elle expose la complexité de cette cohabitation qui, selon nombre d’intervenants, n’a plus rien de naturel.
Ayant vraisemblablement très vite compris que tout manichéisme était proscrit sous peine de ne rien proposer d’autre qu’un plaidoyer larmoyant, Clara Arnaud parvient à garder l’équilibre en donnant la parole à chacun des deux camps. Montrant que toute approche scientifique se heurte également à ses propres limites face à l’imprévisibilité du monde animal, elle ne se prive pas non plus de dénoncer les limites de la tolérance humaine et cette fâcheuse manie de vouloir résoudre les problèmes en sortant les armes.
Beau roman particulièrement maîtrisé, Et vous passerez comme des vents fous nous questionne sur notre rapport à la nature et au sauvage. Clara Arnaud nous offre une ode à la montagne et à la vie pastorale, bien loin toutefois de la carte postale idyllique qu’il aurait été si facile d’écrire. Rien que pour ça, nous pouvons la remercier.
Yann.
Et vous passerez comme des vents fous, Clara Arnaud, Actes Sud, 370 p. , 22€50.