Frères humains, qui après nous vivez, n’ayez les cœurs contre nous endurcis.
Car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous mercy ».
Pour moi, seules quelques dystopies valent la lecture…
Quelques.
Et quelques, c’est pas beaucoup.
On va commencer par ce que d’aucuns diront et qui pour certains, ont déjà dit. Ils ont retrouvé des éléments forts peu originaux pour un récit post-apocalyptique, ce qui leur a donné l’impression d’en lire encore un qui ressemblait aux autres dans sa proposition d’aventure.
Et enfin, pourquoi pas , qu’on est « encore » dans un récit de survie sur les routes, ce qui va sans doute leur rappeler, forcément, La route de Cormac McCarthy.
Ben oui, forcément, mais tant pis pour eux.
Pour commencer mon pitch, quoi de mieux que ces avertissements, que les scientifiques hurlent depuis quelques années en s’enchaînant aux portes de leurs immeubles. Une trentaine d’années ou un peu plus, si je ne m’abuse.
Trente ans qu’ils nous disent qu’on n’a pas de planète B malgré ce que chantent les livreurs de rien, les faiseurs de voitures électriques, et les compteurs à copains.
On va sans doute vers nulle part, et c’est pas beau à voir.
Alors commencer par cet extrait :
Toute la fin du siècle dernier et au début de celui-ci les alertes ont été données, sonnées, gueulées. Il fallait changer de logique, cesser la fuite en avant de l’avidité, de la rapacité des puissants de ce monde qui saccageaient la planète et les peuples par tous les moyens possibles. Catastrophes climatiques, famines, pandémies, guerres. La misère et la barbarie partout. On voyait chaque jour le monde imploser mais on était trop peu nombreux à se rebeller. Les gens s’imaginaient qu’ils échapperaient au pire. Ils achetaient des climatiseurs, des téléphones neufs, ils prenaient des avions, ils regardaient les guerres sur leurs écrans, soulagés qu’elles se déroulent loin d’eux, pleurnichant de temps à autre sur les malheurs du monde pour mettre à jour leur bonne conscience. Pendant ce temps perdu, les maîtres de ce monde-là conduisaient à pleine vitesse vers le bord de la falaise et nous demandaient à nous, pauvres cons, de retenir le bolide pour l’empêcher de basculer. Ils pensaient peut-être qu’ils parviendraient à sauter en marche et quelques-uns ont dû le faire…
Je crois que je t’ai dit tout ce que tu as à savoir sur le pitch du roman de Monsieur Le Corre.
Un roman sur l’humanité qui risque d’advenir si on ne met pas sur des piques les têtes de ceux qui sont persuadés que le pétrole est plus important que les baleines dans l’océan ou que les arbres d’Amazonie.
Un roman sur le chaos.
Peut-être celui qui annonce la reconstruction du monde, tel que les anciens Grecs l’imaginaient.
Reconstruire le monde avec le ventre des femmes…
Les ventres de Rebecca, ceux d’Alice, de Nour ou de Clara.
Des femmes et des hommes face à l’obsolescence programmée par ceux d’avant. L’obsolescence de l’humanité entière, mais qui espère, malgré tout, que des chemins existent encore pour aller vers un ailleurs sans ténèbres.
Que l’avidité d’une centaine de milliardaires n’a pas simplement tout détruit.
Les Cowboys fringants, dans L’Amérique pleure, nous ont offert cette phrase :
« La question qu’je m’pose tout l’temps, mais que feront nos enfants,
Quand il ne restera rien, que des ruines et la faim… »
Imagine…
Demain matin, plus d’électricité.
Nulle part.
Elle ne revient pas. Elle ne reviendra jamais.
C’est la deuxième partie du pitch.
« Il se sentit jeté dans le puits d’une tristesse sans fonds. Ainsi le monde n’en finirait pas de se défaire, tous les chemins s’effaçant ou se perdant, tous les repères s’écroulant. Ni passé, ni futur. »
Difficile de se persuader, tout au long de ce roman, que ce qui nous attend est au cœur de ces pages, si on n’y prend pas garde. Difficile de se persuader que certains prénoms deviendront des phares dans notre nuit et que les enfants continueront à rire et à chanter. Difficile de se persuader que la graine que chante Aurora continuera à pousser, au milieu des cendres et des ruines.
Que te dire de l’écriture de Monsieur Le Corre…
Ils cahotèrent sur le chemin qu’ils avaient pris en venant, maintenant plein d’ornières remplies d’eau, et rejoignirent la route rectiligne sur laquelle débordait une végétation en train de la digérer. La forêt fumait en séchant sous le soleil déjà brûlant. Des fumerolles s’attardaient au-dessus des cimes puis s’envolaient soudain, chassées par le souffle même des arbres.
Tu as vu ?
Ou encore :
Pas de lune. Seulement la voûte incalculable des étoiles et la vapeur bleutée qu’elle dispense autour d’eux.
Une écriture magique qui te donne à entrevoir nos possibles demains à travers la dentelle qui s’offrait aux fenêtres aux siècles précédents…
Sans doute un des seuls romans que je relirai dans quelques semaines, pour me plonger, encore, et à nouveau, dans ce que devrait être la littérature.
C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.
Nicolas.
Qui après nous vivrez, Hervé Le Corre, Rivages / Noir, 400 p. , 21€90.
Touchée par ce post, comme je l’ai été par ce roman exceptionnel . Merci.
Et merci aussi pour les Cow Boys Fringants…
Mais de rien. C’est cool. Quant aux Cow Boys…
Ping :Noirs futurs : L'Heure du retour, Christopher M. Hood / Somnambule, Dan Chaon - Yann - Aire(s) Libre(s)