« Carrera s’énerve tout seul. De Marseille, on ne retient que le mauvais : les règlements de comptes, la saleté, la gabegie politique. Par contre, on ne parle jamais des camions de pizzas. Qui a inventé les camions de pizzas ? C’est Marseille, mon ami. »
Depuis le milieu des années 90, lorsqu’il est question de polar marseillais, c’est inévitablement la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo (Total Khéops, Chourmo, Soléa – Série Noire puis Folio Policier) qui s’invite à l’esprit, occultant de prime abord les autres auteurs de la cité du sud. Sans qu’on puisse pour autant parler d' »école marseillaise », Izzo est en effet l’arbre qui cache la forêt et le recueil Marseille noir (Asphalte 2014 puis 2022) concocté par Cédric Fabre montre la vitalité et la diversité de la littérature noire phocéenne. Si toutes les tentatives, ici comme ailleurs, ne sont pas forcément inoubliables, certaines voix sont à découvrir sans faute, ne serait-ce que pour se débarrasser de certains clichés. En ce sens, la publication de ce premier roman de Pascal Escobar s’avère particulièrement réjouissante.
Marseillais pure souche, très investi dans la cause sacrée du rock’n roll, Escobar s’est avant tout illustré en tant que guitariste au sein de groupes mythiques comme les Neurotic Swingers ou Gasolheads. Rien d’étonnant, donc, à ce que sa première publication soit une Histoire du Rock à Marseille 1980-2019 (Le Mot et le reste 2019).
La deuxième bonne nouvelle après la lecture de ce roman, c’est que Belle de Mai est le premier volume d’une trilogie, ce qui, on l’espère ardemment, laisse augurer d’aussi bons moments que celui-ci nous en a procurés.
Ancien éducateur rattaché au juge des enfants à Marseille, Stanislas Carrera s’est reconverti en enquêteur privé. Mandaté par une famille d’origine comorienne, il se lance à la recherche du jeune Fuad, dix sept ans, dont le frère aîné est au même moment accusé du meurtre d’une jeune femme. » (4ème de couverture).
Plutôt qu’un flic ou un journaliste, c’est la figure du privé que Pascal Escobar a choisi de mettre en scène et force est de reconnaître que ça fonctionne plutôt bien. Personnage attachant malgré une aptitude certaine à la violence et la certitude de pouvoir parfois réparer lui-même à la manière forte les injustices dont il est le témoin, Carrera est d’abord et surtout un pur marseillais, viscéralement attaché à sa ville même si, par de nombreux aspects, il ne la supporte plus. Ce rapport d’amour / haine est omniprésent dans le roman et pas seulement à travers Carrera. Il suffit de le suivre à travers la ville et certains de ses quartiers oubliés des pouvoirs publics depuis des années pour comprendre le ras-le-bol et l’écoeurement de bon nombre d’habitants. Plus que la nostalgie d’une ville passée idéalisée, c’est la colère qui prédomine. Qu’on parle des politiciens ou des promoteurs immobiliers, ils sont légion à s’être enrichis sur le dos d’une population abandonnée aux trafiquants de drogue ou d’êtres humains, l’arrivée régulière d’immigrés démunis fournissant en continu de la chair fraîche et résignée, invisible au commun des mortels. Pascal Escobar n’a vraisemblablement pas fréquenté que les palaces marseillais, ses descriptions de certains coins de la ville suintent la misère et l’oubli, la violence et la mort.
Autre point fort du roman, la galerie de personnages plus ou moins secondaires que l’on croise en ses pages. En premier lieu, l’excellent Fruits Légumes, cousin germain de Carrera, dont la réputation et la propension aux magouilles vont s’avérer utiles dans l’enquête du privé. Le commissaire Guendouzi et son adjoint Merguez. Le Libanais. Et tant d’autres croisés ici ou là. Beaucoup d’hommes mais pas seulement. Léa, la fille adolescente de Carrera, Bérangère, sa compagne. Bahati, la soeur du jeune Fuad que recherche Carrera. Des assistantes sociales qui ont refusé de baisser les bras. Des mères dépassées par la vie de leur progéniture… Comme la ville, le roman grouille de personnages dont Pascal Escobar livre un tableau riche et vivant, entre fascination et répulsion, mais qui fait mouche à chaque fois.
