« La saison avait comme un arrière-goût de mélancolie. Chaque année, la terre se régénérait tandis que l’humanité vieillissait. La beauté de la nature cachait sa beauté inhérente, mais les gens étaient mis à nu. »
S’il n’est pas forcément l’auteur le plus spectaculaire ni le plus médiatisé du catalogue Gallmeister, Chris Offutt n’en construit pas moins année après année une oeuvre dont la tenue et la cohérence forcent le respect. Qu’il s’agisse de nouvelles (Sortis des bois ou Kentucky Straight) ou de romans (Les Gens des collines, Nuits appalaches ou Le bon frère), il n’ y a rien à jeter chez lui. Le plaisir est d’autant plus grand cette fois que l’on retrouve au coeur de ce récit Mick et Linda Hardin, le frère militaire et la soeur shériff, déjà présents dans Les Gens des collines, ces fameuses collines du Kentucky au sein desquelles a grandi Chris Offutt et qui semblent l’avoir marqué à vie même s’il est maintenant installé dans le Mississippi. Ces collines dont la présence parfois écrasante a conditionné la vie des familles que Chris Offutt met brillamment en scène dans chacun de ses livres. Ces collines et les règles implicites qu’elles imposent lorsqu’on y a été élevé, ce code de l’honneur et de la violence que l’on ne trouve que là.
Mick Hardin, blessé lors d’une opération militaire, est en convalescence chez sa soeur lorsque le corps d’un dealer local est retrouvé en ville. C’est un des fils de la veuve Shifty Kissick qui, devant l’inertie de la police, demande à Mick d’enquêter sur cet assassinat. Empêtré dans un divorce auquel il ne peut se résoudre, Mick accepte et découvre rapidement que le meurtre a été mis en scène. Quelques jours plus tard, un second fils Kissick est abattu et Mick ne tarde pas à réaliser qu’il a mis les pieds dans une affaire bien plus dangereuse qu’il n’aurait pensé.
Chroniqueur attentif et avisé d’une communauté qu’il n’a jamais réellement quittée, Chris Offutt est aussi, ce qui ne gâche rien, un excellent dialoguiste, point qui a une certaine importance quand il s’agit d’imaginer les conversations entre ces taiseux qui peuplent les collines. Il a également de l’humour, ce qui lui permet d’apporter ici et là une touche de drôlerie généralement bienvenue. Concernant l’histoire elle-même, Offutt, tout en continuant de dépeindre les petites gens du Kentucky, parvient à en élargir l’horizon mais il sera difficile d’en dire plus sans dévoiler le fin mot de l’histoire.
La nature omniprésente et une galerie de personnages gentiment allumés ou clairement frappadingues apportent aux écrits de Chris Offutt une forme de poésie à laquelle il est impossible de rester insensible. Il navigue avec aisance entre descriptions naturalistes et explosions de violence, dialogues improbables et confessions poignantes. Dans ces lieux où la fierté et la pudeur se cachent le plus souvent derrière un fusil, Offutt sait trouver les mots justes, ceux qui donnent à son roman une épaisseur et une humanité que le lecteur appréciera à leur juste valeur.
» – J’ai jamais aimé les bars, dit Johnny Boy. Trop de lumière, trop de bruit et trop de gens. Ça m’angoisse et ça me donne envie de boire plus. Le pire, c’est tous les ivrognes qu’essaient de te parler. »
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anatole Pons-Reumaux.
Yann.
Les Fils de Shifty, Chris Offutt, Gallmeister, 275 p. , 23€50.