L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Nightfall, David Goodis (Rivages / Noir) – Seb
Nightfall, David Goodis (Rivages / Noir) – Seb

Nightfall, David Goodis (Rivages / Noir) – Seb

« John mit une cigarette à sa bouche et l’alluma. Il s’assit sur bord du canapé-lit. Sam et Pete étaient debout contre le mur, droits comme des statues. Vanning se trouvait donc au centre de la pièce, avec la lumière blanche du plafond qui lui tombait sur le sommet du crâne en une lente cascade. Son visage lui faisait mal à cause des coups de poing américains et la tête lui tournait beaucoup, mais pas au point qu’il ne pût rester debout, à se balancer d’un pied sur l’autre. Il tourna le dos aux deux hommes qui se tenaient contre le mur. Il regarda John. »

L’histoire. James Vanning est un illustrateur qui travaille à Manhattan. Son sommeil est perturbé par des visions cauchemardesques d’accident de la route, de nuit et du surgissement d’un révolver à la couleur noire lugubre. La journée il se sent mal, comme s’il était surveillé ou poursuivi. Quelque chose lui échappe, mais il ignore quoi. Serait-il mêlé à une sombre histoire ?

David Goodis fait partie de la seconde vague américaine du Hard-boiled. Aux pères fondateurs Hammett et Chandler, ont succédés les Ross MacDonald et les David Goodis, entre autres. Comme ses prédécesseurs, Goodis a d’abord publié des nouvelles dans des pulps, peu avant la seconde guerre mondiale. On sent bien, dans son écriture, les influences du Noir, cette précision de tireur d’élite, cette sobriété dans les phrases, jamais un mot qui ne sert à rien, pas d’envolées lyriques qui pourraient détourner de l’histoire et des sensations qu’elle est censée procurer. Saint Jean-Patrick Manchette a dû apprécier.

Avec ce roman qui se déroule dans le New-York de l’après seconde guerre mondiale, l’auteur fait preuve d’originalité en s’attachant à un personnage qui n’est ni flic ni détective privé. Son héros est un simple illustrateur qui bosse pour un journal et qui doit trimer pour s’en sortir. Il vit seul et la description que l’auteur fait de son quotidien instaure une impression de tristesse de basse fréquence.

Le début du roman est un acte de courage, parce que Goodis livre des bribes, des impressions, des réminiscences qui mises bout à bout ne permettent pas au lecteur de s’y retrouver, au risque de le perdre. Ainsi, la personne qui lit ressent exactement ce que ressent James Vanning, elle est perdue, mal à l’aise, évoluant pas à pas dans la nébuleuse de son existence, avec ce malaise qui plane en elle et au-dessus d’elle, une épée de Damoclès invisible et angoissante.

La description urbaine de ces années-là donne des points de repères familiers aux habitués de Hammett et Chandler, les mêmes rues droites, les mêmes impasses, ces lumières tombant des réverbères pour dessiner des flaques sur les trottoirs mouillés, les costumes et les chapeaux, les voitures aux formes plantureuses, les femmes fatales. Il y a des codes qu’il faut respecter. Par moments, j’ai eu la sensation de me retrouver dans un de ces appartements que l’on voit dans Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock, et seul manque James Stewart pour qu’on fît la confusion. Bref, grâce au travail de l’écrivain, nous sommes en immersion totale, rien ne manque, on s’attend à voir surgir la trombine allongée d’Humphrey Bogart à chaque coin de rue un peu sombre.

Les pans de ce roman sont comme les continents qui dérivent depuis la nuit des temps, ils se rapprochent lentement et finissent par s’imbriquer dans une perfection d’ébéniste.

Ce roman se singularise par une forte proportion de dialogues, et quand les dialogues sont bien écrits, comme c’est le cas, ce n’est pas un problème, c’est un plaisir. Difficile d’en dire plus sans dévoilgâcher, et ce serait vraiment dommage. J’ajouterais donc simplement que ce roman de pur Noir débute dans le flou le plus absolu et s’achève dans la clarté la plus nette de l’amour.

Je vous laisse avec une des considérations d’un des protagonistes :

« Une grande part de la conversation est tout au plus un rideau destiné à dissimuler ce qui se passe dans l’esprit. »

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christophe Mercier.

Seb.

Nightfall, David Goodis, Rivages / Noir, 238 p., 8€15.

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