Belle de Mai est symptomatique de ce que ressentent la plupart des marseillais vis-à-vis de leur ville et Pascal Escobar a su tirer profit de cette relation qui rappelle parfois le rapport qu’entretiennent les cubains avec leur île dans les romans de Leonardo Padura. Chargé d’histoire sans être pesant, nostalgique sans être poussiéreux, éminemment contemporain dans ce qu’il raconte, le roman de Pascal Escobar est une réussite à laquelle ne manquent ni la tchatche ni les saveurs propres à la cité phocéenne.
Yann.
Belle de Mai, Pascal Escobar, Le Mot et le Reste, 255 p. , 21€.
Un entretien avec Pascal Escobar :
Tu peux nous parler de ton rapport à la lecture ? Quel lecteur es-tu ?
Je suis un lecteur boulimique et donc en permanence en demande de références nouvelles pour alimenter mes deux ou trois livres par semaine. Le problème, et je ne m’en suis rendu compte que récemment, est que les auteurs préférés de tes amis préférés ne te touchent jamais. J’ai lu un nombre incalculable de livres qui m’on laissé tiède, recommandés par un chanteur, un ami, un proche, un parent, que, par ailleurs, j’apprécie relativement dans la vie de tous les jours.
Je suis donc le type de lecteur en demande de nouveautés mais qui ne demande plus eh eh. Je pense que nous créons nos obsessions individuelles littéraires selon un processus qui est absolument inidentifiable et totalement personnel. Sinon comment expliquer autrement que les cinq premiers Pepe Carvalho de Montalban que j’ai recommandés à des êtres humains que je sentais possédant des qualités intellectuelles supérieures m’ont été rendus sans qu’on m’en touche un seul mot, un seul.
Sinon, je peux lire une nuit entière si le livre est bon. Même si j’ai une réunion avec des gens qui sont pour moi des martiens demain tôt au boulot. Je pense, et je serai prêt à le défendre devant un parterre de scientifiques et d’intellectuels, que la lecture est le plus grand moyen d’évasion qu’ait inventé l’homme sans construire d’avions ni s’envoyer des produits stupéfiants dans le système nerveux central. En plus c’est moins cher.
En premier lieu, j’aime le roman noir. Les Grands. Manchette, Montalban, Carlotto, Ellroy. Je m’en suis nourri des décennies entières, j’ai 49 ans. Donc après avoir eu un passé de musicien punk rock qui m’a permis de me rouler, de me vautrer, sans complexe aucun, dans les pompages, les plagiats, les inspirations, les reprises, maintenant, je fais pareil en recrachant tout ce que j’ai lu à vingt ans.
Comme tu le signales, tu as longtemps été très actif sur la scène punk rock marseillaise. Quel est l’élément déclencheur, celui à partir duquel tu vas décider de te lancer dans l’écriture ?
