Augustias, jeune migrante, vient de perdre ses jumeaux, deux petits êtres de quelques jours, serrés l’un contre l’autre dans une simple boîte en carton.
Dans ce monde de frontières, d’extrême violence, de lâcheté et de trafiquants, Augustias garde dans ses bras ce qui lui reste d’amour et d’espérance. Elle veut rejoindre le Tiers Pays, un cimetière illégal tenu par la flamboyante Visitacion Salazar, car, même chez les morts, l’injustice est crasse, les plus pauvres finissant dans une fosse commune. Augustias ne peut s’y résoudre sans abîmer davantage son âme ravagée.
« (…) Au village, il n’y avait plus, assez de fosses communes pour les enterrer. Les gens voulaient une tombe pour leurs proches, rien de plus, et le nom de Visitacion Salazar circulait par le bouche-à-oreille. Ils faisaient appel à elle avec le désespoir de ceux qui n’ont rien, pas même un endroit pour enterrer leurs morts. »
Les femmes de Sainz Borgo tiennent le fil ténu de leur existence, elles résistent comme elles peuvent avec ce qui leur restent de peau, de cheveux, sorte d’amazones modernes. Karina Sainz Borgo leur rend hommage dans ce roman contemporain âpre, décapant, incandescent.
Augustias, timide, réservée, va, au fur et à mesure de son amitié avec Visitacion, apprendre à dévoiler sa force, à lutter contre de trop nombreux pouvoirs oppressifs, celui des cartels, de la lâcheté des hommes, du pouvoir politique corrompu. Ces femmes veulent rester en vie, et pour cela, la lutte acharnée est nécessaire.
Karina Sainz Borgo construit Tiers Pays comme un western aux accents de tragédie grecque, de l’Antigone saupoudrée de quelques touches de Calamity Jane mêlée à du Cat Ballou. Face à un maire trouillard et une meute de narcos, ces deux femmes ne vont sûrement pas se laisser faire.
Tout en aidant les plus pauvres à enterrer dignement leurs morts, tout en gardant dans ce paysage hostile et désœuvré, la force de garder au chaud leur compassion et l’esprit de solidarité, Visitacion et Augustias vont prendre leur plus belle pelle pour aller dégommer quelques hijos de puta. Et on ne va pas se mentir, ressentir la puissance de ces donzelles a quelque chose de jouissif dans cette lecture.
Augustias et Visitacion vont donc se trouver, pour le meilleur et pour le pire. Ensemble, elles affronteront la lâcheté de certains, la folie des autres, ces « irréguliers » : narcotrafiquants ayant droit de vie et de mort au sein de cette région sèche et poussiéreuse de la sierra orientale.
Le Tiers Pays, traduit par Stéphanie Decante, est un roman vif, haletant, puissant, inoubliable ; un roman noir décapant où la sororité reste la lumière vacillante au sein de l’obscurité.
Fanny.
Le Tiers pays, Karina Sainz Borgo, 294 p. , 23 €.
Merci Fanny, tu transmets une belle résonance