L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Lumière noire, Didier Daeninckx (Folio Policier) – Seb
Lumière noire, Didier Daeninckx (Folio Policier) – Seb

Lumière noire, Didier Daeninckx (Folio Policier) – Seb

« Il jeta son sac sur la banquette habillée d’un tissu vert à rayures, alluma la télé, mécaniquement. Sérillon prenait congé de son indice audimat en rappelant le bilan du dernier attentat terroriste à Paris, 4 morts, puis son sourire crispé fut effacé par la pomme de la pub. Guyot coupa le son et se saisit du téléphone tandis qu’un skieur présentait un pétard à l’écran. Ghislaine décrocha dès la première sonnerie. Il ne lui laissa pas le temps de placer un mot. »

L’histoire. Milieu des années 80. Paris est le théâtre d’une vague d’attentats. À Roissy-Charles-de-Gaulle, une patrouille de police tire sur une voiture sans raison apparente. La bavure est évidente. Le passager du véhicule, Guyot, s’en sort alors que le conducteur est tué. La hiérarchie, dans toute sa chaine de commandement, va tout faire pour camoufler la bavure en ces temps incertains pollués par le terrorisme.

Didier Daeninckx est une sacrée pointure. Il sévit depuis le début des années 80 et son palmarès présente, entre autres, un trophée 813 du meilleur roman, un prix du roman noir, un grand prix de littérature policière et un prix mystère de la critique. On peut dire qu’il a réalisé une sorte de Grand Chelem de la littérature noire et policière. Il a aussi écrit à plusieurs reprises des Poulpes. Rien que ça.

Fidèle à ses thèmes de prédilection où le citoyen classique est en prise aux systèmes de l’État dans une société pervertie, il développe ici une histoire tendue comme un tir d’arbalète, on entend le sifflement du carreau qui taille l’air dense et puis au bout, au centre de la cible, le « Chtonk » de la pointe qui pénètre dans le rouge du cœur. Il n’y a pas un mot en trop, pas un mot qui manque. Dans une écriture aussi dépouillée que celle de Jean-Patrick Manchette, tout en parvenant à faire jaillir quelques images bienvenues, l’auteur tricote en artisan chevronné un récit tiré par un quatuor (non, pas de Los Angeles) d’hommes très bien dessinés : le commissaire Darqué, âme damnée de la barbouzerie d’État, le pauvre salarié Guyot, rescapé de la fusillade et lampiste tout désigné, le carriériste juge Berthier, et enfin, le commissaire Londrin, homme de principes, en fin de carrière, dont les manières et la silhouette épaisse font songer immanquablement à un certain Maigret.

Habile, Didier Daeninckx n’a pas peur de nous offrir une belle respiration en nous envoyant faire un tour entre Mali et Niger, un moment poétique, une parenthèse remplie d’humanité loin de la grisaille et des saloperies parisiennes.

Mais ne vous y trompez pas. La narration est aux petits oignons, la mécanique parfaitement huilée. Les chapitres défilent comme les platanes sur une route nationale, tout se tient admirablement, l’auteur entretient l’espoir tremblant d’une fin heureuse comme une cordée d’alpinistes progressant sur une arête de neige instable et tôlée, on est inquiet tout le temps, on devient parano, on angoisse au fur et à mesure qu’on entasse les pages derrière nous, c’est noir à souhait, la raison d’État nous apparaît tel un monstre cynique et impitoyable, les petites gens, ce menu fretin, font ce qu’ils peuvent pour échapper à la nasse politico-policière.

« Quand il y a un problème du genre de celui de Gérard Blanc, l’important est d’aller vite. Il faut une explication plausible, tout de suite, pour les journaux et la télé… On improvise en se disant qu’il sera temps, le lendemain, de colmater. On prend ce que l’on a sous la main : il faut répondre à la minute même… Au bout d’une semaine il y a tellement d’informations contradictoires que plus personne n’y comprend rien. Tout se joue au cours des vingt-quatre premières heures… »

183 pages tirées à quatre épingles, mais des épingles qui rentrent dans les chairs.

Seb.

Lumière noire, Didier Daeninckx, Folio Policier, 192 p. , 7€20.

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