Je suis travailleur social. Je fais des rapports pour les juges. Des centaines de rapports. Un jour, un chef que j’aimais bien m’a dit tiens dans tout le service, une cinquantaine de travailleurs sociaux, c’est toi qui fait les rapports les moins chiants ah ah. J’ai eu pleins d’autres retours comme ça, de la part des juges qui en général sont des personnes cultivées et plutôt intéressantes, je ne plaisante pas. Donc je me suis dit si ça se trouve tu sais un peu écrire. Et puis un jour, dans la foulée, je jouais à Toulouse avec un de mes groupes, vers 2015, et dans le bar il y avait le « boss » d’un fanzine que j’adorais depuis longtemps, DIG IT!, que je commandais tous les trois mois, que je lisais avec avidité et plaisir. Ce type était Gildas Cospérec. Nous avons eu une conversation agréable sur la littérature rock, sur nos goûts respectifs, sur l’importance de la narration dans la critique musicale. Il était un peu comme moi, il considérait que la critique était vaine sans un peu de boue et de sang. Et étant l’homme de classe qu’il était, il m’a proposé de tenter d’écrire une chronique sur un sujet de mon choix et éventuellement de le publier dans DIG IT! Trois semaines après je lui ai envoyé 6 pages sur Johnny Thunders, mon idole guitaristique, sans parler trop de musique et en racontant beaucoup de conneries sur moi. Il a aimé et publié la chronique. Tout est parti de là. De la rencontre de ce rocker de classe et de culture, Gildas Cospérec, qui a commencé à publier tous les trois mois 6 pages de chroniques essentiellement absurdes, humoristiques et auto centrées que j’écrivais pour mon fanzine de référence.
L’autre élément a été un auteur américain du nom de George Tabb que je lisais dans le magasine Maximum Rock’n’Roll. Je trouvais ça hilarant, talentueux et surtout décomplexé. Le punk rock a l’avantage, je pense, de te décomplexer. Tu prends une guitare et tu joues. Si c’est bien, c’est bien. Si c’est pas bien, tu n’as tué personne. Je suis parti de ce postulat de base. Pourquoi un autre mec serait meilleur que moi ? Bon il y en a des centaines de millions de meilleurs que moi. Et alors ? On s’en fiche en fait. Je me suis simplement rendu compte que j’adorais raconter et inventer des histoires. C’était aussi un moment de ma vie compliqué où il y a eu des morts de personnes chères, des séparations, des déménagements, des dérapages toxiques sévères. Je me suis dis bon tant qu’à vivre ces moments un peu difficiles, autant en faire quelque chose et les raconter. En plus c’était une époque où je ne supportais plus de faire de la musique, de partager un local, de répéter, d’avoir la gueule de bois en tournée. Tout seul devant un ordinateur, j’ai retrouvé le plaisir de créer que j’avais presque complètement perdu dans l’exercice de groupe.
À quel moment arrive Carrera ? De qui s’inspire-t-il ?
Stanislas Carrera est arrivé il y a trois ans, vers 2020. Depuis 2016, j’avais écris trois livres sur le rock. Le premier a été Pachuco Hop, un recueil des mes chroniques chez DIG IT! paru chez Mono-Tone Editions à Nice, une structure indé gérée par Didier Balducci, guitariste des Dum Dum Boys et écrivain émérite. Ensuite, pour des raisons qui me restent encore difficiles à identifier, Le Mot et le Reste m’a proposé d’écrire un documentaire sur l’histoire du rock à Marseille depuis 1980. Je l’ai fait par goût des rencontres et de l’écriture. C’était la première fois que je travaillais avec un gros éditeur. C’était en 2018. Ca s’est bien passé, un vrai plaisir du début à la fin. Mais je me suis rendu compte que le documentaire n’était pas ma tasse de thé. Alors j’ai décidé d’écrire un vrai livre qui est devenu Mieux bâtards que jamais, sortie par Mono-Tone également, vers 2021. C’était encore un livre sur ma vie avec comme toile de fond le punk français. C’était super. Je me suis éclaté. Mais ça parlait encore de rock. Un jour je me suis dit je préfère devenir gérant de station essence plutôt que d’écrire encore une ligne sur la musique. Comme j’étais en contact avec Le Mot et le Reste, je leur ai proposé le manuscrit de Belle de Mai, qui est tout sauf un livre sur la musique. Et ils ont dit oui. Je pense que Yves Jolivet, le patron, un homme de classe et d’érudition, s’est dit y a bon là, on a tous les ingrédients pour vendre un peu de copies ah ah : Marseille, les quartiers Nord, L’Estaque, les racailleux, la mer, le port.
