« Malgré mon jeune âge, j’ai compris la responsabilité que ma mère venait de partager avec moi. Quoi qu’il arrive, je devais être assez forte pour protéger cette pochette et le panier d’osier dont je serais chargée au matin. Sans hommes pour chasser, obligées de laisser derrière nous les plantes médicinales dont nous dépendions depuis des générations, il ne nous restait que ces graines pour survivre. »
Descendante de la tribu sioux des Mdewakanton, Diane Wilson impressionne avec ce premier roman dans lequel elle semble avoir tenté de condenser à la fois l’histoire et l’esprit de ses ancêtres. Si cette intention pouvait s’avérer quelque peu ambitieuse et casse-gueule, force est de reconnaître que Les Semeuses est tout sauf un pavé indigeste et que le roman garde une fluidité constante tout au long de ses 370 pages.
Même si elle utilise une structure un peu convenue en se penchant sur plusieurs destins de femmes à des époques différentes, Diane Wilson tient les rênes de son récit avec suffisamment de fermeté pour emmener le lecteur avec elle aux côtés de Rosalie, Gaby, Darlene et Mary. Des années 1860 au début des années 2000, Les Semeuses couvre ainsi plus d’un siècle d’histoire en s’intéressant tout particulièrement aux relations difficiles (pour ne pas dire conflictuelles) entre autochtones et blancs.
Consciente de la richesse et de l’importance des traditions de sa tribu, souvent tombées dans l’oubli au contact des colons blancs et de l’inexorable avancée du progrès, Rosalie Iron Wing, personnage central du roman, se trouve à la croisée des mondes. À la disparition de son père alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, elle est confiée à une famille d’accueil blanche dont elle s’éloignera dès que les circonstances le lui permettront, avant de finir par épouser un fermier, blanc lui aussi, auprès duquel elle connaîtra sinon l’amour, du moins quelques années de tendresse et de sécurité. Mais le monde change, les pratiques agricoles également et lorsque John, son mari, fait le choix d’utiliser des semences nouvelles proposées par la société Magenta, l’héritage culturel et patrimonial de Rosalie la pousse à s’opposer à cette nouvelle façon de procéder qu’elle pressent potentiellement dangereuse.
Si la toile de fond des Semeuses est un rappel constant de la brutalité des changements apportés par l’arrivée des colons blancs sur les terres indiennes, Diane Wilson a su y insuffler bien autre chose qu’une colère stérile. En insistant à la fois sur l’importance de certaines traditions de son peuple et sur la déconvenue de nombreux fermiers ayant tout misé sur des semences OGM qui ruinèrent rapidement leurs terres, la jeune femme oppose deux mondes qui, tant bien que mal, parviennent à cohabiter et à s’entendre. Mais c’est dans son attachement et sa fidélité aux anciens que Rosalie est la plus touchante et nous fait prendre conscience de l’importance des liens entre générations, de cette transmission nécessaire que l’accélération du monde nous conduit trop souvent à oublier.
Grand roman sur la mémoire et l’histoire d’un peuple, Les Semeuses parle d’abord et surtout de résistance et c’est en cela qu’il nous touche et nous interpelle.
« Les yeux qui m’ont rendu mon regard dans le miroir étaient pleins de doute. Comment retenir ce que mon père m’avait enseigné alors que tout autour de moi s’entêtait dans une autre histoire, un autre mode de vie ? »
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nino S. Dufour.
Yann.
Un roman grandiose
Ces beaux liens aux autres, à une communauté, à la terre nourricière.
Il y a indubitablement ce quelque chose d’inoubliable auprès de Rosalie, Gaby, Darlene, Mary, Suzanne, Lorraine, Agnès, Wilda, , Manpiyamaza, ces femmes dakhota prises dans l’étau de l’histoire coloniale faite de massacres et de spoliations.
Et pourtant leur résistance… nichée au sein de ces graines cousues dans l’ourlet de leurs robes, et cet attachement de Diane Wilson – de la communauté sioux du Minnesota – à célébrer ces femmes, enfants et hommes déportés en 1863.
Avec la traduction de Nino S. Dufour, Diane Wilson nous entraîne dans un grandiose tissage des destinées, notre attachement certain à ces héroïnes dakhota, la beauté de cette nature résiliente et du fleuve nourricier.
En 2002, Rosalie Iron Wing décide, suite au décès de son mari, fermier blanc du Minnesota, de retourner dans cette cabane nichée au creux des bois, endroit où elle fut arrachée enfant par les services sociaux suite au décès soudain de son père.
Rosalie y va, mue par une force qui la dépasse.
À partir de cet instant, nous retournons au fur et à mesure dans ce passé disloqué résonnant avec ceux de ces enfants violentés des pensionnats, ces femmes autochtones déportées, chassées, oubliées.
Un roman en quatre actes épousant le cycle du maïs, dont le dernier est en langue dakhota, pour lier ce qui doit désormais l’être.
L’essence du personnage de Rosalie est l’écho du vivant préservé par ses ancêtres, ce maïs comme élément sublimé de ce qui nous nourrit, protège, se transmet.
Des générations de protectrices des graines s’élevant contre ce que représente Magenta, à savoir Monsanto, Bayer, Syngenta, ChemChina, Dow et DuPont.
David contre Goliath.
« Des générations entières avant moi avaient été réduites au silence, forcées à dissimuler leurs cérémonies et leurs langues sous terre, au fond des bois, et de porter avec elles ces savoirs, comme un lien vital à notre culture. »
Une histoire plurielle sublime et intense où le savoir autochtone peut devenir un amer remarquable pour qui ne retrouve plus son chemin dans notre folie ordinaire.
Fanny.
Les Semeuses, Diane Wilson, Rue de l’Échiquier, 320 p., 24€.