L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Un bruit de balançoire, Christian Bobin (L’Iconoclaste / Folio) – Seb
Un bruit de balançoire, Christian Bobin (L’Iconoclaste / Folio) – Seb

Un bruit de balançoire, Christian Bobin (L’Iconoclaste / Folio) – Seb



« Il faut avoir une force terrible pour supporter de lire un seul poème. Aller au-devant d’une phrase comme au-devant de sa propre mort. Accepter de n’être plus protégé par rien et recevoir le coup de grâce d’une parole claire en son obscurité.

Photo : D.R.


Monsieur Bobin,
Je suis heureux d’avoir fait votre rencontre. Bien sûr, vous n’êtes plus là mais votre ombre est plus présente que votre corps. Et votre voix bien plus encore. J’ai mis du temps à vous rejoindre par-delà les océans de papier, car avec les livres, ces êtres au caractère ombrageux, tout est question de moment, et le moment n’était pas encore venu avec vos ouvrages, et je sais, maintenant que je vous ai lu, que vous comprenez très bien cette idée qu’il faut être dans les meilleures dispositions mentales pour accueillir une voix.

Si vous étiez traduit dans toutes les langues et tous les dialectes il n’y aurait plus la guerre à la surface de la terre. Les bibliothèques et les librairies seraient les nouvelles églises et au printemps revenu les gens cueilleraient des poèmes pour en faire des bouquets de joie.

Certains racontent que vos écrits sont mièvres. C’est parce qu’ils confondent naïveté et capacité d’émerveillement. L’enfant qui s’émerveille des gouttes de rosée dans la lumière fébrile du matin n’est jamais mièvre ; s’il s’exclamait « regardez comme c’est beau ! » ses parents seraient fiers de tenir en terreau une si prometteuse graine de poète. Mais dès qu’un adulte s’exclame sur la rosée posée sur une tige tremblante, il devient mièvre. Ce monde interdit aux adultes de conserver un regard d’enfant sur toutes choses, parce que si jamais ils le recélaient comme des contrebandiers de la beauté, alors ils deviendraient inaptes aux interminables heures de travail abrutissant et à l’enchainement des semaines qui, comme les océans séparent les continents, nous tiennent loin des vacances et du temps précieux qui s’y cache. Non monsieur Bobin, vous n’êtes pas mièvre, je vous trouve même une posture politique et diablement subversive, vous qui laissez filer les heures et n’obéissez à aucune posture productiviste et utilitaire. Mais un subversif qui ne fait pas de vague, se déplace en glissant sur un souffle d’air. De toute façon les poètes ne sont-ils pas tous des insoumis ? Ryokan en tête.

J’ai trouvé le moment propice pour vous lire. Je ne l’ai pas choisi, il est venu à moi.
La maison était silencieuse ; suffisamment pour que je perçoive ce sifflement de basse fréquence dans les oreilles. Un de nos chats flirtait dans l’indolence avec la torpeur sur mes jambes allongées. J’ai grillé un chapelet de minutes à l’observer s’ensommeiller, sa tête s’inclinant lentement – comme le soleil descend au crépuscule – pour finir en naufragée sur ma cuisse. Sa chaleur de brasier me témoignait des vagues de tendresse.
La pluie crépitait tel un feu dans le poêle, ses baisers de velours sur la vitre m’installaient déjà dans une sorte de paradis. Par l’autre baie, un arbuste m’offrait ses pièces d’or en avalanche, et parfois l’une d’elles tombait sans bruit. Il faisait sombre mais une lumière émanait de votre livre. Quelque chose d’intangible flottait, c’était comme si vous étiez juché sur mon épaule, avec ce demi-sourire que vous aviez si souvent.
Je me suis tout de suite trouvé bien entre vos pages. Vos oiseaux, vos arbres et vos fleurs je les connais, nous avons les mêmes amis, à la différence que vous en parlez mieux que moi, mais peu importe car il n’y a pas de compétition dans l’émerveillement, juste de la profondeur.

Alors j’ai arpenté vos pages et j’ai cueilli des trésors. Page 58 « Lire quand on est enfant, c’est quitter sa famille et devenir jeune mendiant… » page 85 « Vivre n’est rien d’autre que donner sa lumière… »
Vous avez donné beaucoup de lumière, monsieur Bobin.
Ces longs moments à sinuer dans votre écriture et la projection de votre pensée resteront quelque part en moi, dans un recoin inaccessible à la saleté et la grisaille, et personne ne pourra me les confisquer, jamais. C’est la grande leçon de vos lignes, ce qui a été n’est peut-être plus, mais ce qui a été ressenti et éprouvé vit quelque part en nous.

Mon petit doigt d’ordinaire si mutique me souffle que nous allons faire du chemin ensemble, j’attends déjà avec fébrilité la prochaine « fenêtre » favorable à nos retrouvailles.

Seb.

Un bruit de balançoire, Christian Bobin, Folio, 90 p. , 6€90.

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