Carrera est vraiment né de là. De ma lassitude d’écrire sur le punk. Et de mon envie de créer mon Pepe Carvalho à moi. C’était comme une obsession. Créer mon détective privé à moi. Mon grand-père était immigré anarchiste espagnol. Et Montalban, dans les premiers Carvalho, ne parle que de l’Espagne après Franquiste. Quand je lisais, j’en avais des visions, presque des hallucinations, je relisais parfois certains passages trois ou quatre fois en me disant c’est pas possible, comme il est bon cet enculé, comme quand j’écoutais God Save the Queen trois fois de suite adolescent. Alors je me suis dit je vais faire mon Carvalho à moi. De la même manière que j’ai repris dans mes groupe Gene Vincent par exemple, sans aucune honte ni scrupule ni rien. J’aimais Gene Vincent alors on faisait une reprise de Gene Vincent. On peut dire que Carrera est ma reprise de Carvalho eh eh. Mais comme je ne suis ni Gene Vincent ni Montalban, j’ai fais mon truc à moi. Sans trop y penser. Pour moi l’écriture n’est pas intellectuelle. Elle reste un plaisir simple et instinctif. Donc la Barcelone après Franquiste est devenue la Marseille d’aujourd’hui. Je suis Marseillais. De St Henri. Un quartier collé à L’Estaque mais que personne ne connait. Alors je dis que je suis de L’Estaque. Marseille me fascine. C’est une ville qui garde encore en elle un pouvoir d’attirance et de fascination qui se mêle étroitement et inévitablement à un sentiment de dégoût et de violence. Il possible de formuler l’hypothèse que Carrera vient de ce besoin presque irrépressible que j’ai eu de parler de Marseille. Je veux dire on va pas faire un livre avec un besoin irrépressible de parler de Genève ah ah.
Justement, ce rapport à Marseille, c’est un élément omniprésent dans Belle de mai. Ce mélange de fascination et de dégoût est assez particulier. Il me rappelle le sentiment des cubains vis à vis de leur île dans les romans de Leonardo Padura. Comment expliques-tu cette relation si particulière des marseillais à leur ville ?
Sans tomber dans les clichés à tout va, c’est quand même une ville qui a du sens. Aujourd’hui, en sortant du travail, j’ai roulé derrière une voiture dont le passager a jeté par la fenêtre son paquet de cigarette, un emballage de sucrerie et d’autres ordures. Sur le périphérique, j’ai croisé deux types qui marchaient en sens inverse sur une voie rapide, comme tombés du ciel ou du camion, puis j’ai déposé un collègue de travail à cent mètre du bar où a eu lieu un règlement de compte en octobre. Un quartier résidentiel en plus, Les Chutes Lavie, pas zone ni rien. Marseille c’est ça. La mort et la vie. Les quartiers Sud et les quartiers Nord. La misère, la gentrification, l’explosion, la mode et tous les gens du Nord qui viennent s’y installer parce que c’est une ville de fou et que chez eux ça n’existe pas. Chez eux la rade de Marseille n’existe pas. Ni le port industriel, sublime, incrusté en plein centre de la ville. Et ça bouge. Je ne sors plus. Je suis vieux et père de famille. Mais je sais encore qu’il y a plus d’endroits indépendants et underground que la plupart des grandes villes de France réunies. Les quartiers de nuit sont devenus des véritables fourmilières branchées destroy ou des jeunes à la mode vont boire des bières à quelques centimètres de bandes d’Africains clandestins qui boivent eux aussi des bières mais achetées à l’alimentation. Ca ne se mélange pas mais d’une certaine manière, étrangement, ça provoque une électricité que je n’ai sentie qu’à Naples. C’est une ville ambigue et de l’ambiguité nait la profondeur et l’intérêt. Les marseillais ressentent ça. Ils détestent et ils aiment. Ils maudissent et ils sont fiers. Ca me fait penser à ce qu’avait dit Lemmy de Motorhead. Quand tu vas voir un concert, tu n’as pas envie de voir sur scène ton voisin en chemise Kiabi. Tu veux voir un martien qui va alimenter tes fantasmes. Marseille c’est Marlon Brando qui joue à la pétanque et qui dit eh vas niquer tes morts à son partenaire.
