Et vlan ! un petit dynamitage de début d’année n’a jamais fait de mal à personne. On a beau se sentir blasés depuis des années face aux turpitudes de nos gouvernants, l’énormité des actes et l’assurance des mensonges énoncés les yeux dans les yeux continuent encore et toujours d’exercer sur nous un mélange d’incrédulité, de colère et de désespoir. Alors, quand François Médéline, fin connaisseur de la chose politique en France, s’attaque à l’affaire Cahuzac (mais si, souvenez-vous, ça n’est pas si vieux), il frappe fort et juste, faisant de La Résistance des matériaux un des romans les plus jouissifs de cette rentrée d’hiver. Et pourtant, on n’y rigole pas trop, c’est le moins qu’on puisse dire.
Bref rappel des faits : fin 2012, Jérôme Cahuzac (ici nommé Serge Ruggieri), ministre du Budget du gouvernement Hollande, est accusé par le site d’information Médiapart d’avoir détenu un compte bancaire en Suisse puis à Singapour, compte alimenté par des fonds non déclarés. Cahuzac / Ruggieri nie toutes ces accusations et clame son innocence pendant des semaines, y compris devant les députés à l’Assemblée Nationale. L’affaire prend des dimensions nationales jusqu’au 2 avril 2013, où Cahuzac finit par reconnaître les faits devant un juge d’instruction.
Les faits sont là, indiscutables, impitoyables, avérés. C’est d’eux que François Médéline tire les presque 500 pages de son roman. Mais ce qu’il y insuffle fait immédiatement basculer le texte du reportage vers une fiction politique ébouriffante. L’exercice est périlleux et relève de l’équilibrisme, tant la frontière est – volontairement – floue entre réalité et imagination, entre personnages réels apparaissant sous leurs vrais noms (et ils sont nombreux) et protagonistes créés pour le roman, dont les destins se croisent et s’entremêlent dans une chorégraphie savamment millimétrée. Tout l’art de Médéline repose ainsi sur cette double capacité bluffante à romancer le réel et à rendre crédible la fiction.
Celles et ceux qui avaient lu L’Ange rouge (La Manufacture de Livres – 2020) retrouveront ici Alain Dubak, commandant de la brigade financière au SRPJ de Lyon, écorché notoire, placardisé par sa hiérarchie.
« La coke est l’héritage de son passage aux Stups. La mort est l’héritage de son passage à la Crim. La haine de soi est l’héritage de sa naissance. »
Djamila Garrand-Boushaki est députée de la 2ème circonscription du Rhône et, par ailleurs, la femme de Jean-Michel Garrand, chef de cabinet de Serge Ruggieri. Par ailleurs également, un de ses frères a des accointances sérieuses avec le milieu salafiste. C’est de cet élément que vont se servir les « amis » de Serge Ruggieri pour allumer un contre-feu et tenter de faire oublier l’affaire en cours.
Gérald Hébert est ce que l’on pourrait appeler un homme de main ou, à l’ancienne, un barbouze à la solde d’un puissant industriel. C’est lui qui va être chargé d’orchestrer la manoeuvre qui devrait sauver la tête du Ministre, quel qu’en soit le prix. Grassement payé pour ses basses oeuvres, il n’hésite pas à mettre les mains (les bras, même, si nécessaire) dans le cambouis.
C’est autour de ces trois personnages que Médéline va dérouler tout ce qui échappe habituellement au public dans ce type d’affaires. Et c’est là que le lecteur effaré mesure à quel point le vice, la violence et une absence totale de morale caractérisent finalement le milieu politique, habité par des élus qui s’accrochent à leur poste et sont parfois prêts à toutes les saloperies pour le conserver. Rien de nouveau sous le soleil, diront certains mais on ne peut qu’être impressionné par la précision chirurgicale avec laquelle l’auteur dissèque les rouages de cet univers parallèle dans lequel seuls comptent les intérêts personnels. Parsemant son récit d’écoutes téléphoniques, d’articles de presse ou de SMS attribués pêle-mêle à François Hollande, Claude Guéant, Nicolas Sarkozy, Stéphane Le Foll ou Stéphane Fouks de l’agence Havas, Médéline sème en permanence le doute dans l’esprit du lecteur qui se demande à longueur de pages ce qui a réellement été dit et ce qui n’ a été qu’imaginé.
Pour faire simple, La Résistance des matériaux est un pavé qui se dévore (et l’écriture / hommage à Ellroy n’y est pas pour rien) mais qui risque de faire tomber les dernières illusions de celles et ceux qui en avaient encore. François Médéline finit de s’imposer comme un des meilleurs auteurs de noir en France, et on ne lui voit qu’un seul « concurrent » sérieux dans la catégorie fiction politique, c’est Jérôme Leroy, dont l’excellent Les derniers jours des fauves était sorti l’an dernier … à La Manufacture de Livres également !
« La politique a ses logiques qu’un novice ne peut comprendre. L’humiliation y est proportionnelle à la quantité d’honneur. L’honneur fabrique de la haine et la haine fabrique des morts. Les vaincus sont prêts à tout. »
Yann.
La Résistance des matériaux, François Médéline, La Manufacture de Livres, 488 p. , 21€90.