L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Dans les eaux du grand Nord, Ian McGuire (Éditions 10/18) – Nicolas
Dans les eaux du grand Nord, Ian McGuire (Éditions 10/18) – Nicolas

Dans les eaux du grand Nord, Ian McGuire (Éditions 10/18) – Nicolas

Hermann Melville, ça te parle ? Si c’est le cas, t’as plus lu que l’adjointe à la culture de ma ville, quand je lui ai proposé un salon du livre… Tu vois l’idée ?

Pourquoi je te parle de Melville ? Parce que quand j’ai lu ce roman, j’ai bien sûr pensé à Moby Dick… Pas longtemps, mais un peu. L’océan, les baleiniers, les hommes, la vie quoi…

Derrière le bouquin, il y a écrit que c’est l’un des dix meilleurs livres de 2016. Mazette, comme disait mon grand-père…

Je déconne. Il disait pas « Mazette ».

En revanche, j’avoue avoir été bluffé par ce roman et du début à la fin.

Pas vraiment par l’intrigue, qui est somme toute assez banale, et sans réel rebondissement, mais par ce style, par ces images qu’Ian McGuire te donne à voir. Un vrai roman d’Aventures, dans la lignée de ceux de London, et tu sais comme je suis prudent avec London et ses imitateurs…

Un de ses recueils de nouvelles, pas trop connu, s’appelle « Les enfants du froid », et j’ai retrouvé « Dans les eaux du Grand Nord », ses descriptions, sa capacité à te faire ressentir la morsure de la banquise et la rudesse de ceux qui partaient chasser à cette époque, de l’autre côté de la terre. Une époque où l’on croyait encore que chasser la baleine était nécessaire. Une époque où tu pouvais côtoyer des hommes sans concession, sans pitié, et sans morale. Quoi, tu en connais encore aujourd’hui, des hommes sans morale ?

Quid de ce qu’il y a dans la tête des personnages ? Quid de la psychologie, comme ils disent dans Télérama ?

Bluffé, j’ai été, et bluffé tu seras aussi, comme dira Maître Yoda dans une galaxie lointaine.

Chacun des personnages a sa propre histoire, et Ian McGuire te la donne à partager. Chacun de ces hommes est brutal, sans pitié, sans remord, et pour certains d’entre eux, la quintessence du mal, sans aucune concession et surtout, sans envie de rédemption et tu sais que la rédemption, c’est mon truc…

Le personnage principal, c’est Sumner. Il était chirurgien dans l’armée britannique. Il a dû faire des conneries, parce qu’il est plus dans l’armée, mais je t’en dis pas plus. C’est un gentil.

Un autre personnage, c’est Henry Drax.

Lui, c’est un méchant.

C’est écrit sur la quatrième de couverture. « Le mal à l’état pur », ils disent.

C’est vrai.

Nonobstant le fait qu’au 19e siècle, sur les baleiniers, tu devais en croiser quelques-uns, des mâles à l’état pur, il semble être plutôt barré comme garçon.

Une histoire de survie, d’abord, un peu comme dans « Le revenant » de Punke, dont ils ont fait un Capriofilm, mais aussi une histoire d’hommes et de rapports entre les peuples. Ceux qui pensent que la nature est leur mère, et qu’il faut la protéger, et les autres, qui pillent, sans vergogne, et imaginent qu’un ours blanc sera mieux dans un zoo que sur la banquise.

Ouais, déjà, au 19e, il y en a qui pensaient ça. Je sais, ça n’a pas beaucoup changé…

Monsieur McGuire, c’est un vrai raconteur d’histoires. Tu vas tourner les pages, et tu vas mettre un pull, parce que l’hiver, là-bas, ça caille.
 C’est un vrai roman noir, avec tous les ingrédients pour que tu passes un super moment de lecture. Le style est parfois poétique, parfois proche de cette barbarie dont font preuve les personnages, mais toujours passionnant. C’est suffisamment rare pour être relevé.

Les personnages sont toujours sur le fil du rasoir, oscillant entre héroïsme et lâcheté, entre humanité et bestialité, et ça non plus, c’était pas gagné de te le faire partager. L’écriture est de grande qualité, et le style, encore une fois, proche de ces écrivains qui t’emportaient au bout du monde, et dont tu pensais, toi aussi, qu’il n’y en avait plus.

La violence, présente en permanence, notamment dans les rapports avec la nature qui ne pardonne rien à ces hommes âpres et sans concession, est rendue parfaitement à travers les mots que McGuire nous donne à partager. C’est du super boulot d’écrivain.

Ça aussi, c’est rare.

Tu vas voir le soleil, crois-moi, et ces lumières presque magiques qui existent dans le Grand Nord, tu vas entendre craquer la glace, cette glace qui peut te retenir pendant des mois jusqu’à ce que la mort te semble être la seule issue.

Tu vas pénétrer dans l’âme de Drax, tu n’y verras que la noirceur de l’enfer, sans aucun espoir de retour, et comme Sumner, tu vas comprendre que certains hommes sont l’incarnation des plus bas instincts de l’humanité. Tu vas avoir peur, toi aussi, d’être happé par ce mal et cette bestialité.

C’est un texte cru, sans concession au romantisme ambiant dans certains romans noirs.

Il te dit les choses, te montre les hommes, et si t’as envie de gerber, parfois, c’est normal. Quand tu chasses le phoque, c’est pas du chiqué. Le gourdin, il est gluant de sang, et la baleine, quand elle meurt, elle souffre, et elle hurle sa douleur aux marins qui la tuent.

L’océan la regarde mourir, et comme toi, il ne peut rien faire qu’assister à la folie des hommes.

Un bémol ?

D’accord, je te fais un bémol.

Deux bémols, en fait.

J’aurais aimé entrer encore plus dans le crâne de Drax. Apercevoir plus encore ce qui fait sa noirceur et parfois, son héroïsme, malgré tout…

Un manque de puissance, parfois, un peu en retrait de ce que Ian McGuire est sans doute capable d’écrire quand il se lâche totalement.

En résumé, va le chercher, tu vas pas regretter.

C’est tout ce que j’ai à dire sur ce roman.

Traduit de l’anglais par Laurent Bury.

Nicolas.

Dans les eaux du Grand Nord, Ian McGuire, 10/18, 312 p. , 8€.

Je te mets ces chants, parce que si on continue à leur faire manger du plastique, elles ne chanteront plus…

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