Même si Belle de mai peut être considéré comme un hommage à Marseille, on trouve au milieu du roman un chapitre qui nous transporte à Mayotte. Pourquoi ce choix bien précis ?
J’aime beaucoup Kem Nun et James Ellroy. Ces deux auteurs ont une faculté intéressante de narrer la génèse de la psychose et des sociopathes. Cela me semblait important d’expliquer l’origine du mal. One ne nait pas tueur on le devient. Comment ? C’est ce que j’ai essayé de faire apparaître dans ce chapitre qui se passe à Mayotte et qui évoque l’enfance de l’ogre de mon livre. Dans mon métier, j’ai côtoyé un grand nombre de familles comorienne. Je trouve que les femmes et les filles ont beaucoup de courage et d’abnégation. Les hommes sont relativement absents et les jeunes adolescents garçons font beaucoup de conneries. Pas tous, mais c’est quand même une donnée qui existe. Je mes suis souvent demandé comment c’était au pays pour eux ? Quel est leur quotidien dans une île à la nature paradisiaque mais à la société dure et pauvre. Je pose souvent des questions aux familles avec qui j’ai un contact suffisamment bon pour que les femmes et les filles parlent. Le chapitre à Mayotte provient de cet ensemble d’éléments : l’envie de raconter la génèse d’un psychopathe et l’envie d’écrire sur un endroit du monde où je n’irai sûrement jamais mais dont je fréquente professionnellement des personnes presque tous les jours. Ca a été une autoroute de l’imaginaire pour mon écriture. Je mes suis un peu documenté pour ne pas écrire trop de conneries puis j’ai mélangé les informations recueillies auprès des personnes avec un délire à la James Ellroy sur la folie et la mort.
Parmi tous les personnages qui habitent ton roman, j’ai une affection particulière pour Fruits Légumes. Pour lui comme pour d’autres, tu t’es inspiré de connaissances ou de gens croisés en ville ?
Fruits Légumes est librement inspiré d’un cousin à moi qui habite l’Estaque. J’ai travaillé avec lui quand j’étais jeune. Il était dynamiteur et moi je faisais l’aide. On faisait sauter des pans de collines pour les ciments Lafarge. Il y avait d’autres gars de l’Estaque dans l’entreprise. C’était parfois folklorique. Sur les chantiers le langage était plutôt fleuri. J’en ai entendu des bonnes sur les femmes, les boules, le pastis, l’OM et compagnie. Tous les personnages sont inspirés de personnes que je connais, parfois sans même qu’elles le sachent ou s’en doutent. Ça crée parfois des situations délicates ou marrantes. Pour mon premier livre Pachuco Hop, j’ai mis en scène un copain punk que je voyais quand j’avais la vingtaine et que je n’avais pratiquement jamais revu depuis. Sans l’ombre d’un scrupule, je me suis servi de certaines anecdotes vécues avec lui, des trucs croustillants dont on ne sortait pas spécialement grandis. J’étais sûr que ce copain perdu de vue ne tomberait absolument jamais sur un de mes écrits. Et un jour je reçois un SMS avec sa signature me disant « Je ne suis pas mort mon salaud » ah ah ! Ça l’a fait rire. Ce n’est pas toujours le cas. Maintenant je fais attention de ne pas froisser les susceptibilités. Ça peut aller vite. J’utilise un ton d’écrit un peu narquois et certaines personnes de la vraie vie peuvent le prendre de travers. Ma fille a ri. La fille de Carrera, Léa, c’est ma fille. Qui a lu tous mes livres. Elle m’aime encore. Parfois la nuit il m’arrive de me dire putain ma fille de quinze ans a lu les horreurs que j’écris ah ah. C’est gênant pour les passages qui parlent de sexe particulièrement.
