« Il eut mieux valu que je ne te rencontre jamais, amour de ma vie. Mais voilà, c’est arrivé. Je me dis parfois que je suis injuste, qu’un tour de montagnes russes avec toi vaudra toujours mieux qu’une vie entière dans la grande roue avec qui que ce soit d’autre. »
Rien de tel qu’un texte comme celui-ci pour nous rappeler à quel point il est bon, parfois, de s’éloigner un peu des sentiers que l’on aurait trop spontanément tendance à suivre. Si elle n’était si régulièrement mise à toutes les sauces, j’aurais bien volontiers utilisé ici l’expression « sortir de sa zone de confort » tant elle me semble prendre tout son sens dans ces 150 pages à côté desquelles je serais inévitablement passé sans l’initiative fort louable d’une personne dont le métier consiste justement à porter ces textes auprès des libraires. Il conviendra donc de remercier comme il se doit Julie Bacques pour ce court roman lu en une journée mais qu’il m’a fallu quelques jours pour digérer. Non qu’il soit indigeste, loin, très loin de là, mais parce qu’il m’a réellement pris au ventre comme ça ne m’était pas arrivé depuis (trop) longtemps.
« Anaïs aurait dû écouter Éden et s’enfuir. Mais quand on finit par trouver l’amour, le vrai (…), il devient difficile d’y renoncer au nom d’un sombre présage d’avenir. Éden devient lentement prisonnier de son corps, Anaïs de cet amour plus grand que nature qu’elle ne sait réprimer. Que faire d’autre alors que prendre son souffle et plonger ? Les pires choix sont parfois ceux que l’on fait par amour. » (4ème de couverture).
Voilà donc un résumé qui avait tout pour me faire fuir, preuve supplémentaire s’il en est que l’on devrait s’abstenir de lire ces quelques lignes qui tentent à chaque fois d’englober la totalité d’un roman et de donner envie de le lire. Mais on aime bien, quand même, savoir dans quoi on s’embarque. Il s’agit donc ici d’une histoire d’amour, une vraie, une forte, pas une romance ni une bluette, non, la rencontre comme une évidence entre Anaïs et Éden, ce sentiment contre lequel il semble vain d’essayer de lutter malgré les déconvenues sentimentales vécues auparavant. Un amour réciproque, immédiat et absolu. Mais c’est compter sans la maladie, qui s’invite au sein du couple, présente dans le corps d’Éden, même si pas encore déclarée. Une maladie aux symptômes aussi rugueux que le nom qu’elle porte, l’ataxie de Friedreich, une belle saloperie neuro-dégénérative qui s’attaque très progressivement au système nerveux du jeune homme inéluctablement condamné à plus ou moins long terme. Éden a déjà perdu un frère et sa soeur est elle aussi frappée par cette même malédiction génétique, à un stade nettement plus avancé que le sien. Anaïs, une fois passé le choc initial et malgré les mises en garde désespérées d’Éden, fait le choix de rester avec lui et de l’accompagner dans la maladie, dans la dégradation de plus en plus rapide de son état physique et son incapacité progressive à mener une vie normale.
C’est le récit de ces quelques années que fait Genevève Jannelle par la voix d’Anaïs. C’est le récit de cette décision qu’Anaïs aura, et c’est humain, de plus en plus de mal à assumer. C’est le récit d’un amour qui s’épuise et revit. C’est un récit brut qui ne cache rien, qui ne tente pas de minimiser le mal mais c’est aussi un récit qui brille tant la voix d’Anaïs est forte, brute et sincère. Pas de faux-semblants ni de pudeurs de gazelle, les difficultés sont abordées frontalement, tout comme les faiblesses humaines. L’envie de vivre, de profiter de chaque instant et, surtout de continuer à faire l’amour comme « avant », cette envie est omniprésente et Geneviève Jannelle ne cache rien des hauts et des bas connus par le couple, des stratégies mises en place afin de pouvoir continuer à jouir ensemble, quitte à faire intervenir un autre homme dans leur intimité. Prendre son souffle est tout sauf un roman érotique mais il s’en dégage néanmoins par moments une sensualité qui emporte tout sur on passage. Anaïs est crue, parfois, résolument sincère, tout le temps, bouleversante à chaque page et portée par un amour qui finira malgré tout par trouver sa limite.
Rarement un roman aura aussi bien porté son titre tant pour sa narratrice que pour le lecteur qui devra, lui aussi, prendre son souffle avant de plonger dans ces pages où la vie le dispute aussi férocement à la maladie, où chaque étape est une bataille impitoyable et où les défaites sont malgré tout inéluctables. C’est un roman qui secoue, qui bouscule mais dont on ne sort pas pour autant avec l’envie de se pendre. C’est plutôt l’instinct de vie qui pousse ici et incite à profiter pleinement des beaux moments qui nous sont offerts. Attention, on n’est pas chez Christophe André et, si développement personnel il y a, il naît dans les larmes et la douleur, dans le doute, la peur et l’incompréhension. Prendre son souffle est donc à lire malgré les hésitations que peuvent faire naître son résumé et les quelques mots posés ici pour tenter d’en parler. C’est à une expérience forte que nous convie Geneviève Jannelle qui sait nous rappeler avec talent toute notre fragilité d’humains en même temps que la beauté de l’amour partagé.
« Je me suis sentie chanceuse. Immensément privilégiée d’avoir goûté à cet amour que tous passent leur vie à traquer. Cet amour grand et inextinguible qui peuple les rêves sensibles de tous les humains, qu’ils l’admettent ou non. Le reste, c’était le prix à payer, tout simplement. »
Yann.
Prendre son souffle, Geneviève Jannelle (Québec Amérique), 149 p. , 17€.
Une merveille, ce livre. Je n’étais pas certaine au début, mais vraiment, c’est magnifique
J’avais de gros doutes aussi, l’ambiance histoire d’amour / maladie me faisait craindre un vrai mélodrame mais c’est vraiment autre chose, un texte très fort.