Il semblerait que Carrera n’en soit qu’au début de ses aventures. Qu’en est-il vraiment ?
Je viens de signer un contrat avec Le mot et le Reste pour deux épisodes supplémentaires. Une trilogie marseillaise à ma façon. Un ami m’a rappelé que Marcel Pagnol en a fait une et Izzo également. Je me rappelais celle de Izzo mais j’avais occulté celle de Pagnol ah ah. Belle de Mai traite des quartiers Nord. Le tome suivant, que je suis en train d’écrire s’appellera La Plaine et parlera du centre-ville sur fond d’intrigue dans le milieu du rap.
La Plaine est le quartier de nuit des jeunes à la mode LGBT, des rockers, des racailleux, des rastas, des squatters, des clandestins, des fêtards. C’est un quartier assez animé et folklorique qui est en pleine explosion festive. D’une certaine manière, Marseille aujourd’hui me fait beaucoup penser à Barcelone il y a trente ans. J’ai envie d’écrire sur ce quartier, sur l’hyper centre. Quand je promène mon chien à la Plaine ou au cours Julien, le vendredi à 19h, j’en ai parfois la mâchoire qui se décroche, on sent une émulation, une électricité qui me donnent envie de me retrouver derrière mon ordinateur à raconter tout ça.
Le troisième tome parlera des quartiers Sud. Il s’intitulera Pointe Rouge, du nom d’un plage, et l’intrigue aura pour toile de fond l’OM et le football. J’ai choisi de plonger dans les clichés de Marseille et de les traiter à ma façon. De toutes façons, les dealers, le rap et l’OM ne sont pas un cliché. C’est Marseille. C’est comme ça. Celui qui pense investir cette ville et échapper à ce triptyque va au-devant d’une sacrée déconvenue.
Quelle serait pour toi la bande son idéale de Belle de Mai ?
Carrera est un rocker. Il vient de la musique à guitare électrique. Mais il écoute de tout. Dans la bande son, je ne mettrais que des groupes de Marseille. Du rap pour les scènes hardcore de banditisme ou de désolation urbaine. Pourquoi pas IAM ou SCH que j’aime beaucoup. Je ne suis pas spécialiste de rap. Il faudra que je me fasse un peu guider pour ne pas écrire trop de conneries dans le tome deux et me faire casser la tête par des rappeurs énervés ah ah !
Pour les scènes de déambulations nocturnes, je verrais bien de la funk ou de la soul. Ça colle quand-même à l’esprit de la ville. Il faudra également que je me fasse conseiller parce que Marseille est une ville de musique mais je ne connais que des groups de punk ou de garage ah ah.
Les scènes d’action méritent du rock. Et dieu sait qu’à Marseille il y en a eu. Du punk du rock’n’roll, du garage, du Hardcore, de la noise. Il y a et il y a eu de tout. En qualité et en quantité. Je ne suis pas particulièrement chauvin en termes de musique mais quand je regarde une série anglaise qui se passe à Birmingham, la bande son est exclusivement anglaise. Pourquoi on ne ferait pas une bande son Marseillaise pour un livre Marseillais ? Quand j’ai écrit le documentaire sur l’histoire du rock à Marseille, j’ai rencontré un fan de Massilia Sound System qui m’a dit qu’il aimait ce groupe parce qu’avec eux, être Marseillais ce n’était plus ringard, c’était plus la honte. D’une certaine manière j’aime ce point de vue. Pourquoi un mec de Berlin serait plus cool qu’un mec de Marseille ? On s’en bat les couilles de Berlin. Le problème, évidemment, reste les döner kebabs. Les marseillais doivent se donner la peine d’apprendre à faire les kebabs.
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